chronique du 12 janvier 2007 |
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Royauté et vérité selon Jean 18, 33-38Dans l’évangile selon saint Jean (18,33-38), il est de la Royauté de Jésus. Qu’est-ce que Royauté ? Comment fait-on pour mettre en lien cette royauté avec la vérité ?
Ces six parties forment deux groupes : les parties 1 à 4, et les parties 5 et 6. Chaque groupe a une issue identique : à la déclaration de Pilate : « Voici l’homme » (Jean 19,5) – « Voici votre roi » (Jean 19,14), la foule répond chaque fois : « Crucifie-le! » (Jean 19,6.15). Dans les deux groupes, l’accent est mis sur l’entretien entre Pilate et Jésus lors des deux comparutions de Jésus devant Pilate (Jean 18,33-38 et Jean 19,8-12a). À la question de Pilate à Jésus : « Es-tu le roi des Juifs? » (Jean 18, 33) – une question qui laisse entendre que Pilate est intéressé seulement par le senspolitique de la royauté de Jésus, ce dernier le rassure en disant que sa « royauté n’est pas de ce monde » (Jean 18,36). Pilate n’a donc aucune raison de s’en inquiéter, et le rôle de juge qu’il est amené à jouer lui est imposé de l’extérieur. À la deuxième question de Pilate : « Tu es donc roi? » (Jean 18,37), Jésus répond : « C’est toi qui le dis! Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (Jean 18,37). Cette dernière affirmation de Jésus signifie un tournant dans l’entretien avec Pilate : la question politiquedevient une question de foi, et Pilate se fait demander s’il est prêt à écouter la voix de Jésus et à montrer par là qu’il est dela vérité. Mais comment donc cette prétendue vérité pourrait-elle bien concerner un représentant de l’État?... « Qu’est-ce que la vérité? » (Jean 8,37), se contente de demander Pilate qui choisit donc de rester neutre. Même si la prétention de Jésus à la royauté ne concerne pas l’État comme tel, même si cette royauté n’entre pas en concurrence avec l’État en tant que force politique, il n’en demeure pas moins que cette prétention ne peut laisser personne indifférent; elle concerne au contraire tous et chacun et atteint donc de cette manière le domaine politique aussi. En effet, la royauté de Jésus ne relève pas d’un domaine isolé du monde; elle n’appartient pas au domaine d’une intériorité tout occupée à la satisfaction privée de besoins religieux qui n’entreraient aucunement en conflit avec le monde. La royauté de Jésus interpelle chaque personne dans sa provenance même, c’est-à-dire pour l’évangile de Jean, dans ce qu’elle est vraiment. Et la vérité dont elle témoigne n’est pas seulement une question de connaissance et de savoir dont le caractère gratuit serait encore souligné par l’absence de rapports avec les réalités de la vie. Avec le récit évangélique de Jésus devant Pilate, c’est le salut de l’humanité apporté par Jésus qui est affirmé; une affirmation dont la force tranquille qui habite Jésus est porteuse d’une vérité invitant toute personne à faire que le monde soit toujours davantage un peu plus la création de Dieu, au lieu d’être un véritable enfer. En d’autres mots, le fait que le monde soit un monde créé n’est pas simplement une vérité donnée une fois pour toutes et qui n’aurait qu’à être répétée; c’est une vérité à faire tous les jours, comme le souligne fortement l’évangile de Jean (Jean 3,21) pour qui il ne s’agit pas simplement de direla vérité, mais d’être dans la vérité. Or pour l’évangile de Jean, on ne peut êtredans la vérité sans la faire. La question de Pilate : « Qu’est-ce que la vérité? » n’est pas à comprendre comme l’expression d’un scepticisme peu soucieux de la vérité et qui signifierait seulement : « La vérité? Mais on s’en fout! » Le fait que Jésus ne répond pas à la question de Pilate n’est pas non plus le signe que son silence serait sa façon à lui de rétorquer en opposant à la question de Pilate la question : « Qu’est-ce que la réalité? » et donc de laisser entendre : « La réalité? Mais je m’en fiche! » Comme si la réalité était tellement tout pour Pilate que la vérité, elle, ne serait strictement rien pour lui, alors que pour Jésus, ce serait exactement le contraire : la vérité, c’est-à-dire le ‘monde des idées’ serait tellement tout pour lui que le ‘monde des faits’ ne serait rien du tout. C’est ce que laissait entendre Oswald Spengler dans le tome 2 de son livre Le déclin de l’Occident (paru en 1922 et réédité depuis jusque dans les années 70) lorsqu’il affirmait que la question de la vérité posée par Pilate est la seule parole de tout le Nouveau Testament qui a vraiment du poids, puisqu’une authentique religiosité se doit d’être indifférente face aux réalité de la vie, sous peine de cesser d’être ce qu’elle doit être. La vérité en relation étroite avec la royauté de Jésus n’encourage pas une sorte de nostalgie pour une forme d’organisation politique devenue rarissime à notre époque. Si le dernier dimanche de l’année liturgique remplace, par l’affirmation de la royauté de Jésus, l’évocation de la fin du monde et de la venue du Fils de l’Homme dont on trouve le récit dans les évangiles de Matthieu (chapitre 24,27-31), de Marc (chapitre 13,24-27), et de Luc (chapitre 21,25-28), ce n’est pas pour rappeler le fait que ce monde-ci importerait finalement assez peu comparé à une vérité qui, elle, serait ailleurs, toujours pareille à elle-même, dans un autre monde. Le lien étroit de la vérité avec la royauté de Jésus signifie que la vérité est à faire et que c’est là la seule manière d’être dans la vérité et de témoigner de la vérité. Ceci met dans une juste perspective la relation entre création et rédemption, entre le fait que le monde est créé et sauvé. En effet, si la Bible affirme d’abord que le monde est création de Dieu, si elle ‘commence par le commencement’, c’est-à-dire par le récit de la création du monde, avantde faire le récit de la libération de la servitude de l’Égypte – et si les évangiles, eux aussi, ‘commencent par le commencement’ et parlent d’abord de la naissance de Jésus avantde parler de sa vie publique et de sa mort pour le salut du monde, ce n’est pas pour faire oublier que tant le récit de la création du monde que le récit de la naissance de Jésus sont l’expressiond’une expériencede salut-libération, et non l’inverse. L’affirmation d’un monde créé n’est pas le fait d’une vérité à déclarer ou à proclamer en dépitdes circonstances; c’est l’affirmation d’une vérité qui ne peut être que si elle se fait dans une expériencede salut- libération qui marque l’être même de tous ceux et celles qui, comme le rappelle l’évangile de Jean, sont dela vérité. Lire aussi : Chronique précédente : |
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