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La condition de la présence divine : l’amour
Jean-Louis d’Aragon | 6e dimanche de Pâques (A) – 14 mai 2023
Le Paraclet, Jésus et le Père viendront : Jean 14, 15-21
Les lectures : Actes 8, 5-8.14-17 ; Psaume 65 (66) ; 1 Pierre 3, 15-18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Les disciples sont réunis autour de Jésus pour le repas d’adieu. Ils sont attristés par le départ imminent de leur Maître (Jn 16,22). Ils sont perturbés (Jn 14,1.27), parce qu’ils ont l’impression d’être laissés sans protection dans ce monde qui contredit leur idéal.
Mais le Seigneur ne saurait abandonner les siens. Ceux-ci sont assurés de son amour et de sa fidélité. Il leur promet sa présence personnelle, qui se réalisera de trois manières : le Défenseur viendra et sera toujours avec eux (vv. 15-17) ; ils verront le Christ vivant revenir vers eux (vv. 18-21) ; enfin Dieu le Père et Jésus viendront établir leur demeure en eux (vv. 22-24).
Une seule condition est exigée pour que les disciples puissent accueillir le Défenseur, le Christ et le Père : Si vous m’aimez… ce verbe au début de notre passage commande tout le développement qui suit (vv. 15.21.23.24).
La preuve de l’amour
On parle partout de l’amour : dans les chansons, au cinéma, au théâtre… Avec la vie, c’est la valeur la plus profonde et la plus « comblante » de l’existence humaine. Mais cette valeur fondamentale peut être facilement déformée. On pense qu’on aime parce qu’on ressent une attirance, un désir de possession, qui est souvent inspiré par l’égoïsme. Trop souvent l’amour sera une façade, limité à des paroles, à des déclarations, tandis que les gestes exprimant cet amour seront absents. Personne ne s’y trompe : l’amour se prouve par des actions généreuses et significatives.
Comment pourrait-on s’étonner de l’insistance de Jésus à lier l’amour à l’observance de ses commandements (vv. 21.23)? Jean répète cette affirmation de Jésus : L’amour de Dieu consiste à observer ses commandements (1 Jn 5,3 ; voir aussi 1 Jn 2,4-5). Jésus reprend au fond le principe qu’il énonce ailleurs : l’arbre vaut par ses fruits (Mt 7,15-20 ; 12,33). Il ne suffit pas de dire Seigneur, Seigneur; il faut accomplir la volonté de Dieu pour être sauvé (Mt 7,21-23 ; Lc 6,46).
Jésus montre dans sa personne comment son amour se traduit par la conformité de sa conduite à la volonté du Père. En quittant le Cénacle pour la croix, Jésus conclut son entretien avec ses disciples : Le monde doit reconnaître que j’aime le Père et que j’agis exactement comme le Père me l’a commandé. Levons-nous, partons d’ici! (Jn 14,31). L’amour du Père, de son côté, est conditionné par l’obéissance de Jésus : Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie pour la reprendre… Ce commandement, je l’ai reçu de mon Père (Jn 10,17s). Cet amour concret qui s’exprime dans la disponibilité parfaite est la nourriture de Jésus : Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre (Jn 4,34).
Les commandements dont parle ici Jésus ne sont pas seulement le décalogue, ni même le commandement nouveau de l’amour fraternel (Jn 13,34). « Être fidèle aux commandement » équivaut à « garder » la parole du Christ (Jn 14,23 ; 1 Jn 2,4s). Or la parole de Jésus désigne l’ensemble de l’Évangile qu’il offre au monde, au nom de son Père (Jn 12,49s). Cette parole résume tout le projet de bonheur et de vie que Dieu veut pour chaque personne humaine. Mais ce projet ne peut devenir vivant et produire tous ses fruits sans l’accueil d’amour et de confiance que le croyant doit manifester envers Dieu présent dans le Christ Jésus.
L’autre Défenseur
Le titre Paraclet, traduit ici par Défenseur, désigne celui qui remplit la fonction de tuteur, d’assistant (à l’égard d’un enfant). Le Défenseur est aussi l’avocat, le protecteur (envers le pauvre incapable d’affronter un défi). Le titre « Consolateur », que proposent quelques bibles, convient moins au Paraclet, dont la fonction n’est pas d’abord négative : empêcher les disciples de sombrer dans le désespoir. Le Défenseur assume un rôle avant tout positif : il est comme une seconde personnalité qui, au cœur même du croyant, le soutient, l’assiste et décuple son action.
Ce Défenseur est décrit comme un autre, un second, qui implique l’existence d’un premier Défenseur. Jean affirme que Jésus est notre premier Défenseur : Nous avons un Défenseur devant le Père, Jésus Christ, qui est juste (1 Jn 2,1). L’Esprit Saint est donc étroitement associé au Seigneur Jésus, puisqu’il porte le même titre et qu’il remplit la même fonction auprès des chrétiens. Bien plus, il reçoit tout du Christ, puisque celui-ci annonce que l’Esprit « le glorifiera », manifestant dans les chrétiens la vie même du Ressuscité. De même que le Fils reçoit tout du Père, ainsi en est-il de l’Esprit, car il prendra de mon bien et vous le dévoilera (Jn 16,14s).
L’Esprit continue l’action de Jésus
Le soir de Pâques, Jésus ressuscité apparaît à ses disciples, qui représentent tous les chrétiens à venir. Il leur confère la mission même qu’il avait reçue du Père en venant dans le monde : Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie (Jn 20,21). Ayant pris en lui toute la situation humaine, le Fils de Dieu incarné a disposé d’un temps limité pour sa mission personnelle (Jn 11,9s). Mais il poursuit cette mission par les siens, qui participent à sa vie de ressuscité et qui sont ses témoins jusqu’à la fin de l’histoire humaine.
Les chrétiens sont toutefois incapables d’accomplir par eux-mêmes une telle mission, même s’ils ont en eux la vie de la résurrection. Jésus a reçu l’Esprit de Dieu pour remplir son ministère (Jn 1,33). Les disciples et les chrétiens qui suivront doivent recevoir l’Esprit, cet autre Défenseur, pour continuer la mission du Christ. Aussi le Seigneur Jésus souffle sur eux d’une manière symbolique, rappelant ainsi le souffle créateur (Genèse 2,7) et l’intervention de Dieu ressuscitant son peuple en exil à Babylone (Ezéchiel 37,9). Puis il leur enjoint : Recevez l’Esprit Saint! (Jn 20,22).
« L’Esprit de vérité » (v. 17)
Jésus avait affirmé qu’il était le chemin, la vérité et la vie (Jn 14,6). La vérité, c’est donc la personne même du Christ, qui agit et qui parle au nom du Père qui l’a envoyé. Le Défenseur, qui continue à travers chaque chrétien la mission du Christ, conduira les témoins de Jésus vers la vérité tout entière (Jn 16,13). À travers les siècles, l’Esprit assurera la fidélité de l’Église à la personne du Seigneur, à son enseignement, à sa vie, à son sacrifice sur la croix et à sa résurrection. Sous sa direction, les chrétiens réussiront la difficile adaptation du message et du mystère du Christ à chaque génération et à chaque groupe, tout en garantissant la fidélité à la vérité intégrale du Seigneur Jésus.
Jean-Louis d’Aragon SJ (1920-2016) était professeur honoraire de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal où il a enseigné l’exégèse du Nouveau Testament de 1967 à 1990.
Source : Le Feuillet biblique, no 2803. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal. Ce texte est d’abord paru dans la version imprimée du Feuillet biblique (numéro 1233) le 14 mai 1987.