Jean le baptiste. Anton Raphael Mengs, 1775 (Wikipédia).

La venue du Père aimant

Francis DaoustFrancis Daoust | 2e dimanche de l’avent (B) – 10 décembre 2023

La prédication de Jean le Baptiseur : Marc 1, 1-8
Les lectures : Isaïe 40, 1-5.9-11 ; Psaume 84 (85) ; 2 Pierre 3, 8-14
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La lecture de l’évangile de ce deuxième dimanche de l’Avent présente les huit premiers versets de l’Évangile de Marc. Ce livre de la Bible se déploie à un rythme effréné, avec des scènes qui se suivent les unes après les autres de manière expéditive. Alors que Matthieu est reconnu pour ses discours, Marc est tout en actions. En ce sens, et bien qu’il soit le plus ancien des évangiles, Marc est celui qui ressemble le plus aux médias d’aujourd’hui. Un véritable TikTok biblique!

Le premier chapitre de Marc commence de manière tout aussi rapide et abrupte. Après une courte introduction – « Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu » (Marc 1,1) – l’auteur cite un bref passage du livre d’Isaïe (v. 2-3 [1]) et saute immédiatement dans le récit de Jean qui pratiquait, sur les rives du Jourdain, un baptême pour la conversion des péchés (v. 4-8). Pas de généalogie, pas de mages ou de fuite au désert, comme plus tard chez Matthieu; pas d’anges, de visitation ou de présentation au Temple, comme ultérieurement chez Luc.

Mais le rythme rapide auquel Marc nous convie peut faire en sorte que nous ne portons pas suffisamment attention à cette citation qui amorce la narration et donne le ton aux événements qui vont suivre. Une analyse plus détaillée de ce passage tiré du livre d’Isaïe rappelle la compassion de Dieu pour son peuple, le lien intime qui les unit et l’importance du pardon des péchés.

Un débordement de tendresse

Cette citation de l’Ancien Testament, qui amorce l’Évangile de Marc, se situe elle-même au début d’une section importante de la Bible : au commencement du Deuxième Isaïe (40-55). L’auteur de cette partie du livre n’est pas le prophète qui est à l’origine des chapitres 1 à 39 et qui vécut aux 8e et 7e siècles av. J.-C. Il s’agit d’un compositeur anonyme du 6e siècle qui écrit vers la toute fin de l’exil du peuple juif à Babylone, cet événement à la fois tragique et rédempteur, qui a profondément marqué l’expérience spirituelle de l’Israël biblique.

Les prophètes qui se situent juste avant et durant l’exil, même s’ils entrevoyaient une période de salut à venir, avaient principalement annoncé la destruction de Jérusalem en raison de l’impiété et de l’infidélité du peuple. Les premiers oracles de Jérémie et Sophonie commencent d’ailleurs ainsi : « C’est du nord que bouillonne le malheur contre tous les habitants du pays » (Jérémie 1,14); « Oui, je vais tout rafler de la surface du sol » (Sophonie 1,2). Et le livre d’Habaquq débute par cette plainte : « Jusqu’à quand, Seigneur, appellerai-je au secours sans que tu écoutes ? » (Habaquq 1,2)

Les toutes premières paroles du Deuxième-Isaïe – « ‘Consolez, consolez mon peuple’, dit votre Dieu » (Isaïe 40,1) – se démarquent donc drastiquement de celles de ses prédécesseurs. Dès le départ, la colère divine et la détresse humaine font place à la tendresse. L’intensité de cette affection est exprimée de deux manières. Elle est d’abord reflétée par le redoublement du verbe « consolez ». Il ne s’agit pas de réconforter une fois, mais de le faire à répétition. De la même manière, le messager de Dieu est appelé deux fois, quelques versets plus loin, à « élever la voix » pour annoncer l’arrivée de Dieu (Isaïe 40,9).

La force de cet amour est ensuite signalée par la forme du verbe employé. Le verbe hébreu utilisé ici, naham, dans sa forme directe, signifie « être désolé », « regretter », « avoir de la compassion ». C’est le terme employé en Genèse 6,7, lorsque Dieu, avant d’envoyer le déluge, déclare qu’il regrette d’avoir créé l’humanité. Mais en Isaïe 40,1, naham est conjugué au piel, une forme des verbes hébreux qui indique l’intensité. Il prend alors le sens de « réconforter », « consoler ». C’est ce que signifie le nom du prophète Nahum, « le consolateur », et ce que l’on retrouve dans Capharnaüm, le « village du consolateur ». En plus de l’intensité, ce changement de forme verbale opère aussi un changement de modalité : on passe du sentiment (avoir de la compassion) à l’action (consoler).

Une relation intime

Bien qu’il soit très court – seulement sept mots en français et cinq en hébreu – le premier verset du Deuxième-Isaïe ne fait pas qu’exprimer l’intensité de la tendresse de Dieu, qui se déploie à de multiples occasions et de manière concrète. Il souligne aussi l’étroite relation qui unit Dieu à son peuple. Le retour de Dieu, en effet, n’est pas annoncé en termes génériques, mais de manière personnelle. Le prophète ne déclare pas : « ‘Consolez, consolez Israël’, dit le Seigneur », mais : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » (Isaïe 40,1). Les deux partis impliqués ne sont pas des inconnus, mais des êtres qui se connaissent depuis longtemps, qui ont une histoire ensemble, marquée de hauts et de bas, d’expériences heureuses et moments plus difficiles.

Le vocabulaire employé par le Deuxième-Isaïe dans ce premier verset, avec le verbe « avoir de la compassion » et la formule « mon peuple », rappelle les noms symboliques donnés aux enfants de la femme infidèle du prophète Osée : Lô-Rouhama (Celle-pour-qui-on-n’a-point-de-compassion) et Lô-Ammi (Pas-mon-peuple) (Osée 1,6-9). En une seule courte phrase, le Deuxième-Isaïe vient renverser la vapeur : Dieu éprouve une profonde compassion pour Israël, qui est bien son peuple.

Après le premier verset vient un développement au sujet de la venue du Seigneur. La proximité et la tendresse qui lient Dieu à son peuple y sont à nouveau exprimées, cette fois-ci par l’utilisation des termes hébreux lev « cœur » (Isaïe 40,2) et heq « sein, poitrine, cœur » (Isaïe 40,11). Situé au début et à la fin du développement, ces noms forment une inclusion qui indique que le retour de l’Éternel vers son peuple se déroule entièrement dans un contexte de profonde affection.

L’expiation des fautes

Ce premier passage du Deuxième-Isaïe explique que le crime d’Israël a été expié et que le peuple a reçu le double des châtiments pour ses fautes (40,2). C’est dans ce contexte que Dieu revient vers son peuple. Celui-ci a été purifié par l’épreuve de l’exil et le Seigneur revient vers lui dans un grand débordement d’affection. On retrouve une idée similaire chez Luc, dans la parabole du fils perdu et retrouvé, avec le père qui se réjouit du retour de son enfant égaré.

Retour vers le futur

Six siècles plus tard, en citant le début du Deuxième-Isaïe, Marc situe donc le baptême de Jean dans ce triple contexte de débordante compassion divine, d’intimité de la relation entre Dieu et son peuple et d’expiation des fautes. Le Seigneur est bien venu, jadis, libérer son peuple de l’exil, mais voici qu’il vient à nouveau vers ce dernier, d’où l’importance de l’expiation des péchés. Marc l’exprime à deux reprises en mentionnant que Jean proclamait un baptême « de conversion pour le pardon des péchés » (Marc 1,4) et que toute la Judée et tous les habitants de Jérusalem « reconnaissaient publiquement leurs péchés » (1,5). Il faut que le peuple ait expié ses péchés, qu’il se soit purifié pour accueillir le Seigneur qui vient. C’est ce que Jean s’applique à faire.

L’annonce triomphale du Deuxième-Isaïe et la prédication de Jean le baptiste demeurent pertinentes pour nous aujourd’hui. Même si l’Éternel est déjà parmi nous (Matthieu 28, 20), il continue de venir vers nous à chaque jour. Or, ce n’est pas un Dieu colérique qui s’approche de nous, mais un père aimant, comme celui de la parabole, qui court vers son fils égaré, se jette à son cou et le couvre de baisers (Matthieu 15,20). Le Seigneur, cependant, ne tolère pas le péché ; il n’endure pas tout ce qui nous sépare de lui ; il abhorre tout ce qui nous empêche d’accéder à la vie de plénitude qu’il a planifiée pour nous.

Nous vivons dans un monde où tout va vite, où tout se déroule aussi rapidement que chez l’expéditif Marc. Mais il est important de prendre le temps d’identifier et de se débarrasser le mieux possible, comme nous y invite Jean le Baptiste, de tout ce qui empêche le Seigneur d’être pleinement présent à nos vies.

Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).

[1] Pour être plus précis, la première partie de la citation est tirée de Malachie 3,1 et la deuxième, d’Isaïe 40,3. L’analyse qui suit s’intéressera exclusivement au passage d’Isaïe 40,1-11, retenu comme première lecture de ce deuxième dimanche de l’Avent.

Source : Le Feuillet biblique, no 2824. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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