Quelle beauté que ce psaume 68! Il nous fait passer du noir et blanc à un éventail de couleurs : « les ailes de la Colombe se couvrent d’argent et son plumage de vert or » (v. 14). La beauté de la nature est évoquée avec goût; « tu fais neiger sur le Mont-Sombre » (v. 15). Surtout nous assistons dans ce psaume à une procession en souvenir de la liberté : « Dieu, on a vu ton cortège dans le temple. » C’est une procession en mémoire de la sortie d’Égypte, la première Pâque, celle de la première alliance. Lisons-le en nous laissant entraîner, à défaut de l’être par la musique, par l’invitatoire à chanter (Chantez pour Dieu, jouez pour son nom, v. 5).
2 Dieu se lève et ses ennemis se dispersent,
ses adversaires fuient devant sa face.
3 Comme on dissipe une fumée, tu les dissipes;
Comme on voit fondre la cire en face du feu,
Les impies disparaissent devant la face de Dieu.
4 Mais les justes sont en fête, ils exultent;
Devant la face de Dieu ils dansent de joie,
5 Chantez pour Dieu, jouez pour son nom,
Frayez la route à celui qui chevauche les nuées.
Son nom est Le Seigneur; dansez devant sa face.
6 Père des orphelins, défenseur des veuves,
Tel est Dieu dans sa sainte demeure.
7 À l’isolé, Dieu accorde une maison;
Aux captifs, il rend la liberté;
Mais les rebelles vont habiter les lieux arides.
8 Dieu, quand tu sortis en avant de ton peuple,
Quand tu marchas dans le désert, la terre trembla;
9 Les cieux mêmes fondirent
devant la face de Dieu, le Dieu du Sinaï,
devant la face de Dieu, le Dieu d’Israël.
10 Tu répandais sur ton héritage une pluie généreuse,
Et quand il défaillait, toi, tu le soutenais.
11 Sur les lieux où campait ton troupeau,
Tu le soutenais, Dieu qui es bon pour le pauvre.
12 Le Seigneur prononce un oracle,
Une armée de messagères le répand :
13 « Rois en déroute, armées en déroute!
On reçoit en partage les trésors du pays.
14 « Resterez-vous au repos derrière vos murs
quand les ailes de la Colombe se couvrent d’argent,
et son plumage, de vert or,
15 quand le Puissant, là-bas, pulvérise des rois
et qu’il neige au Mont-Sombre? »
16 Mont de Basan, divine montagne,
Mont de Basan, fière montagne!
17 Pourquoi jalouser, fière montagne,
La montagne que Dieu s’est choisie pour demeure?
Là, le Seigneur habitera jusqu’à la fin.
18 Les chars de Dieu sont des milliers de myriades;
Au milieu, le Seigneur; au sanctuaire, le Sinaï.
19 Tu es monté sur la hauteur, capturant des captifs,
Recevant un tribut, même de rebelles,
Pour avoir une demeure, Seigneur notre Dieu.
20 Que le Seigneur soit béni!
Jour après jour, ce Dieu nous accorde la victoire
21 Le Dieu qui est le nôtre est le Dieu des victoires,
Et les portes de la mort sont à Dieu, le Seigneur.
22 À qui le hait, Dieu fracasse la tête;
À qui vit dans le crime, il défonce le crâne.
23 Le Seigneur a dit : « Je les ramène de Basan,
Je les ramène des abîmes de la mer,
24 afin que tu enfonces ton pied dans leur sang,
Que la langue de tes chiens ait sa pâture d’ennemis. »
25 Dieu, on a vu ton cortège,
Le cortège de mon Dieu, de mon roi dans le temple;
26 en tête les chantres, les musiciens derrière,
Parmi les jeunes filles frappant le tambourin.
27 Rassemblez-vous, bénissez Dieu;
Aux sources d’Israël, il y a le Seigneur!
28 Voici Benjamin, le plus jeune, ouvrant la marche,
Les princes de Juda et leur suite,
Les princes de Nephtali.
29 Ton Dieu l’a commandé : « Sois fort! »
Montre ta force, Dieu, quand tu agis pour nous!
30 De ton palais, qui domine Jérusalem,
On voit des rois t’apporter leurs présents.
31 Menace la Bête des marais,
La bande des fauves, la meute des peuples :
Qu’ils se prosternent avec leurs pièces d’argent;
Désunis les peuples qui aiment la guerre.
32 De l’Égypte arriveront des étoffes somptueuses;
L’Éthiopie viendra vers Dieu les mains pleines.
33 Royaumes de la terre, chantez pour Dieu,
Jouez pour le Seigneur,
34 celui qui chevauche au plus haut des cieux,
Les cieux antiques.
Voici qu’il élève la voix, une voix puissante;
35 rendez la puissance à Dieu.
Sur Israël, sa splendeur!
Dans la nuée, sa puissance!
36 Redoutable est Dieu dans son temple saint,
Le Dieu d’Israël;
C’est lui qui donne à son peuple
Force et puissance.
Béni soit Dieu!
Il y a un portrait de Dieu qui nous attire dans ce psaume. « Père des orphelins, défenseur des veuves! À l’isolé Dieu accorde une maison; aux captifs, il rend la liberté. (vv. 6-7). Voilà un avant goût des béatitudes : « Heureux les pauvres car le Royaume des cieux est à eux! » (Matthieu 5, 3) Le Seigneur est venu à la rencontre de ceux qui sont dans une situation de détresse pour les consoler et leur apporter du réconfort.
On voudra bien noter le triple palier vertical qui est décrit dans la représentation du cosmos. Au plan inférieur, le désert plat. Le Dieu de la sortie d’Égypte chevauchant les nuées et descendant au ras du sol. (v. 5). Au plan intermédiaire, le sanctuaire sur la colline, à mi-chemin entre ciel et terre qui est le lieu de la célébration liturgique du salut par le chant (v. 18). Au plan supérieur, la demeure céleste de Dieu où il chevauche dans la sphère inaccessible des cieux primordiaux. (vv. 33-34)
À ce triple palier spatial correspond une triple étape chronologique : le passé au Sinaï au tout début de l’histoire d’Israël en tant que peuple; le présent au temple, lieu de l’actualisation permanente de l’aide de Dieu pour celui qui prie; et le futur du rêve ou de l’espoir du croyant uni à tous les peuples sous l’égide du Dieu de la nature.
On voit se profiler l’évocation du mystère de la résurrection du Christ à Pâques. Comme la sortie d’Égypte sert de prototype à toute expérience du salut, on est tout à fait autorisé à appliquer la sortie de Dieu en avant de son peuple (v. 8) à l’exode du Christ qui passe à travers le désert de la mort, c’est-à-dire sa sortie du tombeau. Le tremblement de terre (v. 8) rappelle le tremblement de terre au Sinaï et surtout celui du récit de la mort et de la résurrection en saint Matthieu (Mt 27,51-54).
« Les messagères » sont les annonciatrices de la victoire des forces ennemies (v. 12). Faisons le lien avec les femmes croyantes choisies comme premiers témoins du Ressuscité, qui annoncent la déroute définitive de l’Ennemi. Préfiguration du Golgotha, le Mont-Sombre (v. 15), porteur de l’ombre de la mort, se couvre de blanche neige, couleur de la pleine lumière et donc de la vie retrouvée. Les « sources d’Israël » (v. 27) forment le point de départ de la procession du peuple vers le temple de Jérusalem (v. 30), explicitement nommé. En relecture pascale, la source du nouvel Israël qu’est l’Église émane du nouveau temple, le corps de Jésus suspendu sur la croix (voir Jean 19,34)
« Le Seigneur a dit : « Je les ramène des abîmes de Basan, je les ramène des abîmes de la mer. » (v. 23). Ce verset donne prise à une application psychologique. Si l’on interprète le sommet de l’orgueilleux Basan comme le symbole de l’exaltation du moi conscient, et « les gouffres de la mer » en référence aux profondeurs de l’inconscient, on peut relire le parallélisme bipolaire du verset comme une affirmation de la victoire du Seigneur, par sa Parole toute-puissante sur toutes les formes du mal psychologique humain, tant conscient qu’infra-conscient.