|
Des prostituées sacrées au Temple de Jérusalem
1 Rois 14, 24 ; 2 Rois 23, 7 ; Osée 4, 14
Dans les récits insolites du livre de la Genèse, nous avons vu que les Cananéens entretenaient un rapport à la sexualité qui paraissait tout à fait scandaleux en Israël. Nous allons maintenant comprendre pourquoi. Aux yeux des fidèles, ces pratiques sexuelles mettaient en péril la relation exclusive qu’ils s’étaient engagés à entretenir avec Dieu.
Roboam, fils de Salomon, devint roi en Juda; Roboam avait quarante et un ans quand il devint roi, et il régna dix-sept ans à Jérusalem, la ville que le Seigneur avait choisie parmi toutes les tribus d’Israël pour y mettre son nom. Le nom de la mère de Roboam était Naama, l’Ammonite.
Juda fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur et, par les péchés qu’il commit, provoqua sa jalousie plus que n’avaient fait leurs pères. Comme ceux-ci, ils bâtirent à leur usage des hauts lieux, des stèles et des poteaux sacrés sur toutes les collines élevées et sous tout arbre verdoyant; il y eut même des prostitués sacrés dans le pays, ils agirent selon toutes les abominations des nations que le Seigneur avait dépossédées devant les fils d’Israël. (1 Rois 14,21-24)
Dans le monde de l’Ancien Testament, la fréquentation de prostituées ne constitue pas nécessairement un délit moral ou juridique. Comme nous l’avons vu, Juda n’est pas blâmé pour avoir agi avec Tamar comme avec une prostituée (Gn 38,15-19). Les relations sexuelles entre des hommes mariés ou non et des femmes célibataires paraissent tout à fait acceptables. Par contre, un rapport sexuel entre un homme et une femme mariée à un autre homme est qualifié d’adultère et les deux personnes doivent être sévèrement punies et même exécutées.
Les prostitués, hommes et femmes, dont il est question dans ce récit sont « sacrés ». Ils appartiennent aux sanctuaires du dieu Baal. Baal est le dieu cananéen de l’orage et de la pluie. Il est souvent invoqué pour que les récoltes reçoivent l’eau nécessaire. En s’installant en Canaan, les Hébreux commencent eux aussi à prier Baal pour avoir une moisson abondante et ils se rendent à l’un de ses sanctuaires pour rencontrer une prostituée sacrée. La relation sexuelle est vue comme une sorte de rituel pour assurer la productivité de la terre, la fécondité des élevages, de même que la fertilité des personnes. L’acte devient une imitation de l’union entre les divinités Baal et Astarté.
Le récit précise que Roboam était roi quand cette pratique a commencé à se répandre. Il est le fils de Salomon, dont nous avons déjà souligné les liens avec des femmes étrangères et leurs divinités.
Certains récits de la Genèse condamnent sévèrement les mœurs sexuelles des ancêtres des Cananéens : Cham, Canaan, les villes de Sodome et Gomorrhe, etc. Plusieurs autres passages de la Bible s’élèvent contre la prostitution sacrée. Le livre du Deutéronome précise que des hommes se prostituaient aussi. Ils sont traités de « chiens ».
Il n’y aura pas de courtisane sacrée parmi les filles d’Israël; il n’y aura pas de prostitué sacré parmi les fils d’Israël. Tu n’apporteras jamais dans la maison du Seigneur ton Dieu, pour une offrande votive, le gain d’une prostituée ou le salaire d’un « chien », car, aussi bien l’un que l’autre, ils sont une abomination pour le Seigneur ton Dieu. (Deutéronome 23,18-19)
Cependant, le second livre des Rois mentionne la présence de prostituées dans le Temple de Jérusalem, à l’époque royale! Il faudra attendre le règne de Josias pour une véritable réforme du culte au Temple :
Le roi ordonna au grand prêtre Hilqiyahou, aux prêtres en second et aux gardiens du seuil de faire sortir du Temple du Seigneur tous les objets qu’on avait faits en l’honneur du Baal, d’Ashéra et de toute l’armée des cieux. On les brûla hors de Jérusalem, dans les plantations du Cédron et on emporta leurs cendres à Béthel.
Il supprima la prêtraille que les rois de Juda avaient établie pour brûler de l’encens sur les hauts lieux des villes de Juda et des environs de Jérusalem. Il supprima aussi ceux qui brûlaient de l’encens en l’honneur du Baal, du soleil, de la lune, des constellations et de toute l’armée des cieux.
Il transporta de la Maison du Seigneur, hors de Jérusalem, au ravin du Cédron, le poteau sacré qu’on brûla dans le ravin du Cédron; il le réduisit en cendres qu’il jeta à la fosse commune. Il démolit les maisons des prostitués sacrés qui étaient dans la Maison du Seigneur et où les femmes tissaient des robes pour Ashéra. (2 Rois 23,4-7)
Les auteurs du livre des Rois mettent l’accent sur les infidélités du peuple et de leurs rois. Ce sont ces infidélités qui, d’après eux, ont entraîné la destruction du pays et l’exil à Babylone. Ce passage indique clairement que Baal et Ashéra, deux divinités étrangères, avaient leur place au Temple de Jérusalem qui aurait dû être dédié uniquement à YHWH.
Les fouilles archéologie ont permis de retrouver des traces de la religion populaire des Israélites de l’époque. Sur une inscription provenant du royaume du sud, datée de l’an 600 avant notre ère environ, on trouve la mention « YHWH et son Ashéra ». Elle laisse entendre que la déesse Ashéra avait non seulement sa place dans la religion populaire, mais qu’elle était présentée comme la femme de YHWH!
Le terme « prostitution » prend aussi une signification symbolique : quand il est infidèle à l’alliance, le peuple se prostitue, dit la Bible. Osée est le premier prophète à exploiter ce thème pour dénoncer l’infidélité d’Israël. Sa vie personnelle devient elle-même le symbole de l’histoire de la relation entre Dieu et son peuple : sur l’ordre du Seigneur, il épouse une prostituée et il dit toute sa souffrance d’être trompé, comme Dieu par Israël.
Texte complet dans :
Mais d’où vient la femme de Caïn. Les récits insolites de la Bible
Sébastien Doane, Montréal, Novalis ; Paris, Médiaspaul, 2010.
Article précédent :
Les mille femmes de Salomon
|