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chronique du 26 février 2008
 

Les primevères


Est-ce que nous aussi, nous sommes aveugles ? (Jean 9, 40).


La sainteté n’est rien de ce qu’on imagine. J’ai rencontré aujourd’hui une troupe de primevères bavardant à l’air libre et faisant de leurs bavardages une prière qui montait droit au ciel. Leur cœur était ouvert aux pluies, aux sécheresses et même à l’arrachement. Ne pas choisir dans ce qui vient était leur manière impeccable d’être saintes. Je piétinais dans mes pensées quand elles sont apparues sur le bas-côté de la route, offrant à la lumière le berceau coloré de leurs pétales. Le vent faisait vibrer leurs formes, imprimant sur un fond d’herbes un texte digne de louanges.

  Ceux que je rencontre me font de la peine. Je vois une ombre – un chagrin, une absence, un manque – traverser leurs yeux même quand ils rient, comme un petit lézard qui se faufilerait entre deux pierres, tremblant d’être aperçu. Et moi, je suis pareil à eux. Mon cœur bat dans le noir. La vie s’attriste de ne pouvoir nous atteindre que rarement. Elle est avec nous comme une mère qui donnerait son cœur à manger à ses enfants, et ses enfants ne voudraient pas goûter à cette nourriture sublime, ils ne voudraient même pas en entendre parler.

  L’éclat des primevères, pour m’arriver, avait dû déchirer la nuit qui entoure mon cœur. Je tiens pour miracle de voir des choses très pauvres. Je ne me lasse pas de ces miracles. Le paradis, ce serait de vivre une journée entière comme une seule de ces primevères (Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard, p. 58-59).

LIEN : Il y a des aveugles qui ne le sont plus parce que l’intelligence du cœur a pris la relève, comme il y a des voyants qui sont aveugles tant les filtres intérieures sont puissants et opaques.

  Jésus cherche à rejoindre les pharisiens au-delà de leur scepticisme. Il leur propose de croire en ce qu’ils voient : un aveugle inondé de lumière. Mais peuvent-ils seulement le voir ? Toute leur vision se heurte à leurs rites dépourvus d’ancrage, à l’hostilité de leur conformisme manipulateur, hypocrite et mensonger.

  La grâce « s’attriste de ne pouvoir nous atteindre que rarement ». Combien souvent l’éclat d’humbles primevères n’arrive pas à déchirer la nuit de notre cœur. De la même manière, la réalité des émouvantes croissances de ceux et celles qui nous entourent nous reste invisible parce que la distraction, l’indifférence, le conformisme, voir le scepticisme et la vanité nous rendent imperméables à toute perception neuve.

  Notre vue a besoin de développer cette attitude de luminosité intérieure, cette attitude d’écrivain qui « place le papier blanc sur la table et attend que les mots attirés par la luminosité viennent s’y prendre ».

 

Chronique précédente :
Une vie de chien