Le puits de Jacob
 

La rencontre de Jésus et d'une Samaritaine au bord d'un puits est un des événements évangéliques les plus touchants (Jn 4). La très grande sympathie des deux personnages et la profondeur de leur conversation ont marqué l'histoire de la spiritualité et de la théologie chrétiennes. Le lieu de cette rencontre fut de tout temps l'objet de la curiosité et de la vénération des pèlerins de la Terre sainte. Pour une fois, on est assuré de pouvoir identifier l'endroit avec précision.

Regardons de plus près

     Ce puits, situé en Samarie, se trouve à proximité du Mont Garizim, bien connu de tout temps et cher à la piété des Samaritains. De plus, le souvenir du patriarche Jacob y est rattaché puisque son nom même le qualifie.

     L'Ancien Testament nous raconte, en effet, que Jacob acquit un petit terrain à Sichem, ville sise au pied du Garizim. Il y vécut un certain temps, jusqu'à ce qu'un conflit sanglant éclate entre ses hommes et les Sichémites (Gn 34). Au moment de sa mort, Jacob donne ce terrain en héritage à Joseph. C'est précisément en cet endroit que le fils sera enterré par ses frères, quand ils reviendront en Terre promise (Jos 24,32).

     Quelques puits existent dans le même territoire, mais un seul est rattaché à Jacob, depuis le IIIe siècle avant J. C., dans la tradition samaritaine. Il est bien situé dans cette région où Jacob acquit un terrain des Sichémites (Jn 4,5). L'actuel puits de Jacob répond à toutes les données bibliques. La Samaritaine déclare que ce puits est profond (Jn 4,11) : le puits de Jacob est de fait extrêmement profond! Pendant des siècles, les pèlerins y ont jeté des pierres pour en vérifier la profondeur, de sorte que le niveau de l'eau ne dépassait pas 25 m. Un bon nettoyage s'imposait : ô surprise, le puits avait une profondeur totale de 46 m! On ne peut préciser la date du forage, mais on sait que le puits existait depuis quelques siècles avant Jésus. La margelle a la forme d'un cylindre atteignant 2,50 m de diamètre en moyenne. Les parois des deux premiers tiers sont revêtues d'une maçonnerie de petites pierres pour retenir la terre; le dernier tiers est creusé dans le calcaire dur. La technique utilisée pour un tel ouvrage reste inconnue!

Figure 1 : plan de la première église

     Vers 380, une petite église en forme de croix grecque, construite par l'empereur Théodose, abrite le puits qui occupe la croisée de ses quatre branches. Sa description par les pèlerins nous permet d'en tracer facilement le plan (Fig. 1). Elle fut détruite par les Arabes au début du IXe siècle; il n'en reste aucun vestige. En 1150, les Croisés construisent une nouvelle église plus majestueuse, à trois nefs. Le puits est situé au centre d'une petite crypte, devant l'autel de la nef centrale; un double escalier facilite le mouvement des fidèles (Fig. 2). Cette église perdit de son importance au XVe siècle et fut partiellement abandonnée, au point que les habitants des environs venaient y quérir des pierres pour bâtir leurs maisons!

Figure 2 : église des Croisés

Et « Puits » après...

     Les Grecs orthodoxes de Palestine font l'acquisition du lieu en 1860. Ce n'est qu'en 1893 que des fouilles sommaires sont entreprises pour mieux connaître les vestiges anciens. Si beaucoup de détails font défaut, le gros oeuvre est quand même assuré. En 1920 21, les Grecs commencent à reconstruire l'église des Croisés, mais les travaux sont abandonnés une fois les murs relevés jusqu'au deuxième tiers de leur hauteur, les fonds étant épuisés.

     Et c'est toujours dans cet état de construction inachevée que le pèlerin visite le puits de Jacob. Le siècle prochain en verra t il le parachèvement? Personne n'ose encore le prédire. N'est ce pas en un tel lieu qu'il convient de se rappeler cette parole de Jésus à la Samaritaine : « Dieu est esprit, et ceux qui l'adorent, c'est en esprit et vérité qu'ils doivent l'adorer? » (Jn 4,24).

Guy Couturier, CSC
Professeur émérite, Université de Montréal

Source: Parabole xvii/3 (1995) 16.

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