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Comprendre la Bible
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chronique du 18 octobre 2013
 

Que faire des livres deutérocanoniques?

Saint Jérôme lisant

Georges de la Tour
Saint Jérôme lisant (détails)
Huile sur toile, 1621-23


QuestionPourquoi saint Jérôme avait-il un avis défavorable à propos des livres deutérocanoniques? Pourquoi ces livres ne font-ils pas parti du canon de la Bible hébraïque et des bibles protestantes? (Odon de Kinshasa, République démocratique du Congo)

RéponseDans le canon catholique, les livres bibliques appelés « deutérocanoniques » désignent les sept livres suivants : Tobit; Judith; 1–2 Maccabées; Sagesse; Siracide; Baruch. À ceux-là, il faut encore ajouter 3–4 Maccabées ainsi que quelques autres livres (Odes, 3–4 Esdras) dans le canon orthodoxe. Le terme « deutérocanonique » signifie une canonicité, c’est-à-dire une inspiration, dans un second temps. Il ne signifie pas que les livres deutérocanoniques sont moins inspirés que les autres. Dans les définitions dogmatiques de l’Église catholique, tous les livres sont inspirés sur le même pied. Ce n’est qu’une question chronologique. Il ne s’agit pas non plus d’un jugement de valeur sur le contenu de ces livres, certains étant même beaucoup plus « spirituels » que plusieurs livres du canon hébreu.

Bible hébraïque vs. Septante grecque

     L’histoire textuelle de la Bible est beaucoup plus complexe que la plupart des croyants ne pensent. C’est ainsi que le canon, c’est-à-dire la liste des livres considérés comme inspirés, n’a été fixé qu’à une époque plutôt tardive, plus ou moins entre le Ier siècle avant et le Ier siècle après Jésus Christ. La différence dans la liste des livres considérés comme inspirés vient du canon de la Bible hébraïque et de celui de la Septante grecque (la traduction de ces livres en grec faite à Alexandrie à partir du IIe siècle avant notre ère).

     La Bible hébraïque considère comme canoniques 22 livres (les douze petits prophètes étant comptés comme un seul livre, les « Douze »). La Septante grecque a ajouté à cette liste les livres que nous appelons deutérocanoniques. Il semble bien, à partir des témoignages anciens, que les juifs de langue grecque considéraient cette version autant inspirée que la version en hébreu. C’est la Septante grecque que les premiers chrétiens, qui ne savaient généralement pas l’hébreu, ont acceptée et lue. C’est ainsi que les plus anciens manuscrits que nous possédons de la Bible contiennent les livres de Genèse à Apocalypse en grec.

     Cette double tradition textuelle ne semble pas avoir causé de problème majeur chez les croyants jusqu’à la naissance du christianisme et jusqu’aux événements politiques de la fin du Ier siècle de notre ère. C’est ainsi que les découvertes de Qumrân ont montré, entre autres choses, l’existence d’une pluralité textuelle avant la systématisation massorétique (c’est-à-dire l’édition de la Bible hébraïque par les massorètes à partir du IVe siècle de notre ère). Les chrétiens qui ne s’exprimaient majoritairement pas en hébreu se sont « emparés » de la Septante grecque qu’ils ont considérée comme « leur » Bible. Ceci a provoqué un mouvement de réaction dans le judaïsme orthodoxe. De plus, la révolte juive de 68-70 de notre ère qui se termina par la destruction du temple par les Romains ainsi que la disparition de certains groupes, dont les sadducéens, a forcé le judaïsme à se redéfinir. C’est ainsi qu’il a été décidé, dans la célèbre mais énigmatique assemblée de Yamnia (vers 90 de notre ère), de ne retenir dans son canon que les seuls livres originellement écrits en hébreu. Quant au christianisme, il a continué à lire la Septante avec tous les livres dans son canon.

Les bibles catholiques et protestantes

     C’est à l’époque de la réforme protestante que la situation a changé. Les catholiques lisaient déjà la Vulgate latine depuis le IVe siècle qui reprenait le canon de la Septante. Ils ont continué à faire ce qu’ils avaient toujours fait. Quant aux mouvements issus de la Réforme, leur axiome de base étant « scriptura sola » (l’écriture seulement), ils ont choisi de reprendre le canon de la Bible hébraïque avec ses 22 livres, et donc de ne pas reconnaître la canonicité des deutérocanoniques. D’abord inclus en appendice dans les premières éditions des Bibles protestantes en langues modernes, ils sont peu à peu disparus jusqu’à être appelés « apocryphes », à l’instar des autres livres anciens qui n’ont jamais été reconnus canoniques.

Saint Jérôme, l’hébréophile

     Dans cette évolution complexe, saint Jérôme est un cas d’exception. Rhéteur et érudit, il a passé sa vie à étudier la Bible. Pour ce faire, il a appris l’hébreu (qu’il ne savait pas si bien, d’après les spécialistes). On pense que c’est pour cette raison qu’il a accordé une plus grande importance aux seuls livres du canon hébreu aux dépens de ceux ajoutés dans le canon grec, contrairement à tous les autres Pères de l’Église ancienne. C’est ce qu’on appelle la « veritas hebraica » de saint Jérôme. Ainsi, quand le pape Damase le chargea de mettre fin à la confusion des multiples traductions latines (la Vetus Latina), Jérôme ne voulut, dans un premier temps, que traduire les seuls livres originellement écrits en hébreu, directement des manuscrits hébreux disponibles. On doit à une intervention directe du pape l’obligation qu’il traduise aussi les deutérocanoniques. Mais Jérôme, patron des mauvais caractères, obéit en s’acquittant de cette tâche de mauvais gré, en traduisant ces livres rapidement et sans application.

L’utopie du texte original

     Dans le fond, la question des deutérocanoniques est une question du mythe de l’original. Pour plusieurs personnes, l’inspiration d’un livre, d’un écrit, d’une œuvre, est dans l’original seulement. Toute addition, tout changement à cette œuvre est une erreur qui la dénature. L’exégèse historico-critique a longtemps pensé de cette façon, mais c’est erroné. Aujourd’hui, on est beaucoup plus sensible à l’évolution des idées qui se manifeste dans la vie des écrits. C’est ainsi qu’un livre écrit à une époque donnée, avec la foi et la théologie de cette époque, reçut des ajouts et des changements à mesure que la foi et la doctrine ont évolué. Ce phénomène n’est pas mauvais, au contraire il est signe de santé. Ainsi, quand les anciens ajoutaient une phrase ou un paragraphe aux livres anciens pour les adapter ou les actualiser pour les lecteurs de leur époque, ils ne faisaient dans le texte que ce que nous faisons dans les commentaires ou les homélies. Les livres deutérocanoniques sont un exemple de ce phénomène vivant d’adaptation et d’actualisation de l’écrit qui, comme on sait, se démode rapidement. La réaction de refus envers les deutérocanoniques est, en fait, un refus de la tradition interprétative qui, par la force des choses, doit répondre aux questions nouvelles posées par l’évolution de la vie. C’est ainsi que, pour les catholiques, il y a deux sources de révélation : la Bible et la tradition. Il s’agit d’une intelligence élémentaire qui se rend compte que l’écrit, surtout ancien, ne peut pas apporter toutes les réponses, surtout aux questions nouvelles que les anciens n’avaient même pas imaginées.

     On aurait donc dans notre Bible, une première étape de la tradition interprétative des livres deutérocanoniques. Mais la question est encore plus complexe. Prenons l’exemple du livre d’Esther. Il est dans la liste des livres canoniques du canon hébreu, mais la Septante propose un texte beaucoup plus long, avec de nombreux ajouts qui en changent substantiellement le sens. Le courant juif/protestant ne retient que le texte hébreu alors que le courant grec/catholique/orthodoxe accepte le livre dans son état évolué. De plus, le principe de base qui a servi au rejet des deutérocanoniques, à savoir les livres écrits originellement en hébreu, ne vaut même pas. À parti de la fin du 19e siècle, par exemple, on a commencé à retrouver des manuscrits du livre du Siracide en hébreu, de sorte qu’on possède actuellement les deux tiers du livre. C’est donc un livre qui a été écrit en hébreu, comme d’autres deutérocanoniques sans doute, mais dont le texte hébreu a été perdu.

     Il semble donc qu’il faille se garder de trop durcir les concepts. La parole de Dieu dans l’écrit ne saurait se réduire à un « original » perdu à jamais dans lequel Dieu n’aurait parlé qu’une seule fois. Il s’agit en fait d’un long processus qui a, dans un premier temps, laissé des traces dans l’écrit, pour se continuer ensuite dans l’oral par la tradition interprétative.

Hervé Tremblay

 

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