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chronique du 18 octobre 2013
 

Un nu-vite dans l’évangile (Marc 14, 50-52)

S’il y a un élément insolite dans la Bible, c’est bien celui-là! Et pourtant, le détail apparemment inutile a été recopié à la main par des générations de copistes pour qu’il parvienne jusqu’à nous, deux mille ans plus tard. Prêtez attention aux deux derniers versets de ce récit : il s’agit de l’arrestation de Jésus, telle que racontée par l’évangile de Marc.

Au même instant, comme il parlait encore, survient Judas, l’un des Douze, avec une troupe armée d’épées et de bâtons, qui venait de la part des grands prêtres, des scribes et des anciens. Celui qui le livrait avait convenu avec eux d’un signal : « Celui à qui je donnerai un baiser, avait-il dit, c’est lui! Arrêtez-le et emmenez-le sous bonne garde. »

Sitôt arrivé, il s’avance vers lui et lui dit : « Rabbi. » Et il lui donna un baiser. Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent. L’un de ceux qui étaient là tira l’épée, frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui emporta l’oreille. Prenant la parole, Jésus leur dit : « Comme pour un hors-la-loi, vous êtes partis avec des épées et des bâtons pour vous saisir de moi! Chaque jour, j’étais parmi vous dans le temple à enseigner et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est pour que les Écritures soient accomplies. » Et tous l’abandonnèrent et prirent la fuite.

Un jeune homme le suivait, n’ayant qu’un drap sur le corps. On l’arrête, mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu. (Marc 14, 43-52)

     Les quatre évangiles racontent l’arrestation de Jésus. Celui de Marc est le seul à raconter l’incident de l’homme nu qui s’enfuit. Pourquoi rapporter ce détail bizarre?

Diverses interprétations

     Certains biblistes y voient une anecdote qui pourrait avoir un fondement historique. Un élément aussi incongru aurait difficilement pu être inventé. Il concernerait un membre de la communauté chrétienne de Jérusalem, qui aurait vécu cette drôle d’expérience.

     Depuis longtemps, on a vu dans cet épisode un détail autobiographique. Saint Grégoire le Grand, pape de 590 à 604, semble être le premier à affirmer que, si l’on peut lire cette histoire rocambolesque, c’est qu’elle a été vécue par celui qui la raconte. Plusieurs commentateurs ont adopté cette interprétation et l’ont transmise, mais ultimement, rien ne permet de dire que l’évangéliste Marc ait assisté à l’arrestation de Jésus et se soit enfui tout nu.

     Une autre hypothèse veut que ce jeune homme nu, dont on ne connaît pas le nom, soit le symbole du disciple fidèle qui essaie de suivre Jésus, son maître. Contrairement aux autres disciples, ce jeune homme ne s’enfuit pas tout de suite. Il semble vouloir rester avec Jésus jusqu’au bout, mais il doit quitter les lieux quand on veut l’arrêter.

Un lien avec la résurrection

     Certains auteurs font un lien entre le jeune homme nu qui a perdu son drap et le jeune homme vêtu d’une robe blanche, annonçant la résurrection (Marc 16,5). Le « jeune homme » acquiert alors une fonction plus symbolique qu’historique. Au chapitre 14, il est le représentant de l’échec des disciples à suivre Jésus jusqu’au bout. Son retour au chapitre 16, en robe blanche, favoriserait une sorte de réparation de l’image des disciples, avec la résurrection de Jésus.

     Cette interprétation pourrait permettre une allusion au baptême. Dans l’Église ancienne, lors de la veillée pascale, les néophytes se dénudaient pour s’immerger nus dans l’eau et être baptisés. Le baptême symbolise le passage de la mort à la vie. À leur sortie de l’eau, le célébrant les revêtait d’un nouveau vêtement blanc, symbole de la vie et de la résurrection.

Nous sommes nus

     Une interprétation moderne [1] de ce récit propose de comprendre que nous, lecteurs et lectrices d’aujourd’hui, nous sommes mis à nu par l’Évangile. Après avoir découvert le parcours de Jésus et son arrestation, nous perdons toutes nos certitudes préalables. Nous voici nus, en détresse, au seuil de la mort de celui en qui nous avions vu le Sauveur.

     Pour ma part, je crois qu’aucune de ces hypothèses ne peut expliquer pleinement la présence de ce jeune homme nu. Pour une fois, je vous l’accorde, il s’agit d’un élément vraiment insolite. Mais il reste utile dans le récit puisqu’il souligne le fait que tout le monde a fui, lors de l’arrestation de Jésus. L’un des disciples a eu tellement peur de se faire arrêter qu’il a abandonné son vêtement pour échapper aux gardes.

[1] Cette interprétation originale provient d’Elian Cuvillier, L’Évangile de Marc, Paris, Bayard/Labor et Fides, 2002, p. 289.

Sébastien Doane

Texte complet dans :
Mais d’où vient la femme de Caïn. Les récits insolites de la Bible
Sébastien Doane, Montréal, Novalis ; Paris, Médiaspaul, 2010.

Article précédent :
Les morts subites d’Ananias et Saphira