(photo : Anne-Marie Chapleau)
Le récitatif en vélo!
Anne-Marie Chapleau | 16 octobre 2017
Heinrich Heine, un poète et écrivain allemand du XIXe siècle, a parlé de la Torah comme de la « patrie portative » d’Israël. L’expression, maintes fois reprise, dit bien comment un peuple qui avait perdu Temple et patrie a trouvé une identité et une unité nouvelles dans son lien avec la Loi. La Parole devenait ainsi la marque de la présence d’un Dieu qui accompagne son peuple déraciné dans toutes ses errances et ses exils.
Bien sûr, de nos jours, la Bible peut nous suivre partout sous forme de livre. Elle peut facilement se consulter sur une tablette ou sur un téléphone. J’aimerais cependant vous parler d’une expérience plus intime de « Parole de Dieu portative ». Par le récitatif biblique, la Parole mâchée et remâchée en vient à nous habiter. Littéralement. Elle nous colle à la peau. Ou mieux, elle est comme une source qui chante à l’intérieur de soi, toujours disponible. Il suffit de lui prêter l’oreille.
La Parole peut donc jaillir dans toutes sortes de circonstances, dans le silence de la nuit, dans un temps plus formel de prière ou même en faisant la vaisselle.
À pied et à vélo
Pour ma part, les moments les plus propices à l’écoute de cette Parole intériorisée se présentent quand je marche ou quand je pédale. J’ai le bonheur de fréquenter une piste cyclable qui traverse un boisé. Tôt le matin, en me dirigeant vers l’est, je peux souvent admirer le soleil levant qui accroche toutes les nuances de rose et de doré sur les nuages qui flottent à l’horizon. Je me sens petite devant la grandeur de la nature et j’ai l’impression que la Parole qui surgit du dedans m’enveloppe également du dehors. C’est ainsi que certains textes, en particulier au retour des sessions d’été [1], m’ont accompagnée pendant des jours et des semaines.
Et le Seigneur Dieu donna un ordre à l’être humain :
« De tout arbre du jardin, manger tu mangeras.
Mais de l’arbre de la connaissance du bon et du mauvais, tu n’en mangeras pas.
Car, du jour où tu en mangeras, mourir tu mourras! » (Gn 2,16-17)
Don fabuleux que me répètent les arbres tout autour. Et mise en garde : je m’engage dans un chemin de mort quand je refuse la limite qui donne sa place à l’autre et permet la relation.
« Mais Dieu sait que du jour où vous en mangerez,
vos yeux s’ouvriront.
Et vous serez comme des dieux qui connaissent le bon et le mauvais. » (Gn 3,5)
Parole trompeuse qui sème le doute et attise la convoitise! Méfie-toi, souffle le vent!
Alors, leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus. (Gn 3,7)
Désillusion! Désenchantement… jusqu’au prochain chant de sirène.
Cette Parole fondamentale qui montre et démonte toute la mécanique de la convoitise, chante et rechante en moi. Elle vient éclairer mes zones d’ombre. Elle me porte la plainte d’un Dieu blessé qui me cherche et m’appelle sans cesse : « Le Seigneur Dieu appela l’être humain et lui dit : où es-tu? » Cette Parole décape mes prétentions à faire ma vie seule dans l’illusion de l’autosuffisance et me rappelle que toute vie humaine se fonde et se reçoit dans la relation [2]. Le ciel, les oiseaux qui le traversent, les arbres amplifient cette voix venue d’ailleurs : « Où es-tu? » Et le chemin devient, au-delà de la métaphore, la réalité concrète où les vents sont parfois contraires. Je rends grâce que la Parole soit ma compagne de route.
Anne-Marie Chapleau est membre de l’Association canadienne du récitatif biblique.
[1] Une session de réctitatif biblique qui dure une semaine au début de l’été et où on a l’occasion d’apprendre de nouveaux récitatifs.
[2] Voir là-dessus la réflexion d’Anne Fortin dans son ouvrage Comment vivre? Naître à la suite de Jésus, Paris, Montréal, Médiaspaul, 2016 p. 32-35.