Agonie au jardin de Gethsémani (détail). Mosaïque byzantine. Collections d'images et archives Dumbarton Oaks, Trustees for Harvard University, Washington, D.C. (photo : Ekkehard Ritter).
Quand Jésus est ironique
Sébastien Doane | 18 avril 2019
Dans le récit du jardin de Gethsémani en Marc, Jésus va avoir une parole ironique en réaction au sommeil des disciples.
Jésus emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean. Et il commença à ressentir frayeur et angoisse. Il leur dit: « Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez. » Et, allant un peu plus loin, il tombait à terre et priait pour que, si possible, cette heure passât loin de lui. Il disait: « Abba, Père, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » Il vient et les trouve en train de dormir; il dit à Pierre: « Simon, tu dors ! Tu n’as pas eu la force de veiller une heure ! Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation. L’esprit est plein d’ardeur, mais la chair est faible. » De nouveau, il s’éloigna et pria en répétant les mêmes paroles. Puis, de nouveau, il vint et les trouva en train de dormir, car leurs yeux étaient appesantis. Et ils ne savaient que lui dire. Pour la troisième fois, il vient; il leur dit: « Continuez à dormir et reposez-vous ! C’en est fait. L’heure est venue: voici que le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons ! Voici qu’est arrivé celui qui me livre. (Mc 14,33-42)
La réaction de Jésus à la troisième fois que les disciples s’endorment a de quoi nous surprendre. Au lieu de leur rappeler de veiller et de prier, Jésus leur dit : « Continuez à dormir et reposez-vous ! » Est-ce qu’il faut prendre ces paroles au pied de la lettre en comprenant qu’il leur souhaite une détente bien méritée? Ou, au contraire doit-on comprendre que Jésus fait de l’ironie en disant exactement le contraire de ce qu’il pense. Deux éléments permettent de choisir en faveur de l’interprétation ironique. D’abord, Jésus a déjà invité à deux reprises les disciples à veiller et prier. Puis, la fin de cette péricope indique qu’après quelques mots sur le sort du Fils de l’homme, Jésus dit aux disciples « Levez-vous ! Allons ! » La différence entre l’indication de continuer à dormir et celle de se lever montre qu’il faut comprendre que les paroles de Jésus étaient ironiques.
Il est beaucoup plus difficile de déceler l’usage de l’ironie dans des textes qu’à l’oral. Sans clin d’œil, sans le ton de la voix, les lecteurs doivent être attentifs pour trouver d’autres indices. Lorsqu’un énoncé est contextuellement inapproprié, par exemple qu’il soit à l’inverse de ce qu’on sait d’un personnage, il est possible qu’il y ait une ironie.
L’ironie a un effet sur les lecteurs. Ici, elle marque bien l’importance de persuader les lecteurs à rester dans une attitude d’attente active de la veille et de la prière. Eh oui, même Jésus est capable de paroles ironiques.
Sébastien Doane est professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec).