Le fléau des sauterelles. James Tissot, entre 1886 et 1894. Aquarelle et graphite (ArtBible.info).
Une plongée dans l’histoire : le Psaume 105 (104)
Jean Grou | 27 novembre 2023
Lire le psaume (version liturgique)
On pourrait qualifier le Psaume 105 (104) de fresque historique. Nul autre que lui, en effet, n’évoque autant d’événements qui s’inscrivent dans ce qu’il est convenu d’appeler l’« histoire sainte ». Mais ce n’est pas un chant à la louange d’Israël destiné à mettre en lumière ses propres accomplissements ou mérites. Il s’agit bien plus d’un éloge à celui qu’on reconnaît être à l’origine de ces hauts-faits : Dieu.
Les trois premiers versets donnent le ton à l’ensemble avec une invitation à rendre grâce à Dieu, à annoncer ses hauts faits et ses exploits et à glorifier « son nom très saint ». Aucun doute possible : le Seigneur et lui seul mérite cette louange qui va se déployer sur les 42 versets suivants.
L’alliance avec Abraham
Les versets 4 à 6 lancent aussi une invitation, cette fois à chercher la « face » du Seigneur ou, plus précisément, à se souvenir de ses merveilles. Le verset 6 précise à qui s’adresse cette exhortation: à « la race d’Abraham » et aux « fils de Jacob qu’il a choisis ». Puis, les versets 7 à 11 spécifient le motif de la louange : l’Alliance que Dieu a conclue avec Abraham et le don du pays de Canaan. D’après Paul-André Durocher, ce serait le seul psaume à remonter jusqu’à l’alliance avec l’illustre patriarche. Habituellement, ils s’attardent plutôt à celle conclue avec Moïse ou David [1].
Déplacements et migrations
Les versets 12 et 13 évoquent la condition errante des ancêtres israélites. C’est bien, en effet, une caractéristique propre à ce peuple au passé marqué par de multiples déplacements et migrations avant son installation sur ce qui est convenu d’appeler la Terre sainte. Les origines modestes sont soulignées : « C’était une poignée d’immigrants. » Les deux versets suivants (v. 14-15) rappellent que ce groupe relativement insignifiant a pu compter sur la protection divine à tout instant, surtout en période d’oppression.
Joseph en Égypte
Une assez longue section (v. 16-22) est consacrée à rappeler le souvenir de Joseph, le patriarche, fils de Jacob. On évoque alors la famine en Égypte qui fut l’occasion pour lui de grimper dans l’échelle sociale. Cet épisode fut marquant dans l’histoire d’Israël, puisque s’y prépare l’arrivée massive des Hébreux au pays des pharaons.
Une menace
Et effectivement, comme le soulignent les versets 23 à 25, les Hébreux migrent en Égypte pour échapper à la famine. Ils se multiplient, deviennent même puissants, et finissent par être perçus comme une menace pour les autorités du pays. Ils sont alors victimes de la haine au sein de la nation qui les avait accueillis, et réduits à la servitude, engagés de force à la construction de gigantesques infrastructures.
Dieu réagit
Mais voilà, comme le rappellent les versets 26 à 38 : Dieu ne peut demeurer indifférent au sort de ceux qui avaient mis leur confiance en lui. Il envoie Moïse et Aaron qui annoncent les dix plaies d’Égypte. Le psaume décrit avec force détails les divers malheurs qui se sont alors abattus sur le pays : les eaux changées en sang, l’infestation de grenouilles, de vermine et de moustiques, la grêle qui détruit les récoltes, les nuées de sauterelles et, épreuve suprême, la mort des « fils ainés du pays ». On connaît la suite : les Hébreux sont finalement autorisés à se retirer, au grand soulagement de l’Égypte qui « se réjouit de leur départ, car ils l’avaient terrorisée ».
L’exode
On passe ensuite à l’épisode de l’exode, avec la marche du peuple au travers du désert (v. 39-43). Le psaume souligne à quel point Dieu a alors veillé sur son peuple, lui prodiguant eau et nourriture. Puis arrive l’heureux dénouement : l’accès à la terre promise (v. 44-45) qui accueillera le peuple israélite. Conclusion : « Alléluia! »
La foi ancrée dans l’histoire
Au bout de ce parcours parsemé de péripéties et de rebondissements, nous pouvons demeurer sur l’impression que ce que raconte le Psaume 105 (104) est plutôt loin de notre réalité. Ce serait oublier que les racines de la foi chrétienne plongent dans l’alliance avec Abraham et l’œuvre de libération des Hébreux que la tradition attribue à Dieu. Et ce psaume a aussi une haute valeur catéchétique parce qu’il nous rappelle que la foi judéo-chrétienne est fondamentalement inscrite dans l’histoire. Elle est portée par la mémoire de la présence de Dieu dans les événements du passé, mémoire qui nous incite à reconnaître qu’il est à nos côtés en ces jours qui sont les nôtres, et qui nourrit notre espérance de parvenir à la délivrance des limites, contraintes et enchaînements de notre condition actuelle.
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.
[1] Paul-André Durocher, Les psaumes, prières vivantes, vol. 3, Montréal, Novalis, 2017, p. 15-16.