chronique du 22 septembre 2000 |
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Les témoignages d'une conversionÀ propos de la conversion de saint Paul. Dans Actes 9,7, il est écrit que les hommes voyageant avec Saül entendaient la voix mais ne voyaient personne. Dans Actes 22,9 il est écrit que ceux qui étaient avec Saül virent la lumière mais n'entendirent pas la voix. Est-ce une erreur? (M. Olivier) Cher ami, vous n'avez pas « mal lu » et il n'y a pas d'erreur. Au contraire, vous avez remarqué quelque chose de subtil et, c'est tout à votre honneur. En fait, nous pourrions ajouter un troisième puis un quatrième texte. Cette conversion, il en est question à deux autres endroits: un autre récit de Luc (Ac 26,9-18) et dans une lettre de Paul (1 Co 15,6, voir aussi 9,1). Quelques constats s'imposent. D'abord, les descriptions belles et riches du livre des Actes contrastent avec la sobriété des passages pris dans l'épître aux Corinthiens. Il est vrai que là n'est pas l'objet de son propos mais, en bout de ligne, l'auteur reste sobre sur l'événement. Il « a vu le Seigneur » ou il « lui est apparu ». Lorsque nous étudions attentivement le chapitre 15 d'un peu plus près, on constate que toute l'argumentation de Paul se structure autour d'une expérience du Ressuscité. Paul tente de décrire le corps d'un Ressuscité et son langage n'est pas des plus clairs. L'argumentation est serrée et pointe en direction d'une expression très audacieuse: un « corps spirituel » (v. 44). Dans la culture grecque de l'époque, cela correspond à dire une grossièreté du genre « une noirceur éclatante ». Le « spirituel » était du domaine de « l'âme » et le corps, « enveloppe périssable », n'était voué qu'à la disparition, seule l'âme subsistant dans l'éternité. Un « corps spirituel » était une contradiction dans les termes. Peut-être est-ce là l'explication des moqueries d'Athènes envers Paul (Ac 17,31-32). Or, quand on lit en parallèle les trois récits de la conversion de Paul dans les Actes des Apôtres, on constate plusieurs différences. Celle que vous avez relevée, les compagnons de Paul, est intéressante puisqu'elle nous permet de saisir le travail d'un rédacteur comme Luc et sa visée. Les convergencesCe qu'il faut d'abord souligner, ce sont les convergences des récits. Les voici :
Que pouvons-nous dire de ces convergences? Nous avons à faire à un événement qui est décrit selon la forme des récits de vocation ou d'apparition (ils sont très apparentés): la venue d'un personnage céleste, la description grandiose, la lumière éclatante, le respect des personnages humains, l'appel par son nom, l'envoi, etc. Tout concorde. Or, par ailleurs, nous voyons que cette forme tente de décrire quelque chose d'insaisissable, qui dépasse l'ordinaire de notre vie humaine. Dans ces récits, se trouve souvent concentrée une expérience déterminante d'un personnage dans sa rencontre de Dieu. Dans ce contexte, l'auteur tente surtout d'éveiller chez l'auditeur, par des images très fortes et des paroles solennelles, l'importance de ce qui est en train de se dérouler. Les récits de vocation ont ceci de particulier : ils tentent de nous faire entrer « par l'intérieur » dans l'expérience du personnage principal -- lui qui sera un acteur très important dans la suite du récit. C'est une lumière, mais ce n'est pas une: plus brillante que le soleil du midi, etc. En d'autres termes, ce type de récit tente de raconter quelque chose... d'indescriptible. Les différences et leur importanceÉtant donnée l'importance de ce qui est raconté, les différences, en fait, sont plutôt minces même si elles ne sont pas sans valeur. Ainsi, dans le premier récit, les compagnons s'arrêtent, restent muets, entendent la voix mais ne voient personne (9,7). Dans le deuxième, ils voient la lumière, mais n'entendent pas la voix (22,11). Dans le troisième, l'éclat enveloppe aussi les compagnons, ceux-ci tombent par terre avec Paul... et puis disparaissent au profit d'un long envoi en mission (26,14 et ss). Nous pourrions noter encore quelques différences, mais nous aurions peut-être tord de leur accorder une importance démesurée, selon la perspective que veut bien leur donner l'auteur qui nous les raconte. Il faut reconnaître que notre sensibilité d'occidentaux, soucieux de détail historique et de précision, reste un peu sur sa faim. Nous aimerions avoir plus d'exactitude, plus d'uniformité, etc. Au fond, nous nous posons toujours la question: « Mais que s'est-il passé, au juste...? ». Les auteurs bibliques, et en particulier Luc, sont des auteurs remarquables et intelligents. Nul doute qu'ils étaient en mesure de comparer, eux aussi, et de constater les différences. Luc n'a pas jugé bon « d'harmoniser » les trois récits probablement parce que l'essentiel, pour lui, ... se trouve ailleurs. Ne nous verrait-il pas un peu pointilleux alors qu'il tente de nous faire entrer dans un événement qui a complètement bouleversé une vie (et l'origine du christianisme)? Dans la Bible, le langage de la rencontre du monde de Dieu (Dieu lui-même, les anges, le Ressuscité) tente de nous faire saisir la grandeur et l'importance de ce qui s'est joué en ces moments, et dans notre cas sur le chemin de Damas. Luc raconte non d'abord pour informer mais pour instruire: il veut solidifier ses auditeurs en transcrivant dans un langage compréhensible ce qui est justement ... difficile à saisir et à expliquer. Quand on y regarde de près, l'essentiel est préservé et le sens nous est transmis. Je soupçonne que Luc serait tout à fait satisfait de cela. Comparés en parallèle avec les mots mêmes de Paul (1 Co 15) -- marqués par une énergie remarquable à la défense du Ressuscité et de la résurrection -- les récits des Actes nous indiquent clairement que l'on touche à ce qu'il y a de plus beau et de plus profond chez l'apôtre des Gentils. Saurons-nous décoder ces textes correctement? Saurons-nous en saisir l'importance même s'ils ne répondent pas à toutes nos questions? En tant qu'hommes et femmes modernes, à nous de résoudre nos insatisfactions... Article précédent
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