La basilique de l’Annonciation (Rafael Benari / 123RF).
Nazareth et la basilique de l’Annonciation
Robert David | 12 décembre 2022
Petite localité perdue de Basse-Galilée, le village de Nazareth n’aurait sans doute jamais fait parler de lui, n’eut été de la place qui allait lui être réservée dans les évangiles et la vie de Jésus. Ce n’est pas pour rien qu’on véhiculait ce dicton : « Que peut-il sortir de bon de Nazareth? » (Jean 1,46) Le village de l’époque néotestamentaire n’avait aucunement l’envergure de la ville actuelle, qui compte au-delà de 77 000 personnes, ce qui en fait aujourd’hui la plus grande ville arabe d’Israël.
Il n’est jamais fait mention de Nazareth dans les textes anciens avant l’époque du Nouveau Testament, même si on a trouvé des objets datant de l’époque du Moyen bronze et du Fer. Ce sont les évangiles qui en feront le théâtre de quelques événements de la vie de Jésus, depuis l’Annonciation (Luc 1,26), quelques allusions d’enfance (Luc 2,39.51), jusqu’à son expulsion par les membres de la communauté locale (Luc 4,29). Autrement, sa vie publique se passe plutôt dans la région Nord du lac de Tibériade.
Il faut attendre la période byzantine avant de lire des témoignages relatant la présence de Chrétiens dans le village. À en juger par les écrits anciens, avant le 6e siècle, seuls des Juifs habitaient le village, ce qui n’exclut pas que des pèlerins chrétiens aient pu visiter les lieux dès le 4e siècle (selon Jérôme et Égérie). On doit d’ailleurs à un pèlerin du 6e siècle la première mention de la présence d’une église sur la maison de Marie.
Comme ce fut le cas pour la plupart des églises de Palestine, celle de Nazareth fut détruite par les Perses en 614. Cependant, Arculf, pèlerin du 7e siècle, signale la présence de deux églises à Nazareth en 670 : une première construite sur la maison de l’Annonciation, et une autre sur la fontaine où Marie venait puiser de l’eau.
À l’époque des Croisés, Tancrède fait ériger, vers l’an 1100, une église sur le site de l’Annonciation, église qui restera en opération même après la fin du royaume Latin en 1187. L’église subira cependant les affres de la destruction. Ce n’est qu’au 17e siècle que les Franciscains recevront la permission de reprendre possession des lieux et de reconstruire une nouvelle église, en 1730, sur le site de l’Annonciation. Cette église sera remplacée, deux siècles plus tard, par la basilique actuelle (1955).
Des fouilles archéologiques d’importance ont été entreprises par les Franciscains avant l’érection de la basilique actuelle. Celles-ci ont révélé la présence de quelques maisons et abris dans le voisinage de la basilique. L’extension totale du village ancien est difficile à préciser car des habitations se trouvent maintenant partout dans la ville. Quelques fouilles dans des maisons voisines ont toutefois permis de retrouver d’autres habitations anciennes dont une, que la tradition attribue à Joseph, et où l’on a retrouvé des traces d’un baptistère qui aurait pu faire partie de l’ancienne église byzantine. À quelques mètres de la basilique actuelle, une église orthodoxe se présente comme le lieu où se trouvait la fontaine du village où Marie venait puiser de l’eau. Il est probable que cette église orthodoxe occupe l’emplacement d’une des deux églises décrites par Arculf au 7e siècle.
En ce qui concerne la synagogue où Jésus aurait enseigné (Luc 4), elle n’a jamais été retrouvée. Il n’est pas impossible que les synagogues des petits villages du 1er siècle étaient simplement des maisons où se réunissaient les membres de la communauté.
L’intérêt archéologique majeur de Nazareth, aujourd’hui, se trouve dans l’église de l’Annonciation. Même si l’église moderne offre un style architectural plutôt douteux, il faut bien reconnaître que le site lui-même a été le théâtre de plusieurs constructions successives au cours des siècles, témoins d’une tradition qui s’y est maintenue, malgré les difficultés.
La basilique au centre du village (Oussama Damoni / Wikipedia).
Comme la photo plus haut le laisse voir, la basilique de l’Annonciation occupe une part importante du centre du village. Impossible de la manquer. En regardant cette photo je ne peux m’empêcher de formuler ici un commentaire personnel (partagé par plusieurs personnes qui visitent ces lieux). Le village de Nazareth compte une population arabe assez pauvre, qui arrive à peine à survivre aujourd’hui. Les besoins en services de toutes sortes sont criants et manquent cruellement. On peut se demander si les fonds amassés à même les quêtes spéciales du Vendredi saint pour les lieux saints n’auraient pas pu être utilisés à des fins davantage sociales plutôt qu’à la construction d’une basilique pouvant accueillir près de 3000 fidèles, mais qui reste à peu près vide toute l’année.
(Yaniv Ben-Arie / Wikipedia)
L’extérieur de l’église de l’Annonciation
Cette vue, prise au début de la nuit, de la basilique de l’Annonciation, nous fait voir de plus près la coupole qui domine tous les environs. Si le style vous semble un peu familier, c’est que l’architecte qui a conçu cette église (Antonio Barluzzi), est le même qui a conçu celle du Cap-de-la-Madeleine. D’où la parenté de style des deux dômes.
Ce dôme culmine à 57 m de hauteur. Les dimensions de l’église sont à peu près les mêmes que celle construite au même endroit par les Croisés (70 m x 30 m). Elle fait 68 m de longueur par 29 m de largeur et 20 m de hauteur.
D’après les fouilles menées par le père Bagatti, l’essentiel du village ancien se trouvait aux alentours de l’enceinte actuelle de la basilique. La découverte de tombes des premiers siècles sur les flancs Ouest de la basilique et sur la colline Est permet de faire une telle affirmation puisque les cimetières se trouvaient anciennement à l’extérieur des villes. On a même retrouvé, dans ces lieux de sépultures, une tombe avec une pierre roulée, du même type que celle dont il est question dans les récits de la passion-résurrection.
Plan des constructions successives (Wikipédia).
Ce plan permet de suivre l’évolution des diverses constructions qui se sont succédées sur l’emplacement de ce que la tradition a reconnu comme ayant été la maison de Marie. Les données de ces tracés ont été fournies principalement par les fouilles de Bagatti menées en 1955.
Sous l’ensemble des églises, on a retrouvé un certain nombre de silos, de grottes et de cavités qui avaient servi à entreposer diverses denrées. Comme on se trouve à flanc de coteau, il n’est pas étonnant que l’on ait découvert des grottes aux alentours. Sous la nef de l’église byzantine se trouvait une citerne à laquelle on accédait par une série de sept marches creusées dans le roc. Des symboles étaient gravés sur les parois plâtrées, symboles que les fouilleurs identifient comme chrétiens. On a également trouvé des parties de graffiti (IH) qui pourraient laisser penser au nom de Jésus. D’autres découvertes associent les lieux aux chrétiens des premiers siècles. Ainsi, des croix gravées sur des chapiteaux, les mots « XE MARIA » (Je vous salue Marie) qui font sans doute référence à Marie, un bateau, symbole de l’Église, des invocations adressées à Dieu, etc. Tous ces objets et inscriptions datent des 3e et 4e siècles donc, avant la construction de la première église byzantine officielle. Comme le plan le montre, la grotte de l’Annonciation (voir la flèche rouge) restait, au départ, en dehors de la construction byzantine du 5e siècle.
L’église byzantine correspond, dans son plan, aux autres églises construites à la même époque en Palestine : pronaos, église à trois ailes, décorations de mosaïques et fresques. Ce qu’il en reste est cependant assez minime, l’essentiel ayant été repris dans l’église des Croisés.
Les Croisés se chargeront de construire un édifice beaucoup plus imposant, de style roman, incorporant cette fois la grotte à l’édifice. Les objets de cette église découverts durant les fouilles permettent de conclure que celle-ci jouissait d’un prestige remarquable. Les murs étaient richement décorés, les chapiteaux étaient finement sculptés de scènes bibliques très réalistes. Il est clair que les Croisés avaient fait de cette construction l’un de leur chef-d’œuvre. Malheureusement pour eux, il semble que l’édifice ne fut jamais totalement complété et que plusieurs de ces belles sculptures ne furent jamais posées là où l’on avait prévu les mettre, les Croisés ayant été vaincus par les Musulmans avant la fin de la construction. Ils se contentèrent de cacher les statues et les sculptures pour ne pas qu’elles tombent aux mains de l’ennemi. Elles restèrent cachées jusqu’à leur exhumation en 1955. Une chance pour elles, car il semble que les conquérants et les musulmans qui occupèrent la ville par la suite firent un mauvais parti aux édifices religieux, du moins jusqu’à ce que les Franciscains et d’autres communautés religieuses obtiennent le droit de revenir s’installer dans le village au 17e siècle.
Plusieurs édifices religieux se construisirent un peu partout aux alentours de l’ancienne basilique des Croisés, témoins de la présence des diverses communautés qui venaient lentement s’y établir. Les Franciscains construisirent un petit monastère qui laissa finalement place à la grande basilique qui domine maintenant le village. Comme on peut le constater sur le plan, la structure de la basilique moderne est sensiblement la même que celle de l’église des Croisés, avec son allée centrale et ses deux ailes latérales. Si le plan est le même, la décoration intérieure est loin d’être identique, l’église moderne faisant l’objet de nombreuses critiques tellement la décoration hétéroclite laisse à désirer.
Façade de la basilique (Berthold Werner / Wikimedia).
Façade de la basilique
L’entrée dans la basilique moderne se fait par le côté Ouest. Elle est ornée de sculptures en bas-relief représentant diverses scènes associées à la vie de Marie et au mystère de l’Incarnation, dont l’Annonciation tout en haut.
Pour le bénéfice des visiteurs, il faut se rappeler que seul l’évangile selon Luc raconte l’épisode de l’Annonciation (Luc 1,26-38). Cet épisode appartient à la série des textes qui forment ce que l’on appelle habituellement les récits de l’enfance (Luc 1-2 ; Matthieu 1-2), section évangélique fortement marquée par la symbolique théologique. Tout en reconnaissant l’importance d’inscrire Jésus dans l’histoire humaine, il faudrait s’interroger d’abord sur la portée théologique de ces textes et éviter ainsi d’en faire des récits historiques.
(levtsimbler / 123RF)
Intérieur de la basilique de l’Annonciation
Une fois franchie la porte d’entrée, nous nous retrouvons dans une immense salle sombre. De cette salle, nous gravissons quelques marches et pénétrons dans la nef de la basilique actuelle. Ce qui frappe, au premier coup d’œil, c’est le caractère massif de la construction. Le béton est omniprésent, lourd, froid. La décoration des murs de côté a été laissée au soin de divers pays qui ont représenté Marie et Jésus à partir des canons de leurs cultures respectives. Si ceci permet d’apprécier le multiculturalisme, cela concourt également au caractère hétéroclite de la décoration. À l’avant, tout au fond de la nef centrale, une gigantesque mosaïque présente une image de l’Église triomphante avec, au centre, un Christ mal dimensionné, rédempteur du monde. Devant, des représentants de la hiérarchie ecclésiale, cardinaux, évêques, prêtres et des religieux. En petit, discrète, la communauté des croyants et croyantes qu’on distingue à peine. Belle image!
Grotte de l’Annonciation dans la crypte (Ra Boe / Wikipedia).
La rangée de bancs qui se trouve devant nous s’arrête abruptement devant un grand orifice pratiqué dans le plancher, qui laisse voir, en bas, la grotte de l’Annonciation et quelques restes des constructions antérieures. L’autel et le célébrant se trouvent de l’autre côté du gouffre, à quelques dizaines de mètres des fidèles. Vous excuserez ma franchise mais, décidément, elle n’a rien pour plaire cette basilique.
(levtsimbler / 123RF)
La grotte de l’Annonciation
Au rez-de-chaussée de la basilique moderne, se trouvent les restes de la grotte du 1er siècle, celle pour laquelle on a construit les diverses églises à cet endroit. Il reste quelques vestiges de l’église byzantine et de l’église des Croisés, le tout maintenant récupéré à l’intérieur de l’édifice moderne.
(irisphoto18 / 123RF)
La fontaine du village
À quelques centaines de mètres de l’église de l’Annonciation, dans le village, au croisement des chemins, des femmes venaient encore, jusqu’à ces dernières années, chercher de l’eau à cette fontaine. La tradition populaire la désignait comme fontaine de la Vierge. S’il est vrai que celle-ci se trouve au-dessus d’une source ancienne, il y a tout lieu de penser que la fontaine ancienne de Nazareth se trouvait plus proche du centre du village, probablement à l’emplacement de l’église orthodoxe. N’empêche que le fait d’avoir cette fontaine à l’extérieur, sur le chemin, permet à tous et chacun de conserver le souvenir de la vie d’une famille qui aura marqué l’histoire de l’humanité.
Pour se plonger dans l’ambiance du village du premier siècle, les pèlerins peuvent visiter la reconstitution d’un quartier d’habitation avec ses personnages en costume d’époque. Pour un aperçu, vous pouvez regarder la vidéo plus bas (en anglais).
Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.