Initiale E – psaume 29. Psautier de Saint-Alban, vers 1130, Dombibliothek Hildesheim (photo © Hildesheim, St Godehard).
La prière en montagne russe : Psaume 30 (29)
Jean Grou | 28 septembre 2020
À la première lecture du Psaume 30 (29), on peut se demander si son auteur n’était pas bipolaire. Il passe en effet d’un extrême à l’autre dans l’expression de ses sentiments. En fait, ce psaume s’apparente à cet égard à beaucoup d’autres qui commencent par une lamentation, une plainte ou un cri de détresse et passent sans transition à des expressions de reconnaissance ou des invitations à se réjouir. Un exemple parmi d’autres, le Psaume 22 (21), qui s’ouvre sur ces paroles que Jésus prononcera du haut de la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (v. 2) Or dans la dernière partie du psaume, le ton est diamétralement opposé : « Seigneur, c’est grâce à toi que je peux te louer dans la grande assemblée. » (v. 26)
Cela dit, ce qui distingue le Psaume 30 (29), c’est qu’il ne commence pas par une lamentation ou une expression de désarroi, mais par des invitations à célébrer le Seigneur pour sa bonté. Puis brusquement, c’est comme si plus rien de ce qui a été dit jusque-là ne tenait (v. 7). Le psalmiste se retrouve dans le tourment et craint même pour sa vie. Et voilà que, sans crier gare, il retrouve le ton joyeux et festif du départ (v. 12). Oui, vraiment, c’est une prière en montagne russe!
Nous avons semble-t-il affaire ici à une expérience de foi complexe et sinueuse et, du coup, d’une grande richesse. En effet, le psalmiste a mis toute sa confiance en Dieu et semble se sentir presque invincible. Le Seigneur l’a tiré des griffes de ses ennemis ; que pourrait-il craindre? Mais voilà que, contre toute attente, un vent contraire le fait tomber de son nuage et la réalité le rattrape. Mettre toute sa confiance en Dieu ne prémunit pas contre les épreuves… Et c’est là où tout va se jouer : va-t-il continuer à s’en remettre à celui en qui son âme reposait et qui, tout à coup, semble le laisser tomber? Poussé dans ses derniers retranchements, il sert à Dieu un argument qu’il croit imparable : « Celui qui n’est plus que poussière peut-il te louer encore, peut-il proclamer ta fidélité? » (v. 10)
Sans même attendre de réponse, le psalmiste lance un cri du cœur : « Seigneur, écoute, accorde-moi ton appui ; Seigneur, viens à mon secours. » (v. 11) Son choix est clair : envers et contre tout, il persiste à croire que son cri ne tombe pas dans le vide. Et manifestement, la suite des choses va lui donner raison : les deux derniers versets témoignent de sa joie retrouvée. Il est passé du deuil à la fête.
Ce psaume trouve sans doute son origine dans l’expérience d’Israël au cœur de l’épreuve en exil à Babylone. Il croit alors avoir tout perdu et se demande si Dieu l’a abandonné à son triste sort. Mais jamais il ne cesse de se tourner vers lui et de lui adresser une prière, tourmentée, mais fervente. Il finira par s’en sortir, écorché, certes, mais debout et habité plus que jamais par une parole de vie et d’espérance.
Avec un regard chrétien, impossible de lire ou de chanter ce psaume sans y voir la lumière de la résurrection du Christ, qui a incarné comme nul autre l’expérience de relèvement dont témoigne le Psaume 30. Portés par l’intuition de son auteur, nous croyons que quelqu’un nous précède dans ce passage des ténèbres à la lumière ; il n’en tient qu’à nous d’emprunter le chemin sur lequel il nous précède.
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.