Initiale I – psaume 34. Psautier de Saint-Alban, vers 1130, Dombibliothek Hildesheim (photo © Hildesheim, St Godehard).
Une trahison, ça fait mal : Psaume 35 (34)
Jean Grou | 22 mars 2021
Lire le psaume (version liturgique)
Un fort sentiment d’injustice et de trahison traverse le Psaume 35. Prière individuelle de supplication, elle s’adresse exclusivement à Dieu, lui lançant d’insistants appels pour obtenir son soutien. Elle reflète une expérience humaine malheureusement trop fréquente : avoir été trompé et abandonné par des gens en qui on avait mis sa confiance.
Dans les premiers versets, le vocabulaire est passablement guerrier : le psalmiste exhorte carrément Dieu à prendre les armes. À ses yeux, c’est peut-être bien l’unique recours, le Seigneur étant le seul à qui il peut encore se fier. Son appel reflète le principe du talion selon lequel celui qui a commis une offense doit subir le même sort : « Fais la guerre à ceux qui me font la guerre. » L’expression d’un tel souhait que Dieu pourfende les adversaires peut laisser perplexe. Mais ce qu’il faut surtout retenir ici, c’est que jamais le psalmiste n’exprime d’intention à recourir lui-même à la violence. Il ne veut pas se faire justice lui-même ; il expose sa situation, ses sentiments et ses désirs, mais laisse Dieu juger et agir. Il faut voir dans le ton agressif de ses paroles un cri du cœur qu’il ne peut réprouver. Ça nous change des prières un peu mielleuses dans lesquelles nous nous réfugions peut-être trop souvent…
De plus, la rudesse des propos se comprend mieux à la lumière de la gravité de la situation qui les a fait surgir. On a affaire en effet à des menaces de mort, rien de moins (v. 4-8). Devant un tel péril, le psalmiste va jusqu’à invoquer « l’ange du Seigneur » lui-même afin qu’il repousse le danger.
Or, après une série de plaintes et de supplications, arrive sans avertissement l’expression d’une confiance absolue : le psalmiste se dit assuré d’obtenir le secours divin (v. 9-10). En effet, c’est le propre de Dieu dans la tradition juive qu’il prenne la défense des plus vulnérables. Pourquoi en serait-il autrement dans ce cas-ci? Cette belle assurance n’est toutefois pas de la pensée magique comme le montre la suite, puisque la description des malheurs reprend de plus belle après cette brève interruption.
Les versets qui suivent donnent une idée encore plus précise de l’épreuve que le psalmiste subit et nous aident à comprendre toute l’amertume qui l’habite. D’après ce qu’il relate, il aurait fait preuve de compassion à l’endroit de gens de son entourage, partageant leur tristesse et jeûnant à l’occasion d’un deuil les affectant. Mais, apparemment sans raison valable, ils lui auraient rendu le mal pour le bien, multipliant les attaques et les moqueries. Malgré toutes ces épreuves, le psalmiste ne perd pas espoir et, à la toute fin, il exprime sa confiance que Dieu finira bien par lui donner raison. Il ne lui restera plus qu’à célébrer sa fidélité et à le louer « tous les jours » (v. 28).
Le Psaume 35 n’apparaît nulle part dans le lectionnaire dominical de l’Église catholique romaine, une seule fois dans le lectionnaire de semaine et aucune dans celui des saints et des messes rituelles. Le ton plutôt rude de ses paroles explique peut-être qu’il ait été presque complètement laissé de côté [1]. Il faut bien reconnaître que son utilisation dans un contexte d’action de grâce – ce qui est le propre de la célébration eucharistique – n’irait pas de soi. Est-ce une raison de l’écarter de toute pratique de prière? Certainement pas et ce, pour au moins deux raisons. D’abord, dans la foi chrétienne, on peut aisément voir dans le Psaume 35 une sorte d’avant-goût de la passion du Christ. Celui-ci, en effet, fut victime de la plus célèbre trahison de toute l’histoire, au point où le nom de celui qui l’a commise est devenu synonyme de « traitre ». Comme le psalmiste aussi, Jésus a vu ses amis lui tourner le dos, l’abandonner. Il a subi des menaces de mort et a même connu cette issue ultime.
Deuxième raison : prier avec le Psaume 35, c’est porter dans l’esprit et le cœur non seulement le Seigneur Jésus, mais toutes les victimes de trahison, de tromperies de toutes sortes, de mauvais traitement, d’injustices. Et, malheureusement, elles ne manquent pas… On peut aussi y entendre un appel à nous engager à leur côté et à conjuguer nos forces avec les leurs pour qu’enfin on entende proclamer : « Joie suprême, pour ceux qui se plaisent à me voir déclaré innocent! » (v. 27)
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.
[1] Pour aborder le problème, voir Roland Meynet, « Le psaume 35 : censuré “sans raison” », Gregorianum 99/3 (2018) 445-467.