Psautier de Corbie. Incipit du Beatus. Abbaye de Corbie, 9e siècle. Bibliothèque Louis-Aragon (Ms. 18), Amiens (Wikipedia).
De la détresse à la fête : Psaume 28
Jean Grou | 16 mars 2020
Le Psaume 28 (27) n’apparaît nulle part dans le lectionnaire* du dimanche de l’Église catholique. Il se trouve uniquement dans le lectionnaire pour les jours de la semaine, et une seule fois. Cela s’explique sans doute par son ton assez dur, pour ne pas dire violent par moment.
Son auteur lance un appel au secours au Seigneur alors qu’il se trouve manifestement dans une situation pénible. La nature de son épreuve ne ressort pas clairement, mais il est certainement témoin d’actes répréhensibles de la part de gens qu’il appelle « les méchants, eux qui font le malheur des autres ». On peut se douter que le psalmiste lui-même compte parmi ces « autres ». Rien n’indique en quoi consistent leurs actions répréhensibles, mais une chose est sûre, ce sont des hypocrites : « Ils n’ont que mots aimables pour leur prochain, mais la méchanceté remplit leur cœur. » (v. 3) Aussi, l’auteur de ce texte veut être résolument dissocié d’eux, ne surtout pas être « mis dans le même sac » (v. 3).
La manière dont le psalmiste supplie Dieu d’intervenir peut nous laisser perplexes : « Traite-les d’après ce qu’ils ont fait, d’après le mal qu’ils ont commis. Traite-les comme ils ont traité les autres, fais retomber sur eux leurs propres méfaits. » Décidément, il n’y va pas de main morte! N’est-ce pas un appel à la vengeance? À y regarder de plus près, on peut y reconnaître plutôt le principe de la justice proportionnelle : l’auteur réclame une peine de même nature que le mal commis. Il ne demande pas à ce que la punition dépasse en gravité la faute, ce qui pourrait entraîner une escalade de la violence.
Cette remise en perspective nous aide peut-être à « avaler » ces paroles, mais nous sommes néanmoins en droit de nous demander comment un tel psaume peut bien s’inscrire dans notre vie de prière… Surtout lorsque nous gardons au cœur et à l’esprit les appels au pardon et à la miséricorde qui résonnent dans tous les évangiles. N’y a-t-il pas ici quelque chose d’inconciliable?
Il importe alors, comme pour l’ensemble des textes biblique, d’aller au-delà de la littéralité des propos. Ainsi, nous pouvons considérer les adversaires dont le psalmiste réclame la disparition comme une image de tout ce qui alourdit notre vie, nous menace ou nous blesse. Si par exemple une personne nous a causé du tort, nous pouvons demander au Seigneur non pas de l’éliminer ou de l’affliger d’un malheur mais de lui parler au cœur pour transformer celui-ci. Et parfois, c’est peut-être bien notre propre cœur qui peut avoir besoin d’être renouvelé, de repartir à neuf ou même d’être un peu secoué!
Enfin, ce psaume prendra place avantageusement dans notre prière si nous accordons le plus d’attention aux paroles de confiance et de réconfort qui y résonnent. Ainsi la deuxième moitié du psaume, à partir du verset 6, délaisse le ton de la lamentation pour lancer un cri d’action de grâce pour le secours obtenu de la part du Seigneur : « Le Seigneur me protège, il est mon bouclier. Du fond du cœur, je lui ai fait confiance ; j’ai reçu du secours, j’ai le cœur en fête. » Quel contraste avec la première partie! Comme bien d’autres psaumes, celui-ci ne s’enferme pas dans les plaintes et les ténèbres ; il proclame que la vie et la lumière finissent par avoir le dessus lorsqu’on consent à s’abandonner dans les mains de Dieu. N’effleurons-nous pas ici le mystère pascal?
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.