Mosaïque hérodienne du Musée archéologique Wohl (photo : Talmoryair, Creactive Commons)
Visiter une maison palatiale de la ville haute de Jérusalem
Robert David | 12 février 2018
La ville haute, située sur la colline ouest de Jérusalem, entre le Tyropéon et la Géhenne, fut occupée par les Israélites à partir du 8e siècle avant notre ère. Le grand mur d’Ézéchias nous en donne une preuve assez convaincante. Bien que cette colline occidentale ait été abandonnée pendant l’Exil et qu’elle ne fut réoccupée qu’à partir de l’époque hellénistique, les fouilles archéologiques menées dans le quartier juif de la vieille ville ont permis de retrouver surtout des constructions de l’époque romaine.
Contrairement au « vieil Ophel » qui avait accueilli les maisons royales de l’époque de la royauté israélite, la ville haute offrait de nouveaux quartiers où les riches familles sacerdotales se sont empressées d’installer leurs maisons. On peut voir, par la photo ci-contre, combien ce quartier offrait une vue imprenable sur l’esplanade du temple. Pouvoir admirer le symbole religieux par excellence du judaïsme était un privilège qu’on espérait pouvoir se payer un jour. Comme les lieux étaient relativement restreints et limités, seules quelques riches familles pouvaient s’offrir ce luxe. Et comme à l’époque d’Hérode les projets grandioses ne manquaient pas, on n’est pas étonné de trouver des maisons qui reflètent les extravagances associées au pouvoir et à l’avoir. Il ne faut pas oublier en effet que les familles sacerdotales sont d’abord et avant tout des familles aristocratiques. Ce sont elles qui, depuis l’Exil, détiennent une bonne partie du pouvoir politique et économique. Les revendications de libération exprimées par la paysannerie, et les schismes au sein des castes sacerdotales, qu’on pense ici aux Esséniens de Qumrân, témoignent des écarts qui grandissaient entre la population et ses dirigeants.
Sur la photo ci-contre, nous sommes à l’emplacement de la maison d’une famille riche, sans doute sacerdotale. L’esplanade s’offre à nos yeux, ainsi que le mont des Oliviers. À l’époque néotestamentaire, les habitants pouvaient aussi voir le grand escalier de l’arche de Robinson ainsi que la plaza au sud de l’esplanade. Si nous pouvions aussi regarder vers le Sud nous découvririons le vieil Ophel. C’est vraiment le Westmount de l’époque. Les fouilles ici sont fort intéressantes, car elles nous mettent en contact avec un style de vie bien différent de celui auquel étaient habitués le Nazaréen et ses disciples. Pour des gens de Galilée habitués à la vie de campagne, venir à Jérusalem et découvrir le faste des maisons sacerdotales avait sans doute de quoi scandaliser. D’autant que ces familles pouvaient se payer tout ce luxe sur le dos des paysans qui croupissaient sous les taxes versées au temple, donc, aux prêtres.
C’est dans l’une de ces maisons que vous êtes maintenant convié-e-s. Notez que nous sommes déjà dans cette maison puisque la mosaïque en rosace qui se trouve sur le plancher était posée dans la salle de bain de ce que les archéologues appellent maintenant la maison palatiale. Remarquez la présence de la petite margelle de puits au premier plan, en bas. Nous nous servirons de cet indice pour nous orienter sur notre plan.
On entrait dans la maison par le niveau le plus élevé, côté ouest (coin haut-gauche sur le plan). Un petit escalier faisait descendre dans un vestibule que l’on avait décoré d’une mosaïque (presque complètement détruite aujourd’hui). De ce vestibule on pouvait accéder à différentes pièces. La grande salle de réception (6,5 m par 11 m) possédait une décoration en stucco dont le style imitait les pierres hérodiennes en bossage et refend. Cette décoration a été préservée sur presque toute la hauteur du mur septentrional. Détail intéressant: la première décoration de stucco a été remplacée par une deuxième sur laquelle on avait appliqué de la peinture. Changement dans la mode peut-être?
Au Sud du vestibule on a retrouvé une petite pièce dont la fonction n’est pas précise, mais qui avait conservé intactes presque toutes les fresques de ses murs. Ces fresques privilégient les teintes de rouge et d’ocre. Elles ressemblent à d’autres fresques retrouvées sur les murs du palais nord de Massada et sur l’Hérodium. Au centre de la maison, au même niveau que le vestibule et la salle de réception, on avait aménagé une cour intérieure dont le plancher était fait de pierres plates. De cette cour centrale on pouvait aller vers une chambre au sud, un cellier au nord, ou la section des bains à l’est. Remarquez sur le mur est de la cour, vous pouvez apercevoir le dessin de la margelle vue tout à l’heure à l’extérieur. La pièce derrière cette margelle c’est la salle de bain dont nous avons vu la mosaïque plus tôt, avec la margelle. De petits escaliers permettaient de descendre à l’étage inférieur côté est, soit pour aller vers les bains et la citerne creusée sous la maison, soit pour se rendre vers le grand mikveh au nord-est.
La présence de plusieurs bains et mikvehs à l’étage inférieur est un autre indice qui milite en faveur d’une association de cette maison avec une famille sacerdotale. Les différents artéfacts découverts dans la maison, dont plusieurs pièces de monnaie, permettent de penser que la maison palatiale fut construite à l’époque d’Hérode, sur les restes d’une ancienne maison hasmonéenne. Les traces d’incendie un peu partout dans la maison ne laissent pas de doute quant à sa destruction par les Romains en 70, sort qui fut réservé aux autres maisons de ce quartier cossu de Jérusalem.
Pour cette reconstitution isométrique, l’artiste a ajouté un étage par-dessus les pièces de l’Ouest. La chose n’est pas impossible, mais aucun escalier n’a été retrouvé qui permettrait de le prouver hors de tout doute.
Une autre mosaïque du quartier de la ville haute (photo : Deror avi / Wikimedia Commons)
Cette superbe mosaïque aux motifs géométriques n’a pas été retrouvée dans la maison palatiale. Elle donne une idée cependant des motifs utilisés par les artistes qui devaient produire de tels planchers dans les maisons des riches propriétaires. Elle fut retrouvée dans une autre maison de la ville haute située à quelques mètres à l’ouest de la maison palatiale.
Le mobilier donne une idée de l’aisance de ses habitants (photo : Deror avi / Wikimedia Commons)
Remarquez aussi le mobilier aménagé dans cette petite salle d’exposition. On y a conservé quelques jarres de pierre caractéristiques de cette période romaine à Jérusalem, ainsi que de petites tables de pierre rondes qui devaient reposer sur des bases en bois qui ont brûlé, bien entendu, quand les Romains ont mis le feu aux maisons. Une table de pierre sur colonne est placée entre les deux jarres de pierre sur le mur du fond. Il y en a une pareille dans la maison brûlée.
On est loin des petites maisons à quatre pièces de l’époque israélite, ou de celles des pêcheurs de Capharnaüm!
Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.