Gédéon choisit les 300. James Tissot, c. 1899. Gouache sur carton . Jewish Museum, New York.
La valeur militaire d’un bon buveur
Sébastien Doane | 26 mars 2018
Durant la période des juges, en Israël, la Bible montre des hommes (et une femme, Déborah) appelés « juges » qui gouvernent les tribus d’Israël. Cette période est marquée par des guerres, autant entre tribus qu’avec les peuples voisins. Au chapitre 7, c’est Gédéon qui doit mener le peuple dans la guerre contre les Madianites. Ce récit nous montre comment il choisit ses soldats.
2 Le SEIGNEUR dit à Gédéon : « Trop nombreux est le peuple qui est avec toi pour que je livre Madiân entre ses mains : Israël pourrait s’en glorifier à mes dépens et dire : “C’est ma main qui m’a sauvé !” 3 En conséquence, proclame donc ceci au peuple : “Quiconque a peur et tremble, qu’il s’en retourne et déguerpisse par le mont Galaad !” » Vingt-deux mille hommes parmi le peuple s’en retournèrent, et il resta dix mille hommes.
4 Le SEIGNEUR dit à Gédéon : « Ce peuple est encore trop nombreux ! Fais-le descendre au bord de l’eau, et là je le mettrai à l’épreuve pour toi. Ainsi, celui dont je te dirai : “Qu’il aille avec toi”, celui-là ira avec toi, et tout homme dont je te dirai : “Qu’il n’aille pas avec toi”, celui-là n’ira pas ! » 5 Alors Gédéon fit descendre le peuple au bord de l’eau, et le SEIGNEUR dit à Gédéon : « Quiconque lapera l’eau, comme un chien le fait avec la langue, tu le mettras à part, et de même quiconque se mettra à genoux pour boire. » 6 Or, le nombre de ceux qui lapèrent en portant la main à la bouche fut de trois cents hommes, alors que tout le reste du peuple s’était mis à genoux pour boire de l’eau. 7 Le SEIGNEUR dit à Gédéon : « C’est avec les trois cents hommes qui ont lapé que je vous sauverai et que je livrerai Madiân entre tes mains… » (Juges 7, 2-7)
Pour le narrateur, la réduction de l’armée de Gédéon a un but théologique. En passant de 32 000 à 300 soldats, le narrateur montre que c’est la gloire de Dieu et non la force humaine qui donnera la victoire. Les critères pour réduire l’armée sont assez particuliers. Le premier est la peur et le tremblement. On comprend qu’un soldat qui tremble et qui a peur n’est probablement pas le meilleur. Mais ce tremblement peut aussi se comprendre comme un manque de foi ou de confiance envers le Seigneur. Le second critère porte sur la façon dont les hommes boivent l’eau. Les personnes qui prennent de l’eau dans leurs mains pour la porter à leur bouche sont sélectionnées. Ce critère nous semble très arbitraire. En effet, il n’est pas évident d’en tirer du sens. Peut-être que le fait de boire plus rapidement, en gardant la tête haute, permet de rester alerte et de voir les dangers potentiels? Une autre hypothèse est que la façon de laper l’eau directement était associée aux animaux, ce qui serait péjoratif. La Bible aime bien marquer la différence entre les humains et les animaux. Le récit de la Genèse donne aux humains le pouvoir de nommer et de dominer les animaux. Mais peut-être que ce critère n’a d’autre objectif que de sélectionner le plus petit nombre de personnes possible, considérant que la majorité boit en lapant directement l’eau.
La suite du récit est tout aussi intéressante. Qui va gagner le combat : Gédéon et ses 300 soldats ou tout le camp de Madian?
16 Gédéon divisa les trois cents hommes en trois bandes. À tous il remit des cors et des cruches vides avec des torches dans les cruches. 17 Il leur dit : « Vous regarderez de mon côté et vous ferez comme moi ! Quand je serai arrivé aux abords du camp, ce que je ferai, vous le ferez aussi. 18 Je sonnerai du cor, moi et tous ceux qui seront avec moi, alors vous sonnerez du cor, vous aussi, tout autour du camp et vous crierez : “Pour le SEIGNEUR et pour Gédéon !” »
19 Gédéon et les cent hommes qui étaient avec lui arrivèrent aux abords du camp au début de la veille à minuit ; on venait de relever les sentinelles. Ils sonnèrent du cor et brisèrent les cruches qu’ils avaient à la main. 20 Alors, les trois bandes sonnèrent du cor et brisèrent les cruches ; de la main gauche ils saisirent les torches et de la main droite les cors pour en sonner, et ils crièrent : « Épée pour le SEIGNEUR et pour Gédéon ! » 21 Pendant qu’ils se tenaient debout autour du camp, chacun à sa place, le camp tout entier se mit à courir, à pousser des cris et à prendre la fuite. 22 Et tandis que retentissaient les trois cents cors, le SEIGNEUR fit que dans tout le camp chacun dirigeait son épée contre son camarade, et tous s’enfuirent jusqu’à Beth-Shitta, du côté de Ceréra, et jusqu’à la rive d’Avel-Mehola, près de Tabbath.
23 Alors les hommes d’Israël furent convoqués de Nephtali, d’Asher et de tout Manassé, et ils poursuivirent Madiân. 24 Gédéon envoya des messagers dans toute la montagne d’Ephraïm pour dire : « Descendez à la rencontre de Madiân et occupez avant eux les points d’eau jusqu’à Beth-Bara ainsi que le Jourdain. » Tous les hommes d’Ephraïm furent convoqués et ils occupèrent les points d’eau jusqu’à Beth-Bara ainsi que le Jourdain. 25 Ils s’emparèrent de deux chefs de Madiân… (Juges 7, 16-25)
Ce que le narrateur avait prédit dès le départ s’avère exact. Le bruit des trois cents cors sème la terreur parmi les ennemis qui, dans la noirceur et la confusion, se tuent les uns les autres. Bref, le Seigneur a fait en sorte que l’armée de Gédéon réussisse, même si elle était moins nombreuse.
Eau secours!
Avez-vous remarqué l’importance de l’eau dans ce récit? Premièrement, elle est associée au critère de sélection des soldats. Deuxièmement, lorsque les Madianites survivants prennent la fuite, le premier objectif de l’armée de Gédéon est de sécuriser les points d’eau. C’est qu’en Israël, l’eau est une denrée rare, dont le contrôle est encore aujourd’hui source de conflits. Dans cette région au climat semi-désertique, les pluies sont pratiquement inexistantes d’avril à septembre.
La question de l’eau est un problème géopolitique évident, dans les relations entre Israël et les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Les tensions prennent leur origine, entre autres, dans une disparité flagrante de consommation entre ces deux communautés qui « partagent » les mêmes sources d’approvisionnement en eau. La consommation moyenne d’un Israélien est quatre fois supérieure à celle d’un Palestinien [1]. Cette disparité provient du contrôle par Israël de la plus grande partie du système de l’eau des territoires occupés de Palestine.
Les perspectives à long terme sont alarmantes : le manque d’eau ne fera que croître, car les ressources sont limitées et la demande ne fera qu’augmenter. Plusieurs projets de désaliénation de l’eau sont à l’étude, de même que des projets de création d’un canal qui permettrait de renflouer la mer Morte par les eaux de la Méditerranée. En définitive, un nouveau partage plus équitable de l’eau doit faire partie des négociations de paix au Moyen-Orient.
Sébastien Doane est bibliste et responsable de la rédaction.
[1] Marielle Court, « L'eau, enjeu majeur entre Israël et Palestine », Le Figaro, 20 mars 2013.
Extrait de : Sébastien Doane, Zombies, licornes, cannibales… Les récits insolites de la Bible, Montréal, Novalis, 2015.