L’impôt à César. Pierre Paul Rubens, c. 1610-1615. Huile sur panneau de bois, 144 × 189 cm. Musée des Beaux-Arts de San Francisco (Wikipédia).
Payer ou ne pas payer, voilà la question!
Christiane Cloutier Dupuis | 29e dimanche du Temps ordinaire (A) – 22 octobre 2023
L’impôt dû à César : Matthieu 22, 15-21
Les lectures : Isaïe 45, 1.4-6a ; Psaume 95 (96) ; 1 Thessaloniciens 1, 1-5b
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
En exégèse, on aime bien aller voir le contexte d’un texte. Cela est souvent éclairant. Car les rédacteurs évangéliques ont tous construit leur évangile en fonction d’une théologie propre en lien direct avec leur communauté. Le but est toujours le même, didactique. Mais ce but se réalise toujours avec un grand souci pédagogique, une pédagogie faite sur mesure selon chaque groupe.
À l’évidence, les évangélistes savaient qu’un enseignement incompris ou jugé inacceptable est un enseignement inutile. D’où le souci de chaque rédacteur de bâtir son récit en fonction de sa communauté. Chacun rapporte les paroles, enseignements, faits et gestes de Jésus de façon à ce qu’ils soient bien compris et que cela fasse sens pour la communauté tout en tenant compte de la culture, des besoins et des problèmes de cette même communauté. Leur grande question était « comment passer l’enseignement de et sur Jésus à partir de qui ils sont, pour les instruire, les nourrir, fortifier leur foi et leur donner le goût de rester chrétiens parce que c’est un choix intelligent »? Là-dessus, ils ont été des génies de l’inculturation et ont passé le test haut la main (on ne peut pas en dire autant de notre Église). C’est pour ces différentes raisons qu’il est intéressant de regarder comment Matthieu a placé les différents morceaux ou pièces de son évangile qu’on peut voir comme un échiquier et en particulier ce qui est devenu pour nous le chapitre 22. Car bien entendu, il n’y avait ni chapitres ni versets à cette époque [1].
En faisant cet exercice, on constate que trois paraboles précèdent le texte d’aujourd’hui : celle des deux fils (Mt 21,28-32), celle des vignerons meurtriers (21,33-46) et celle des invités aux noces (22,1-14). Juste avant ces trois paraboles, Matthieu rapporte un texte où Jésus enseigne dans le Temple et où les grands prêtres et les anciens du peuple s’avancèrent vers lui (21,23) pour remettre en question son autorité. Matthieu décrit alors un Jésus qui échappe à leur piège. C’est probablement pour cela qu’il place tout de suite après cette altercation, ces trois paraboles qui démontrent :
1) à quel point les autorités de Jérusalem refusent sa proclamation et son autorité ;
2) à quel point Jésus en est conscient et comment il rétorque par ces trois histoires.
C’est très intéressant quand on s’intéresse au Jésus de l’Histoire car cela met en évidence sa lucidité et son intelligence.
En plaçant la péricope concernant l’impôt juste après la parabole du festin de noce, Matthieu démontre la réalité historique de Jésus qui se cache derrière cette histoire de festin. Car cette parabole montre des gens importants, certainement l’élite de l’époque, recevoir une invitation du roi à un festin pour célébrer les noces de son fils. Ils dédaignent l’appel du roi et refusent l’invitation. À l’évidence, Jésus, en racontant cette histoire, visait l’élite religieuse de son temps, qui était aussi l’élite politico-économique. C’était sa façon de leur dire : vous refusez ma proclamation de l’arrivée du Règne de Dieu. Or, c’est Dieu qui m’envoie ; en faisant cela, vous refusez l’invitation qu’Il vous fait. C’est pourquoi, cette invitation, je la lance à toute personne qui veut bien l’accepter peu importe sa qualité. Je la lance aux pécheurs publics, aux publicains et aux collecteurs d’impôts qui sont à vos yeux des voleurs et des moins que rien. Je la lance aux femmes et aux enfants qui n’ont aucun droit, qui n’existent même pas selon vos lois et que vous méprisez. Ce sont eux qui sont tous ceux que les serviteurs ont trouvé, mauvais et bons : ceux-là ne veulent pas sa mort et ils écoutent sa proclamation sans la remettre en question. Matthieu, en toute logique, place donc le morceau concernant l’impôt pour montrer que les ennemis de Jésus sont toujours à l’œuvre et ont toujours l’intention de le piéger : Alors les Pharisiens tinrent conseil afin de le prendre au piège en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples avec les Hérodiens… Et ceux-ci posent la grande question : Est-il permis, oui ou non de payer le tribut à César? Jésus, doté d’une intelligence bien au-dessus de la moyenne, échappe au piège et les ridiculise par sa manière de régler le problème : Montrez-moi, leur dit-il, la monnaie qui sert à payer le tribut… Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles? De César. Alors, rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui à Dieu.
Réflexion
En principe, c’est facile à comprendre. Tout le monde autour de Jésus a compris ce qu’il a dit à ses interlocuteurs, et à l’évidence, ceux-ci en sont restés bouche bée. Mais pour les gens d’aujourd’hui ce n’est pas évident. Pourquoi remettait-on en question le tribut à César? Parce que la Palestine était devenue un territoire qui dépendait de Rome et beaucoup de Juifs ne l’acceptaient pas. Refuser de payer l’impôt était une sorte de rébellion politique. Cependant, on sait parfaitement que les Pharisiens et les Hérodiens s’entendaient bien avec le pouvoir. Et la rébellion s’est fomentée surtout à partir des années 40 et a connu son apogée de 66 à 70, jusqu’à ce que Rome mette la ville à sac. Donc au départ, il y avait un enjeu politique et c’était là-dessus qu’ils voulaient piéger Jésus. S’il avait répondu immédiatement : « il faut payer le tribut à César », il aurait passé pour un Juif manquant de patriotisme ou pro-romain et ils auraient pu se servir de ce prétexte pour salir sa réputation, dire que c’était un collaborateur, etc.
Deux questions importantes : l’impôt et Dieu
On doit profiter de ce dimanche pour réfléchir sur la question de l’impôt. Tout le monde connaît des personnes qui ne pensent qu’à échapper à l’impôt ou rouler le système au maximum. Il y en a probablement d’assis dans les bancs de l’église en ce dimanche. Personne n’aime payer de l’impôt. Mais il faut être conscient que c’est la seule façon en démocratie d’établir une sorte de justice entre les bien nantis et les pauvres. Nous avons un des systèmes les plus généreux au monde en ce qui concerne la santé et l’éducation pour tous et toutes. C’est d’une importance capitale. La misère s’étend partout comme un fléau. Pas une journée se termine sans que les médias nous parlent des gens qui ont perdu leur logement devenu trop cher, des itinérants, des personnes atteintes de maladie mentale qui viennent grossir ces deux problèmes, du coût de la vie en constante augmentation, etc… Alors, il faut des logements sociaux pour répondre à ces problèmes gigantesques, il faut des intervenants sociaux un peu partout, pour les jeunes de la rue, pour les défavorisés, pour les minorités visibles qui se réfugient dans des gangs destructeurs. Il faut des écoles dignes de ce nom et des enseignants qu’on peut soutenir compte-tenu du nombre faramineux de TDAH, sans compter toutes sortes de déficiences chez d’autres enfants. Ces services dont nous avons besoin pour vivre dans une société à visage humain, ça se paye… Voyons l’impôt comme notre contribution chrétienne pour venir en aide aux plus démunis de notre société. Comme chrétien.ne, c’est même un devoir. Dans le livre des Actes, la grande caractéristique des communautés chrétiennes, c’est de s’occuper des pauvres, des veuves et des orphelins ; on voit à ce que chaque membre de la communauté ait un toit, des vêtements et de la nourriture. C’est ce que les Actes appellent l’amour agapè. L’impôt est la façon moderne de remplir ce devoir d’entraide. Alors, on en paye ou on continue à tricher au maximum?
Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Wow! Quelle « affirmation question » si on y réfléchit! Car, ça veut dire quoi au juste quand il s’agit de Dieu? Ça veut dire quoi « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » pour moi? Ça veut dire quoi dans ma vie à moi? Y avez-vous déjà pensé? Est-ce que cela concerne ma personne, mon corps, mes facultés, mon cœur, mes biens? À quel point? Comment? Jusqu’où? Qui réfléchit à cette affirmation de Jésus pourtant fondamentale?
Le point de départ devrait être mon appartenance au christianisme : suis-je un.e chrétien.ne par oreille ou par choix, après mûre réflexion et questionnement sur ma foi chrétienne malgré les fautes et erreurs de mon Église? Être chrétien.ne signifie d’abord et avant tout adhérer à Jésus Christ, peu importe la branche religieuse à laquelle j’appartiens. Donc, l’important c’est de se reconnaître ou être disciple de Jésus de Nazareth. C’est la clef pour être capable de répondre à l’affirmation de Jésus : Rendez à Dieu ce qui est à Dieu. Que nous a-t-il enseigné?
L’enseignement des paraboles
Avec la parabole des mines, Jésus m’ouvre une porte sur comment développer ma créativité, mon esprit d’initiative, ma capacité de me bouger… La parabole de la graine de moutarde m’apprend à l’accueillir pour le laisser me travailler de l’intérieur, ce qui m’amène à développer au mieux ce que je suis intrinsèquement. La parabole du semeur m’apprend à accueillir la Parole et à la mettre en pratique. La parabole du salaire égal m’apprend que Dieu m’invite à travailler à sa vigne qui est le monde d’aujourd’hui et selon qui je suis et ce que je suis : il tient compte de mon âge, de mes forces, de mes faiblesses, de mes habiletés ou non, capacités ou non, handicaps ou non, instruction ou non, abîmé.e ou non par mon milieu de vie fonctionnel ou non, ma santé physique et mentale, etc. Celle du bon Samaritain m’apprend à tenir compte de l’autre, peu importe qui il est. S’il est en danger, s’il a besoin de mon aide, je dois intervenir en laissant mes préjugés ou mes réticences de côté. C’est l’une des paraboles les plus interpellantes de Jésus. Car bien comprise, elle montre que le prochain, c’est soi-même à chaque fois que l’on se fait proche de l’autre. Ce qui signifie que c’est aussi la parabole qui est le plus à la portée de qui que ce soit : se faire proche de ses enfants, de ses frères et sœurs, de ses parents, de ses collègues, de ses amis, de ses voisins, de l’inconnu en panne dans un stationnement, de la personne au supermarché qui semble perdue ou qui ne trouve pas ce qu’elle veut alors que je sais parfaitement où cela se trouve, de celle qui demande son chemin, etc. Bien entendu, ce sont des exemples pour donner des idées. Tous ces exemples ne conviennent pas à tous et dépendent en partie de notre vie et où l’on se situe. À chacun de faire son examen de conscience et de trouver la bonne réponse à l’affirmation lancinante de Jésus : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu »! À tous et toutes, un examen de conscience éclairant et fructueux…
Impliquée en éducation biblique populaire depuis de nombreuses années, Christiane Cloutier Dupuis est détentrice d’un doctorat en sciences religieuses (UQÀM).
[1] Les divisions en chapitres de la Bible viennent de Stephen Langton (†1228) et la division en versets vient de Jacques Lefèvre d'Étaples, trois siècles plus tard.
Source : Le Feuillet biblique, no 2817. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.