(photo et vidéo © Hélène Boudreau)
Avancer dans un deuil à partir d’un verset d’Évangile
Hélène Boudreau | 13 mars 2023
De janvier à avril 2023, un groupe de récitatif a choisi d’apprendre le récitatif « Le premier jour de la semaine, ... » (Luc 24, 1-9). Six ou sept rencontres d’une heure sont prévues aux deux semaines. Dans l’approfondissement du premier récit de résurrection de l’Évangile de Luc, tout un parcours de deuil peut se vivre.
Lors de la première rencontre, chaque personne a écrit des gestes de deuils qui la réconfortent puis les a présentés au groupe. Ensuite, chacune a reçu le récitatif puis a nommé le geste, la parole qui l’avait touchée.
Le premier verset du récitatif a engendré beaucoup d’échanges et de partages :
« Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore, elles vinrent à la tombe, portant les aromates qu’elles avaient préparées [1]. »
À la pointe de l’aurore
Dans l’enseignement même du récitatif, le geste « à la pointe de l’aurore » peut être vécu subjectivement. Les mains, au niveau de la poitrine, favorisent un contact avec notre peine, notre deuil. Les mains s’élèvent peu à peu vers les yeux, les paumes orientées vers le sol, laissant émerger un regard vers un horizon très bas. C’est à peine si le jour commence.
Avec l’arrêt sur geste, les participantes nomment ce qu’elles vivent dans leur corps en faisant ce geste. Divers sens subjectifs montent en elles :
Il fait noir, il n’y a qu’une petite lumière.
J’y vois la crainte de l’imprévu. Elles avaient un maître très spécial, plein de surprises... qu’est-ce qui les attend maintenant ?
Ça me fait l’effet de porter des ornières, ce qui m’empêche de voir plus large.
C’est comme si je ne peux voir plus que ça pour le moment dans mon deuil.
Pourtant, dans ces mots « Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore », on trouve deux mentions annonçant le début de quelque chose de nouveau. La deuxième, « à la pointe de l’aurore », offre une plus petite bouchée de temps. « Juste aujourd’hui. Juste aujourd’hui, je ferai un pas de plus dans mon deuil. Je me sens incapable d’en faire davantage pour l’instant. Cependant, la lumière qui se manifeste, si petite soit-elle m’offre une source d’espoir, un appui pour poursuivre mon chemin. »
Elles vinrent à la tombe
Les femmes auraient pu éviter ce déplacement, cet effort d’embaumer le corps d’un homme rejeté par la société bien-pensante. Cependant, elles choisissent de se mettre en marche. C’est peut-être une façon pour elles de maintenir le lien avec celui qu’elles aimaient tant et qui est mort. Dans le récitatif, les mains se déplacent vers l’avant, à la hauteur de l’abdomen, paumes vers soi. Et ces petits mouvements de mains, ça peut être aussi des pas hésitants, douloureux, d’un deuil.
Portant les aromates qu’elles avaient préparées
Le fait d’avoir préparé les aromates et de les porter nous indique que les femmes du récit se font actives pour vivre leur deuil. Elles se préparent à assumer la tâche dévolue traditionnellement aux femmes dans les rituels funéraires de leur société. Ce rituel a peut-être quelque chose de rassurant, comme les divers rituels que nous vivons lors du décès de personnes proches. C’est peut-être le seul moyen concret qu’elles ont d’avoir prise sur cet événement bouleversant qu’est la mort de Jésus, d’accepter que Jésus est vraiment mort.
Le geste des aromates fait monter la main droite, paume vers le bas, avec les doigts frémissants, faisant ainsi monter les fumées d’encens. On en sent presque l’odeur. Et cette odeur pénètre celles qui portent les aromates. Humer l’odeur des aromates favorise l’intériorité. Les endeuillées peuvent laisser monter leurs prières vers le Très-Haut.
Avec l’arrêt sur geste sur « les aromates qu’elles avaient préparés », d’autres réactions personnelles surgissent :
Ce geste me fait vivre de la tendresse, de la douceur, surtout de la consolation.
C’est un geste délicat, fragile, doux, comme quand on a un bébé au début de la vie. Et maintenant, on retrouve cette même douceur à la mort.
Je me rappelle qu’au décès de mon père, on a fait une haie d’honneur avec nos lampions allumés. Il y avait de la chaleur. On lui permettait de partir autrement que dans les ténèbres. Ça nous a aidés à accepter de le laisser partir. Je retrouve cette même douceur en faisant le geste pour « préparés ».
Le geste « les aromates », ça rappelle l’encens. C’est comme notre prière, notre espérance qui monte vers le ciel. Le geste « préparés », c’est comme redescendre dans notre réalité, dans la réalité du deuil qu’on a à vivre, la réalité qui est encore là. On se redécouvre dans notre nouvelle réalité mais avec l’espérance.
C’est un geste d’amour pour la personne aimée qui est décédé.
Il y a un feu, une passion qui s’allume en moi. Le mystère de la puissance symbolique des aromates. Je ressens piété, adoration, respect.
Ces partages spontanés ont permis à chacune de mieux vivre son passage personnel qu’est le deuil. Cependant, le fait d’être ensemble, d’être à l’écoute les unes des autres a offert un appui en filles d’un même Père, un moment de vie en église que toutes ont apprécié.
Hélène Boudreau est transmetteure de l’Association canadienne du récitatif biblique.
[1] Traduction Louise Bisson, 1986, 2008.