chronique
du 13 juin 2003
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À la
recherche d'un canton perdu L'objet de la présente chronique veut montrer, pour une première fois ici, que l'archéologie ne révèle pas seulement des objets et des sites ponctuels, mais aussi des parties de pays pour une meilleure compréhension de son histoire intégrale. L'étude topographique d'une région, doublée d'un examen archéologique des anciens sites habités, est un travail long et parfois frustrant, mais nécessaire pour expliquer certains événements historiques, dont la localisation géographique n'est pas toujours évidente. Ici, l'archéologue doit être aussi un explorateur passionné, dont les jambes sont prêtes à affronter toutes les fatigues et tous les périls! Le livre de Josué renferme une mine
de trésors cachés pour un tel esprit. De toute l'histoire
de l'Antiquité, nulle part ailleurs trouve-t-on une description
géographique aussi détaillée d'un pays connu. En
effet, en neuf longs chapitres (Jos 13-21),
on peut lire des listes de contrées et de leurs villes et villages
principaux ayant constitué les lots précis attribués
aux différentes tribus qui ont donné naissance au peuple
d'Israël, sans oublier de bien identifier les lieux topographiques
servant de frontières. Leur examen littéraire très
détaillé ne permet pas de dater ces chapitres du temps de
la Conquête; ils reflètent plutôt l'histoire royale,
à la fin du VIIIe et dans la première moitié du VIIe
siècle avant J.-C. La mer Morte. Vue de Engaddi Toutes les régions importantes du pays à cause des villes qu'elles comptent et des événements dont elles ont été le théâtre, nous sont connues depuis fort longtemps et ont été soigneusement explorées. Mais un bon nombre de petits cantons périphériques, qui n'ont joué que des rôles secondaires et dont la population a toujours été clairsemée, restent encore aujourd'hui des tentations alléchantes pour tout vrai explorateur. Le désert de Juda et les bords de la mer Morte en sont d'excellents exemples. Le topographe et archéologue israélien, Pesach Bar-Adon, mort en 1985, a passé sa vie à l'étude de telles régions. Une des dernières qui fut l'objet de sa curiosité est décrite ainsi : « Dans le désert : Bet-ha-Araba, Middin, Sekaka, Nibshân, la Ville du Sel, et Engaddi : six villes avec leurs villages. » (Jos 15,61-62) Quatre de ces villes (Middin, Sekaka, Nibshân, Ville du Sel) ne sont mentionnées qu'ici dans l'Ancien Testament; toutefois, la Ville du Sel doit être cherchée dans la vicinité de la mer Morte, dont le nom est la « mer de Sel ». Bet-ha-Araba, par contre, est donnée comme un poste frontière sur la ligne nord de Juda (Jos 15,6), située dans la région de Jéricho (Jos 18,22). De plus, Engaddi est bien connue et est souvent mentionnée dans les textes. Il s'agit d'une petite ville importante, sur la rive occidentale de la mer Morte; elle fut minutieusement fouillée, voilà plusieurs années déjà. Elle est bâtie au milieu d'une petite plaine assez riche pour l'agriculture, puisqu'une source passablement abondante l'arrose à longueur d'année : c'est là que David, poursuivi par Saül, trouva un refuge au coeur du désert (1 S 24). Elle a été fouillée depuis plusieurs années déjà; au temps des rois, elle pouvait abriter une population assez nombreuse, dont une des activités rémunératrices était une parfumerie. Nous connaissons donc les deux villes aux extrémités de la petite liste : le rédacteur décrit ainsi la petite contrée désertique depuis son point nord jusqu'à son point sud. Il nous faut alors chercher les quatre localités inconnues entre ces deux extrémités. Une première observation est déjà nécessaire : la région à explorer ne peut être que le littoral ouest de la mer Morte, car une énorme falaise la surplombe, au haut de laquelle se trouve un plateau sans eau, donc impropre à la fondation de villes; seuls quelques pasteurs peuvent y faire paître leurs troupeaux pendant les mois d'hiver (décembre à mars). De plus, ce littoral est très étroit, parfois ne dépassant pas le demi-kilomètre, pour une moyenne d'une centaine de mètres. La partie au sud d'Engaddi n'a été occupée qu'à l'époque romaine, depuis le Ier siècle avant J.-C. : nous l'écartons donc de l'exploration, ce qui était déjà suggéré par l'orientation nord-sud de la liste, avec Engaddi comme limite sud. L'explorateur Bar-Adon a donc concentré sa recherche sur la partie nord de ce littoral. Si les quatre villes inconnues ont réellement existé, il est alors nécessaire de repérer des sources pérennes, car il ne tombe que 5 cm de pluie, en moyenne, par année! En partant du point le plus au nord de la mer Morte, les résultats de l'exploration, que l'on vient de publier, sont concluants et étonnants. De fait, cinq sites à proximité de sources sont proposées comme les cinq premières villes de la liste, présentant tous les mêmes caractéristiques. Il s'agit, tout au plus, de fortins aux murs très épais, renfermant quelques pièces fermées autour d'une cour à ciel ouvert; leurs dimensions, en moyenne, sont 15 m par 20 m. Ils ont tous été construits au cours du VIIIe siècle avant J.-C., car la céramique est homogène et est bien datée de cette époque. Aussi, ils ont tous été détruits, puis abandonnés, au début du VIe siècle avant J.-C. Nous sommes donc enclins à croire que leur destruction fut le résultat de l'invasion babylonienne qui mit fin à l'histoire du royaume de Juda en 598 et 587 avant J.-C.; leur construction ne serait-elle pas alors le fruit de l'effort du roi Ozias (781-740) pour défendre ses frontières du désert, et dont le règne très long fut un des plus glorieux de l'histoire de Juda? (2 Ch 26,10) L'hypothèse a certes beaucoup de mérite. Le tracé de cette région de la mer Morte identifie les sites actuels explorés aux villes (fortins) anciennes de la liste étudiée, qui ne sont, sauf Engaddi, que des postes militaires abritant de petites garnisons. Ainsi Rujm el-Bahr (port de mer, en arabe) doit être Bet-ha-Araba (maison du désert, en hébreu). Le Khirbet Mazin doit être Middin; on remarque que le nom arabe conserve en partie l'ancien nom hébreu! Ce genre de miracle est connu aussi ailleurs en Palestine! Sur un petit plateau, plus éloigné du bord de la mer Morte, le Père de Vaux y a fouillé le site bien connu de Qumrân, pour ses manuscrits et sa communauté essénienne; là aussi, un fortin israélite existait, qui fut réutilisé par les esséniens plusieurs siècles plus tard. Le Père de Vaux l'identifia à la Ville du Sel; si nous respectons la direction de la liste, il doit s'agir plutôt de Sekaka. Elle est située à ce point de la liste, car elle est en retrait de la ligne du littoral, reliant Bet-ha-Araba et Middin. Plus au sud, deux autres fortins existent, grâce à des sources encore; le Ein (source) el-Ghuweir doit être Nibshân, et le Ein el-Turaba, la Ville du Sel. C'est ici que le fortin est le plus important, grâce à l'abondance de la source : devant lui, une grande cour de plus de 35 m par 40 m abritait d'autres salles fermées et une colonnade; cette cour était munie d'une solide porte fortifiée. Il ne fait aucun doute que l'archéologie est toujours utile et parfois étonnante pour expliquer même des listes de villes innocentes, surtout dans des régions aussi arides et rebutantes que les bords de cette mer de sel, où aucun organisme vivant ne peut subsister au-delà de quelques secondes! Guy Couturier, CSC Source : Parabole xvi/3 (1994). Article précédent
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