Jésus ben Sira, auteur du Siracide. Statue de la cathédrale Notre-Dame de Chartres (Nick Thompson / Flickr).

Prière pour la délivrance d’Israël – AT 15

Paul-André DurocherPaul-André Durocher | 29 mai 2023

Référence biblique : Siracide 36, 1-5. 7. 10-13
Liturgie des Heures : Lundi II Laudes

1 Prends pitié de nous, Maître et Dieu de tout ;
répands la crainte sur toutes les nations.
2 Lève la main sur les pays étrangers,
et qu’ils voient ta puissance !

3 À nos dépens, tu leur montras ta sainteté ;
à leurs dépens, montre-nous ta grandeur.
4 Qu’ils l’apprennent, comme nous l’avons appris :
il n’est pas de dieu hors de toi, Seigneur.

5 Renouvelle les prodiges, recommence les merveilles,
glorifie ta main et ton bras droit.
7 Hâte le temps, rappelle-toi le terme,
et que soient racontées tes merveilles !

10 Rassemble les tribus de Jacob ;
comme au premier jour, donne-leur ton héritage.
11 Prends pitié du peuple porteur de ton nom,
Israël qui est pour toi un premier-né.

12 Prends compassion de ta ville sainte,
Jérusalem, le lieu de ton repos.
13 Remplis Sion de ta louange,
et ton sanctuaire, de ta gloire.

À l’origine. Le cantique AT 15 est tiré d’un livre qui porte plusieurs titres. La Bible de Jérusalem l’appelle l’Ecclésiastique, la TOB l’intitule le Siracide et la Bible de la Liturgie le connaît sous le vocable « livre de Ben Sira le Sage. » Ce livre, très long, s’inscrit dans la tradition sapientielle de l’Ancien Testament consacrée à la contemplation de la Sagesse. La Bible juive ne l’a pas retenu, mais il était bien connu et admiré dans sa traduction grecque par les premiers chrétiens qui l’ont intégré au canon des Écritures de l’Église.

Le cantique lui-même est extrait de la première partie du chapitre 36 qui présente de façon un peu surprenante une prière ardente pour la délivrance d’Israël. En effet, cette prière diffère tellement du reste du livre, qui ressemble plutôt à un manuel de philosophie pratique, que d’aucuns estiment qu’il a été ajouté au texte original de Ben Sira, peut-être même par son petit-fils qui en a assuré la traduction grecque.

La prière évoque une situation pénible pour Israël, qu’on peut sans doute assimiler à la persécution subie sous Antiochus IV Épiphane, roi séleucide qui, en 167 av. J.-C., publia un décret interdisant le culte juif. Pire encore, il dédia le Temple de Jérusalem au dieu grec Zeus, provoquant la révolte des Juifs sous les frères Maccabée. On peut s’imaginer les révolutionnaires juifs avec cette prière sur leurs lèvres, attaquant leurs oppresseurs, tentant de libérer Jérusalem et de rétablir la liberté de leur peuple.

Le cantique n’est pas très original, il reprend des thèmes et des expressions du livre des Psaumes (surtout le Psaume 79 [78]), des prophètes (Ézéchiel, Jérémie et Isaïe) et de la Torah (Exode et Deutéronome). Mais ce collage présente bien la vision juive de l’époque juste avant Jésus. On peut la résumer en quelques propositions. Dieu est l’unique, le créateur de l’univers, il n’y en a pas d’autres. Israël, le peuple que Dieu a choisi, existe pour chanter ses louanges devant les peuples. Dieu seul peut garantir la possession paisible de la Palestine et ainsi assurer au peuple la liberté nécessaire pour accomplir son devoir au Temple de Jérusalem. Autrefois, Dieu a manifesté sa puissance en libérant Israël de l’esclavage en Égypte. Mais les infidélités du peuple au fil des siècles ont provoqué le châtiment de l’Exil, car le Dieu trois fois saint ne peut endurer le péché. Pourtant, Dieu est miséricordieux et a promis un temps de restauration. Le peuple attend impatiemment l’accomplissement de la promesse qu’il implore avec émotion dans sa prière.

À la lumière de l’Évangile. Jésus est l’envoyé de Dieu venu accomplir la promesse et apporter la libération tant attendue. Mais il accomplit sa mission de façon surprenante. Il ne s’en prend pas aux forces ennemies (l’Empire romain de son époque), mais aux puissances du mal. La liberté qu’il veut assurer est destinée non pas seulement au peuple d’Israël, mais à l’humanité tout entière. Il ne vient pas châtier, mais manifester la profonde miséricorde du Père pour tous les pécheurs que nous sommes.

Par ailleurs, son œuvre de salut n’est pas encore achevée. Sa résurrection annonce la nôtre, l’Esprit nous est donné comme un gage, un dépôt sur le don ultime qui nous est promis. Comme le petit-fils de Ben Sira, les disciples du Christ attendent impatiemment l’accomplissement de la promesse. Le cantique AT 15 trouve un écho dans tous les passages du Nouveau Testament où s’expriment ce désir et cette attente. La prière que Jésus lui-même enseigne à ses disciples abonde en ce sens : « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne… Délivre-nous du mal. »Pour saint Paul, le cosmos aspire avec nous : « La création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons […] Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. » (Romains 8,22-24) Le dernier livre du Nouveau Testament s’achève avec cette prière toute simple : « Maranatha! Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! »

Dans ma vie. On pourrait comparer Ben Sira à un philosophe contemporain, occupé dans sa solitude à articuler sa pensée et à peaufiner ses textes, sortant de son écritoire à l’occasion pour donner un cours ou livrer une conférence. Mais les aspérités de la vie font irruption et viennent déranger la tranquillité des jours, obligeant le penseur à se détourner de ses études pour s’engager dans les vicissitudes de l’histoire. Pour Ben Sira, cette irruption prit la forme de l’occupation séleucide et de la persécution de son peuple. C’est pourquoi, au cœur de son manuel de philosophie, on retrouve ce cantique, véritable cri de détresse lancé à Dieu au nom du peuple.

De façon analogue, ma vie est normalement rythmée par la lecture et la prédication, les comités et les rendez-vous, la prière personnelle et communautaire, le travail et les loisirs. Mais l’histoire humaine, avec ses bouleversements et ses incohérences, ne cesse de m’interpeller. Les catastrophes naturelles, les éruptions de violence, les ravages de la pauvreté et les tragédies personnelles réclament mon attention et exigent ma réponse. Vais-je m’esquiver en m’enfermant dans ma routine quotidienne ? Ou vais-je accepter, comme Ben Sira, de me rendre solidaire des victimes et des opprimés ? Ma prière est-elle aseptisée ou engagée ?

Je ne peux pas suivre Jésus sans me ranger du côté des pauvres, sans lutter contre le mal et la souffrance sous toutes ses formes. À quoi sert ma philosophie ou ma religion, si elles ne dynamisent pas mon engagement en faveur du Royaume de justice, de paix et de joie ? Avec Ben Sira, je veux que ma prière soit enracinée dans la réalité de ce monde et porte devant Dieu sa souffrance et son désarroi, de même que son espérance et ses aspirations.

Dans le plan de Dieu. Le nationalisme de Ben Sira semble empêcher sa prière d’embrasser le monde. Il demande à Dieu d’écraser l’ennemi afin qu’Israël puisse vivre. Mais, à y regarder de plus près, sa prière reflète une vision plus universaliste qu’une lecture trop rapide peut porter à croire. S’il espère que Dieu lèvera la main sur les pays étrangers, c’est afin qu’ils voient sa puissance et apprennent « qu’il n’est pas d’autre dieu hors toi, Seigneur ! » De même que l’épreuve de l’Exil a enseigné à Israël que Dieu est saint, de même la victoire d’Israël enseignerait aux autres peuples que Dieu est l’unique, le « Maître et Dieu de tout ».

Mais cette leçon ne peut-elle être apprise qu’au prix de la souffrance écrasante d’une défaite militaire ? Ne peut-elle pas être enseignée par la tendresse et la douceur, par le pardon et l’amour de l’ennemi ? Telle est la vision de Jésus, qui invite ses disciples à le suivre sur le chemin de la fraternité. « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jean 17,21)

Oui, dans le plan de Dieu, toute l’humanité est invitée à reconnaître en Jésus le témoin fidèle de l’amour inconditionnel du Père. Que Dieu « renouvelle les prodiges et recommence les merveilles », prodiges de générosité et merveilles d’amour capables de renouveler le monde tout entier !

Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec).

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Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.