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chronique du 20 décembre 2013
 

Marcel Jousse, anthropologue linguistique

Marcel JousseEn 1922, Marcel Jousse reçoit de ses supérieurs jésuites la permission de poursuivre ses études à Paris. Il a alors 36 ans et vient à peine d’achever sa formation comme jésuite. Il a cependant derrière lui une riche expérience de vie. Non seulement il a vécu la guerre de 1914 comme officier d’infanterie, mais il a passé deux ans aux États-Unis comme instructeur de futurs officiers de l’armée américaine.

     Trois ans plus tard, en 1925, Jousse publie son livre sur Le Style oral. Dans l’introduction, il écrit qu’il présente là le résultat d’études qu’il poursuit depuis 18 ans, donc depuis l’âge de 21 ans. Il dira plus tard : « Ma synthèse anthropologique était faite dans ses grandes lignes à 20 ans » (Baron, p. 64). Il y a là une invitation à revenir loin en arrière pour voir naître sa vocation d’anthropologue.

     En fait, lui-même remontait jusqu’à son enfance. Sa mère Honorine avait reçu de sa propre grand-mère le trésor des traditions de la Sarthe, qui comprenaient surtout les évangiles des dimanches et des fêtes. « La première chose dont je me souviens, dit Jousse, c’est ma mère au foyer, me psalmodiant, en se balançant, avec sa voix très fine, très douce et très juste, ces mélodies venues de je ne sais où » (p. 14).

     Un autre moment important sont les deux années de transition entre l’école primaire et les études secondaires. Marcel trouva un précepteur dans le vicaire de Beaumont, Edouard Boësme (son nom mérite bien de figurer quelque part). Ce prêtre passait une heure chaque matin à lire la bible en hébreu. Il enseigna à Marcel non seulement le latin et le grec, mais aussi l’hébreu et l’araméen. Car Marcel voulait savoir quelle langue Jésus avait parlé, et à ce propos l’abbé mentionna les Targoûms. « Qu’est-ce que c’est les Targoûms? — Oh écoute, mon gars Marcel, tu m’en demandes trop. On verra cela plus tard » (p. 27). Le targum est la traduction de la bible en araméen. Longtemps avant le temps de Jésus, les gens ordinaires ne comprenaient pas plus l’hébreu que nous le latin. Dans la synagogue, le meturgeman (traducteur) lisait d’abord un verset en hébreu, puis il le traduisait en araméen, en ajoutant parfois un commentaire. Ces traductions ont fini par être mises par écrit, ce qui permet de les étudier, mais elles étaient d’abord parlées. Dès son adolescence, Jousse apprenait en rythmant. « J’ai appris l’araméen en apprenant par cœur les Targoûms, ainsi j’ai appris le grec en apprenant par cœur le premier chant de l’Iliade » (p. 38). Il découvre ainsi l’importance du rythme et des formules toutes faites. Son rêve sera de « se replacer “jour et nuit” en face du Rabbi galiléen Iéshoua vivant, agissant, parlant sa concrète langue araméenne aux formules traditionnellement targoûmiques » (p. 111).

     Tout au long de ses études, et même pendant la guerre, Jousse poursuit et élargit sa recherche : comment fonctionne la mémoire? Il est ainsi amené à étudier la psychologie et l’anthropologie, mais c’est toujours en vue de retrouver vivante la parole de Jésus. « Si j’avais été tué pendant la guerre, lorsque je commandais ma batterie de 75, on aurait trouvé, dans ma poche, avec mon inséparable Évangile grec, une vieille édition des textes  hébraïques, avec, en face, le Targoûm araméen » (p. 52). Il profitera de son séjour aux États-Unis pour observer comment les Amérindiens s’expriment et communiquent entre eux par leurs gestes.

     Jousse avait fait ses études de théologie avant d’entrer chez les Jésuites. Sa formation jésuite s’acheva en 1922 par deux années de philosophie. Mais déjà il était en mesure de donner à ses confrères plus jeunes une conférence sur le langage et le geste. Gaston Fessard, son confrère d’alors, raconte : « Un cours d’une heure était prévu, mais ne suffit pas. Il en fallut deux. Et à chaque fois, des piles de 20 à 30 livres s’amoncelaient sur la table du conférencier, prêts à fournir leurs citations. Nous eûmes ainsi la première ébauche du Style oral qui devait paraître trois ans plus tard » (p. 58).

Gabrielle Baron, Mémoire vivante. Vie et œuvre de Marcel Jousse. Paris 1981.

Roger Le Déaut, « Les Targums, ou versions araméennes de la Bible », SIDIC IX - 1976/2, p. 4-11.

Marcel Jousse, Le style oral rythmique et mnémotechnique chez les verbo-moteurs, Paris, Gallimard, 1925.

Gaston Lessard

 

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Marcel Jousse, prêtre et jésuite