Initiale D (zoomorphe) – Psaume 26. Psautier à l’usage d’Angers, folio 012, 9e siècle (photo © IRHT).
Le psaume du désir : Psaume 27 (26)
Jean Grou | 20 janvier 2020
Les commentateurs considèrent généralement le Psaume 27 comme un psaume de confiance. Mais il serait peut-être plus juste de le qualifier de psaume du désir, une catégorie inédite. Car c’est bel et bien un désir qui constitue la trame de fond de cette prière, et pas n’importe lequel : celui de vivre et demeurer en présence de Dieu. Tout le reste s’y rattache : les multiples expressions de joie, de crainte, de sentiment de sécurité, de supplication…
On peut diviser ce psaume en trois grandes parties. Dans la première (v. 1-6), l’auteur parle de Dieu. Dans la deuxième (v. 7-12), il s’adresse à Dieu. Et dans la troisième (v. 13-14), il parle de nouveau de Dieu, tout en lançant une interpellation à quelqu’un dont l’identité demeure inconnue.
Comme beaucoup d’autres psaumes, celui-ci trouve sans doute son origine dans le contexte du culte au temple, comme en fait foi le vocabulaire des versets 4 à 6 (« temple », « son toit », « sa maison », « offrant des sacrifices »). Dans la tradition juive à l’époque, le temple est le lieu par excellence pour rencontrer Dieu. Le croyant qui s’exprime ici est sans doute empressé de s’y rendre. Mais il semble que des obstacles de divers ordres risquent de l’en empêcher, comme le laissent supposer les versets 2 et 3 : « des gens malfaisants, […] des bêtes féroces, […] mes ennemis acharnés, […] une armée… » Le langage est sans doute métaphorique, mais la menace paraît bien réelle. Au cœur de celle-ci cependant, le psalmiste fait preuve d’une confiance inébranlable. Il multiplie les expressions qui le manifestent : « Le Seigneur est ma lumière et mon sauveur, je n’ai rien à craindre de personne. Le Seigneur est le rempart de ma vie, je n’ai rien à redouter. » Peut-être veut-il se convaincre qu’il a raison de persévérer : le but de sa démarche étant de rendre un culte à Dieu, comment pourrait-il douter de la protection de ce dernier?
Dans la deuxième partie (v. 7-12), le psalmiste semble quelque peu refroidi dans son élan et laisse même entrevoir une part d’incertitude. En effet, il appelle directement le Seigneur au secours et le supplie de lui faire « la grâce de [lui] répondre », comme s’il doutait que son interlocuteur ne soit devenu soudainement sourd. Le ton moins assuré vient rééquilibrer les propos qu’il tenait jusqu’ici et leur donne une touche de réalisme.
On est aussi à même de constater qu’une confiance apparemment inatteignable peut être ébranlée. Ébranlée, mais pas anéantie, car, tout comme Job, même dans l’épreuve, le psalmiste demeure tourné vers le Seigneur, comme il le souligne d’ailleurs avec force au verset 8. En fait, dans sa supplication, il exprime sa certitude que Dieu ne peut pas le laisser tomber. Et cette certitude est fondée sur une expérience personnelle, comme le laissent croire ces mots qu’il adresse au Très-Haut : « … toi qui m’as secouru ; […] toi le Dieu qui me sauves. » Il emploie même une image pleine de tendresse, peut-être pour essayer de toucher le cœur de Dieu : « Si mon père et ma mère m’abandonnaient, toi, Seigneur, tu me recueillerais. » (v. 10) Il reprend en d’autres mots ce que Dieu déclare dans le livre d’Isaïe : « Une femme oublie-t-elle l’enfant qu'elle allaite ? cesse-t-elle d’aimer l’enfant qu’elle a porté? À supposer qu'elle l’oublie, moi, je ne t’oublie pas. » (Isaïe 49, 15) Un peu comme s’il voulait rappeler au Seigneur cet engagement à, justement, ne jamais oublier.
La dernière partie du psaume (v. 13-14), qui cesse de s’adresser à Dieu pour plutôt parler de lui, comporte aussi une exhortation : « Compte patiemment sur le Seigneur ; ressaisis-toi, reprends courage, oui, compte patiemment sur le Seigneur. » À qui s’adresse l’auteur à ce moment-là? À lui-même? À ses proches venus sacrifier au temple en sa compagnie? À une assemblée de fidèles en pèlerinage? Mieux vaut peut-être y voir une invitation à nous, lectrices et lecteurs, pratiquants et pratiquantes de la prière aujourd’hui. Et c’est peut-être bien le message le plus important à retenir de ce psaume. Compter sur le Seigneur, se ressaisir, prendre courage… De quoi nous rappeler que le secours de Dieu n’est pas un rempart ou un remède miracle qu’il peut nous administrer sans que nous y mettions du nôtre. Le « Seigneur […] protecteur de ma vie » (v. 1) m’ouvre des portes et me donne des occasions favorables; encore faut-il que je les reconnaisse et les saisisse. C’est à cette condition que le Seigneur comblera mon désir de me trouver en sa présence et de compter sur sa protection.
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.