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chronique du 18 décembre 2007
 

Il fait noir


Joseph, ne crains pas de prendre chez toi, Marie (Mattieu 1, 20).


Marol est dessinateur conteur. Il intervient dans les écoles. Il reçoit d'Abdel Rani (12 ans) son nouvel ami d'une classe du quartier de la chapelle à Paris ces mots : « Il est une fois, un héros qui s'appelle Rani et qui part à travers le soleil. Le héros qui s'appelle Rani est redescendu sur la terre: il fait noir. Il a trouvé un lampadaire et il continue son chemin ».

  Ce témoignage est accompagné d'un dessin où tout est noir. Il y a néanmoins un immeuble et un lampadaire sous lequel se tient notre héros.

  Marol était passé la semaine précédente dans une classe spéciale au cours d'un cycle de rencontres avec des enfants en zone d'enseignement prioritaire.

  L'instituteur l'avait prévenu : « Abdel est un dur, si vous voulez, je l'emmène avec moi dans la salle des maîtres pendant votre intervention. Je crains qu'à lui seul, il gâche la rencontre! » Marol décide de risquer le tout pour le tout et propose à ce déjà fameux Abdel de rester avec ses camarades. Il commence la rencontre ainsi : « Dans vos noms, il y a des mots. Par exemple dans Abdel, il y a bel, bal... ».

  Cette ponction dans les noms peu conventionnels de chacun des élèves (Diallo, Anissa, Mourad, etc.) ouvre de nouvelles perceptions et renfloue leur vocabulaire. Les mots sont ensuite collectés au tableau pour que chacun écrive un texte à partir d'eux. Abdel a fini, il fond sur un de ses copains, le serre à la gorge, lui arrache son texte, le déchire.

  Il a fait fort, en dix minutes il s'est déjà disqualifié.

  Marol cherche à modérer l'insurrection et demande à Abdel d'aller s'aérer dans le couloir. « Je suis triste, tu sais, tu t'es mis toi-même hors jeu ».

  Abdel sort. Quelques brèves minutes plus tard, sa tête réapparaît à la porte. Il est invité à revenir avec les autres. Il veut lire ce qu'il a écrit dans le couloir; il venait de recopier au propre les mots de son copain...

  Marol conclut : « J'ai embrassé Abdel. En nous séparant à quatre heures et demie, il me lançait à toute force : « Tu es mon frère. Qu'Allah te protège! » Le « héros Rani » exilé de la pleine lumière du soleil et perdu dans le noir, avait rencontré un lampadaire! » (Sofian Bojart, Nouvelles clefs, 1999).

LIEN : Prendre Marie chez soi, si différente, enceinte du « Tout Autre », reprendre Abdel, le révolté, l'inadapté dans sa classe, demande de traverser la peur et l'angoisse et de faire connaissance avec l'inconnu de l'autre. Permettre ainsi à la vie de prendre toute sa place, à l'amour de grandir. La tendresse ne naît pas de l'impossible, elle engendre seulement le possible.

  Joseph et Marol, sans tout comprendre, sont passés de la loi à la grâce. Ils ont refusé de juger et condamner. Ils ont fait le pari d'accueillir l'enfant « autre ».

  Que nous puissions accueillir d'abord l'enfant en nous, accepter, apprivoiser et aimer l'enfant dans l'autre, si bien caché parfois derrière des masques ou sous des dures carapaces.

* * * * *

Si vous jugez les gens, vous n'avez pas le temps de les aimer (Mère Térésa).

 

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