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Comprendre la Bible
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chronique du 8 février 2013
 

Les livres des Rois et des Chroniques : une même histoire ?

Le roi David


QuestionPourquoi y a-t-il des divergences entre les livres des Rois et le livre des Chroniques? (David)

RéponseIl y a en effet des différences considérables entre les livres des Rois et les livres des Chroniques dans la présentation des rois de Juda. Qu’il suffise d’en nommer quelques-unes. Alors que les livres de Rois offrent une présentation synchronique des rois des deux royaumes (du nord et du sud), les Chroniques ne présentent que les rois du sud, après David et Salomon (et disent très peu sur Saül). La différence majeure est que les rois de Juda sont insérés dans le système sacerdotal et lévitique du deuxième temple, dans lequel la loi de Moïse a pris la première place. Le livre des Chroniques traduit une obsession pour le culte, les sacrifices, les chantres, les généalogies. On peut se référer aux commentaires pour de plus amples détails.

     Comment évaluer ces différences? Il semble que la meilleure façon soit de regarder les journaux d’aujourd’hui (et oui! les journaux). Une nouvelle, un événement, un fait, contient un aspect objectif. Par exemple : un crime a été commis à tel endroit contre telle personne; un premier ministre a déclaré ceci ou cela devant telle groupe; une bataille a eu lieu entre deux groupes armés à tel endroit. Mais il faut aussi considérer l’aspect subjectif de l’événement, c’est-à-dire la façon dont il est reçu, évalué ou jugé. Ainsi, celui qui est d’accord avec la déclaration du premier ministre ne rapportera pas la déclaration de la même manière que celui qui n’est pas d’accord, voire de la même manière que celui qui y est totalement opposé. Si c’est le groupe armé soutenu par le journaliste qui a perdu la bataille, son article s’en ressentira, comme il s’en ressentira si le journaliste soutenait ceux qui ont vaincu. Ainsi, la même nouvelle pourra être rapportée par l’un comme une « grande victoire », par l’autre comme une « grave défaite », sans que ce jugement change quoi que ce soit à l’objectivité de l’événement.

     C’est un peu la même chose qui se passe entre la façon dont les livres des Rois et les livres des Chroniques rapportent les événements liés à la période monarchique. Le plus ancien dans le temps, le livre des Rois, aurait été écrit soit à la fin de la période monarchique (vers 600 avant notre ère), soit plutôt au début de la période exilique (vers 550). Toutefois, il faut se garder de croire que les événements rapportés dans le livre des Rois soient nécessairement plus justes ou plus « historiques » parce que le livre qui les rapporte est plus ancien. En effet, les livres des Rois font partie de ce qu’il est convenu d’appeler « l’historiographie deutéronomiste ». C’est-à-dire que c’est l’école deutéronomiste (celle qui a écrit, entre autres, le livre de Deutéronome) qui est responsable de l’édition des livres. La présentation des rois est donc tributaire de la vision et de la théologie deutéronomistes. En d’autres termes, les livres de rois ne sont pas plus objectifs que les autres livres de la Bible dans leur présentation des faits. Si un premier regard permet de voir une présentation des rois selon un modèle standard (année du début du règne par rapport à l’autre royaume, âge, durée du règne), le jugement porté sur chaque roi est typiquement deutéronomiste. Les rois du royaume du Nord sont tous condamnés parce qu’ils n’ont pas été fidèles au temple de Jérusalem. Quant aux rois du royaume du sud, le seul critère de jugement est leur fidélité ou non à l’unicité du sanctuaire, à savoir le temple de Jérusalem. Ainsi, par pure hypothèse, un roi qui aurait promu la justice et le droit, développé l’économie et la paix, mais qui n’aurait pas été fidèle à l’unicité du sanctuaire et aurait laissé offrir des sacrifices dans les anciens sanctuaires, est jugé comme un mauvais roi. Au contraire, toujours par pure hypothèse, un roi qui aurait mené des guerres et exploité son peuple, mais qui aurait respecté l’unicité du sanctuaire, serait jugé comme un bon roi. Le modèle du bon roi, le roi par excellence, c’est David, auquel ses descendants sont constamment comparés. Le théologien deutéronomiste n’est pas plus objectif, même s’il y avait d’autres distinctions à faire. Cela dit, on croit généralement que, malgré ce jugement par rapport à une seule loi – promulguée d’ailleurs vers la fin de la période monarchique seulement – la présentation des livres de Rois est généralement fiable historiquement.

     C’est un phénomène semblable qui se produit avec les livres des Chroniques. Le milieu et l’époque ont changé. L’auteur, qui a aussi écrit les livres d’Esdras et de Néhémie, est appelé le « chroniste ». On s’entend pour dire que son œuvre daterait des environs de l’an 450/400 avant notre ère, donc plusieurs décennies après le retour d’exil. Il entend présenter le retour d’exil et la reconstruction de la société sur de nouvelles bases. Quelles bases? La loi de Moïse, le culte lévitique du temple de Jérusalem, la théocratie. En effet, comme les exilés qui ont eu la permission de rentrer faisaient toujours partie de l’Empire perse, et donc que les dirigeants politiques étaient des fonctionnaires perses, les prêtres ont joué un rôle de premier plan dans la reconstruction postexilique. C’est un peu ce qui est arrivé au Canada français après la conquête anglaise au 18e siècle. Comme toutes les élites françaises sont rentrées en France, les prêtres se sont mis à jouer, de gré ou de force, un rôle plus que religieux de conservation et de reconstruction. Les Chroniques présentent donc l’époque ancienne comme celle dans laquelle ils vivent. Les rois de Juda sont présentés comme des hommes vivant dans la société théocratique de l’époque perse, dans laquelle le culte et l’observance de la loi de Moïse ont pris tant de place, une place qu’ils n’avaient pas auparavant. Si on lisait les Chroniques après le Pentateuque, qui adopte aussi cette attitude, on ne verrait pas de différences et on pourrait croire que la religion d’Israël a toujours été la même, sans changement ni évolution.

     Le regard de l’un comme de l’autre sur les rois d’Israël est donc biaisé, voire injuste, pas complètement historique en tout cas. Car si le deutéronomiste (l’auteur ou l’éditeur des livres des Rois) juge les rois selon une loi qu’ils n’ont pas connue pour la plupart de leur vivant (et qu’ils auraient dû connaître, semble-t-il), le chroniste les présente comme de parfaits connaisseurs de la loi de Moïse et des promoteurs de la théocratie lévitique de l’époque postexilique. L’historien doit s’arranger pour découvrir la vérité historique entre ces deux présentations. Comme les évangiles synoptiques par rapport à l’évangile de Jean, on a affaire ici à deux présentations des rois selon deux idéologies, deux théologies et deux projets de société. Ce qui est extraordinaire, c’est que le canon biblique a gardé ces deux collections littéraires, comme il a gardé le Pentateuque (d’une façon différence, il est vrai) et les autres traditions bibliques.

Hervé Tremblay

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