Le Codex d’Alep
La transmission du texte de l’Ancien Testament
Francis Daoust | 21 avril 2017
La rédaction du texte de l’Ancien Testament est un long processus qui s’étend sur plusieurs siècles et qui implique plusieurs auteurs et de nombreuses couches rédactionnelles. Mais comment ce texte est-il parvenu jusqu’à nous aujourd’hui?
Pour répondre à la question, il est plus facile de fonctionner à rebours et de partir d’aujourd’hui car nous n’avons pas de texte original de l’Ancien Testament qui pourrait nous servir de point de départ. Comme des enquêteurs à la recherche de témoins, nous remonterons donc le temps afin de voir jusqu’où nous pouvons retourner afin de comprendre comment ce texte s’est rendu jusqu’à nous. Ce texte s’est-il transformé en cours de route? Et, si oui, de quelle manière?
On peut rallier l’opinion de la majorité des chercheurs modernes en affirmant que la plus grande partie des textes de l’Ancien Testament provient d’une période s’étendant du 7e au 5e siècle av. J.-C., c’est-à-dire autour de la période de l’exil qui s’est produite au 6e siècle av. J.-C. Pourtant, jusqu’à la fin du 19e siècle apr. J.-C., le plus vieux texte de l’Ancien Testament que nous connaissions était ce que l’on nomme le texte massorétique. Les massorètes étaient des familles de scribes et d’érudits juifs, ayant vécu dans des régions d’Israël et de l’Irak d’aujourd’hui. Entre le 6e et le 10e siècle apr. J.-C., ils ont méticuleusement copié le texte de la Bible hébraïque. Ils comptaient chaque lettre afin de s’assurer qu’ils ne manquaient aucun mot. À titre d’exemple, ils savaient que le texte de la Torah-Pentateuque comporte 304 805 lettres et que la lettre centrale de cet ensemble est un « aleph » qui se trouve en Lévitique 8,28. Ils ont également ajouté un système de notation fort précis qui permettait de bien comprendre chaque mot de la Bible hébraïque et de le prononcer correctement. La plus vieille version complète du texte massorétique est le Codex de Leningrad qui date de 1008 ou 1009 apr. J.-C. Le Codex d’Alep est, quant à lui, le plus vieux texte massorétique partiel que nous possédions. L’écriture des consonnes de ce texte fut complétée en 920 apr. J.-C. Nous savons que l’écriture des consonnes était réalisée par un scribe « apprenti ». Venait ensuite un scribe « sénior » qui s’occupait du travail plus spécialisé d’inscrire les voyelles et les signes diachroniques. Nous ignorons à quelle date les voyelles furent ajoutées au Codex d’Alep. Ces deux documents sont extrêmement précieux, mais il n’en demeure pas moins que ces copies ont été réalisées environ 1500 ans après l’exil à Babylone.
Une importante découverte, celle de la genizah du Caire, a permis aux chercheurs d’avoir accès à des textes de l’Ancien Testament légèrement plus anciens. Une genizah est un endroit où les juifs entreposent par respect tout écrit non utilisable comprenant le nom de Dieu. Ces textes ne sont jamais brûlés. Après un certain temps, ils sont inhumés comme on le ferait avec un corps humain. La genizah du Caire était connue depuis le milieu du 18e siècle apr. J.-C., mais sa valeur ne fut révélée qu’à la toute fin de ce siècle lorsqu’on y découvrit une copie en hébreu du texte de Ben Sirach (le Siracide ou Ecclésiastique). Avant cette découverte, on ne connaissait que la traduction grecque de ce texte de l’Ancien Testament orthodoxe et catholique (le mouvement protestant a rejeté ce texte qui ne fait pas partie de la Bible hébraïque et le considère comme un écrit apocryphe). La genizah du Caire fut alors fouillée de façon systématique et révéla des textes de l’Ancien Testament qui remontent jusqu’aux années 870 apr. J.-C.
Mais la plus importante découverte fut celle des manuscrits de la mer Morte, dégagés progressivement entre 1946 et 1956 dans 11 grottes situées près de la rive ouest de cette étendue d’eau très salée. Il s’agit, selon plusieurs, de la plus importante découverte archéologique du 20e siècle. Au total, près de 1000 documents différents furent identifiés. On y trouve des manuscrits bibliques, des textes apocryphes et des écrits sectaires jusqu’alors inconnus. Tous ces textes furent copiés entre le 3e siècle av. J.-C. et le 1er siècle apr. J.-C. Nous avions alors des copies de différents livres de l’Ancien Testament plus vieux d’environ un millénaire par rapport aux plus vieux textes que nous avions jusqu’à ce moment. Ces copies très anciennes ont révélé qu’il existait plusieurs familles de textes de l’Ancien Testament. Certains appartiennent à la famille du texte massorétique et ne présentent que de très rares variations par rapport au texte massorétique du Moyen-Âge, démontrant que les massorètes avaient copié le texte biblique de manière vraiment très attentive. D’autres manuscrits ressemblent davantage au texte que l’on retrouve dans la Septante, la traduction grecque des livres de la Bible hébraïque (et de quelques autres écrits que les juifs considéraient avec respect). D’autres manuscrits bibliques, encore, diffèrent de ces deux grandes familles. Un des nombreux intérêts des manuscrits de la mer Morte est qu’ils révèlent qu’il existait une certaine diversité parmi les textes bibliques de l’époque, affaiblissant à nouveau l’idée d’un seul texte original.
Des textes de l’Ancien Testament encore plus anciens ont été découverts depuis lors. En 1979, l’excavation du site archéologique de Ketef Hinnom à Jérusalem dégagea deux minuscules rouleaux d’argent comprenant des incantations en hébreu. Ces deux rouleaux furent datés de la première moitié du 7e siècle av. J.-C. Le deuxième rouleau comprend une partie du texte de Nombres 6,24-26. Il s’agit du plus vieux texte biblique que nous connaissons… jusqu’à aujourd’hui!
D’autres découvertes nous permettront peut-être d’en savoir davantage au sujet de la transmission du texte de l’Ancien Testament. Mais deux conclusions peuvent être retenues pour l’instant. Il faut d’abord se répéter qu’il n’existe pas de texte original et que ce que nous avons sont des copies de copies de copies de textes qui ne sont pas nécessairement tous identiques. On doit ensuite comprendre que ce que nous avions initialement étaient des petits morceaux (des prières, des incantations, des récits, des oracles prophétiques, des paroles de sagesse, etc.) qui ont été progressivement mis ensemble. Ces petits morceaux indépendants ont ensuite formé des documents eux aussi indépendants. Ces documents indépendants furent ensuite rassemblés, ordonnés, agencés et, jusqu’à un certain point, uniformisés afin de nous donner le recueil relativement cohérent que nous avons aujourd’hui dans nos Bibles.
Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).