Initiale C – psaume 15. Psautier de Saint-Alban, vers 1130, Dombibliothek Hildesheim (photo © Hildesheim, St Godehard).
Pas de bonheur plus grand que toi : Psaume 16 (15)
Jean Grou | 16 septembre 2019
Si vous participez régulièrement à la messe le dimanche dans une église catholique, vous reconnaîtrez peut-être certains passages de ce psaume. En effet, il apparaît à quatre reprises dans le lectionnaire dominical : à la Veillée pascale, au 3e dimanche de Pâques de l’année A, au 33e dimanche du temps ordinaire de l’année B et au 13e dimanche du temps ordinaire de l’année C. Ses nombreuses présences, notamment à la Veillée pascale, s’expliquent sans doute par le fait que la tradition chrétienne a vu dans un de ses versets une lointaine intuition de la foi en la résurrection : « Non, Seigneur, tu ne m’abandonnes pas à la mort, tu ne permets pas que moi, ton fidèle, je m’approche de la tombe. » (v. 10)
Dans son ensemble, ce psaume constitue une prière de supplication confiante. Le premier verset donne le ton : « Ô Dieu, garde-moi, c’est à toi que j’ai recours. » Le tout baigne dans un climat d’intériorité sereine. Toute la vie du psalmiste repose sur la confiance, au plus profond du cœur et en tout temps, même dans la nuit (v. 7). Pourquoi? Parce qu’il porte la conviction que le Seigneur veille sur lui continuellement. Son attitude est fondée sur une expérience puisqu’il remercie le Seigneur (v. 7). Il précise même la nature de cette expérience : Dieu le conseille (v. 7) et le préserve de la mort (v. 10).
Parmi les conseils que le psalmiste a pu recueillir de la part de Dieu se trouve peut-être celui d’éviter la compagnie des gens malveillants. En effet, il tient des propos critiques à l’endroit des « infidèles » (v. 4). Ce sont pourtant des personnes qui, apparemment, fréquentent le Temple, puisqu’elles apportent une offrande (v. 4c). Mais le psalmiste insiste pour s’en distancier : « Je n’aurai pas même leur nom sur mes lèvres. » (v. 4d) Contrairement à d’autres psaumes cependant, il n’y a pas d’appel lancé à Dieu pour qu’il punisse ses adversaires : le psalmiste prend l’entière responsabilité de faire en sorte qu’il ne pourra s’associer au mal ou à ceux qui le commettent.
Cela dit, le psalmiste reconnaît qu’il ne détient pas la pleine maîtrise de sa destinée : « Seigneur, […] tu tiens mon destin dans tes mains. » (v. 5) Ces propos ont de quoi nous déconcerter, nous Occidentaux du 21e siècle, jaloux de notre indépendance et soucieux de maîtriser tous les pans de notre vie. Voulons-nous croire en un Dieu aussi présent, pour ne pas dire envahissant? Le psalmiste voit les choses autrement et chante au contraire son bonheur d’avoir quelqu’un à qui s’en remettre et qui peut l’aider à porter le poids des jours : « C’est un sort qui m’enchante, un privilège qui me ravit. » (v. 6)
Il n’était sans doute pas plus facile à l’époque de la rédaction de ce psaume qu’aujourd’hui de demeurer attaché au Dieu des ancêtres. Les occasions de se détourner de lui ne manquaient certainement pas, comme l’illustrent les multiples récits bibliques rapportant les infidélités des Israélites à l’Alliance avec le Seigneur. Des occasions qui ont certes changé de visage depuis mais qui restent tout aussi nombreuses et puissantes. Le Psaume 16 pêche peut-être par excès d’enthousiasme lorsque pris au premier degré. Mais il témoigne du sentiment sans doute sincère de quelqu’un qui a compris une chose : la parole de Dieu – « le Seigneur […] me conseille » (v. 7) – est la voie la plus sûre pour parvenir au bonheur ou au salut, pour employer un terme plus traditionnel. La Parole ne propose pas de recettes miracles ou de solutions magiques, mais elle s’offre comme une source qui nous permet de nous accrocher, ou nous raccrocher à la vie.
Dans la foi, nous croyons que quelqu’un nous a devancé en cela : le Christ, vainqueur de la mort, à qui nous pouvons dire à notre tour : « Seigneur, tu ne m’abandonnes pas à la mort, tu ne permets pas que moi, ton fidèle, je m’approche de la tombe. » (v. 10)
Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.