La parabole des deux fils. Andreï Mironov, 2012. Huile sur toile, 70 x 100 cm (Wikimedia).

Les deux fils dont parle Jésus : qui sont-ils ?

Odette MainvilleOdette Mainville | 26e dimanche du Temps ordinaire (A) – 1er octobre 2023

Parabole des deux fils : Matthieu 21, 28-32
Les lectures : Ézékiel 18, 25-28 ; Psaume 24 (25) ; Philippiens 2, 1-11
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La première lecture, celle du livre d’Ézékiel, pave la voie à une saine interprétation des paroles de Jésus évoquant l’attitude des deux fils interpelés par leur père, dont il est question en Matthieu 21,28-32. Le prophète écrit : Écoutez donc fils d’Israël. Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie (Ézékiel 18,25-27).

Les deux fils de la parabole désignent vraisemblablement deux groupes au sein du peuple d’Israël : 1) ces Juifs qui, d’une part, se classent parmi l’élite du peuple et qui s’estiment dans la voie de l’orthodoxie, entre autres, les grands prêtres et les anciens du peuple auxquels Jésus s’adresse ; 2) ces Juifs qui, d’autre part, sont d’humbles citoyens anonymes, dont la conduite déroge parfois des lignes de la stricte observance de la Loi et qui, par conséquent, s’attirent le mépris de l’élite. Par ailleurs, l’évocation par Jésus de la prédication de Jean, le Baptiste, en conclusion du texte (Matthieu 21,32) est loin d’être anodine. Elle se veut, au contraire, une importante clé de lecture à l’exhortation qu’il adresse aux grands prêtres et aux anciens du peuple. Jésus qualifie la parole de Jean de chemin de justice. Qu’en est-il donc du contenu du message du Baptiste?

Jésus, disciple de Jean, le Baptiste

L’exhortation de Jean comme transmise au chapitre 3,7-9 de l’Évangile de Matthieu se lit comme suit :

Voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens se présenter à son baptême, il leur dit : “Engeance de vipères! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient? Produisez donc un fruit digne de la conversion. N’allez pas dire en vous-mêmes : “Nous avons Abraham pour père”.

Les pharisiens et les sadducéens à qui Jean reproche une attitude hypocrite peuvent être identifiés à ce fils qui répond positivement à l’invitation du père à aller travailler à la vigne, mais qui, finalement, n’y va pas. Ce fils correspondrait effectivement à ceux-là qui vivent dans l’orgueil de leur statut, prétendant être de la crème du peuple, sans toutefois produire de véritables œuvres de justice, tel que préconisées par Jean. Par contre, le texte de Matthieu ne précise pas comment doivent se concrétiser ces œuvres de justice. C’est en Luc, où se prolonge le discours de Jean, que nous les retrouverons détaillées. Voyons donc ce qu’en dit Luc (3,10-14) :

En ce temps-là, les foules qui venaient se faire baptiser par Jean lui demandaient : “Que devons-nous faire?” Jean leur répondait : “Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même!” Des publicains (c’est-à-dire des collecteurs d’impôts) vinrent aussi pour être baptisés; ils lui dirent : “Maître, que devons-nous faire?” Il leur répondit : “N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé.” Des soldats lui demandèrent à leur tour : “Et nous, que devons-nous faire?” Il leur répondit : “Ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort; et contentez-vous de votre solde.”

Voilà en quoi consiste le chemin de justice auquel Jésus fait référence quand il renvoie à la prédication de Jean. Accomplir la justice, c’est adopter un comportement conforme à ce que Dieu attend de l’être humain. C’est adopter une conduite ancrée dans le respect et l’amour du prochain, sans considération ni du titre ni du statut social de celui ou de celle qui la met en pratique. Une conduite accessible à quiconque choisit de marcher sur la voie indiquée par Jésus, laquelle s’actualise toutefois au fil des événements quotidiens. Une conduite qui se veut réponse à la question : Qu’est-ce que faire la volonté de Dieu dans telle ou telle situation ? Ou plus concrètement : Que ferait Jésus à ma place ? La réponse ne peut être que génératrice de vie et contributrice à l’édification du Royaume de Dieu, car Jésus est celui qui a accompli la volonté de Dieu à la perfection. Or, quiconque marche sur les traces de Jésus travaille, sans conteste, à la vigne du Père.

Par ailleurs, cette invitation à œuvrer au sein de la vigne, de travailler à l’édification du Royaume de Dieu, ne fait aucune allusion à la pratique cultuelle, mais bel et bien à un mode de vie au quotidien. Ce qui ne signifie nullement que la pratique cultuelle soit inutile, mais elle ne demeure signifiante que si elle célèbre une pratique préalable de la justice.

Il n’est certes pas inutile de rappeler le fait que Jésus ait pleinement endossé la prédication de Jean, d’abord en se faisant baptiser par lui et ensuite, en la proclamant avec encore plus d’emphase, comme en témoigne Matthieu 25, 34-46 [1]. Encore là, la pratique de justice préconisée se concentre sur une pratique de la charité humaine sans faire allusion à la pratique cultuelle.

Les publicains et les prostituées

Il demeure cependant que le fait de proposer les publicains et les prostituées comme personnages ayant préséance sur les grands prêtres et les anciens du peuple (les anciens étant ceux plus âgés détenant une certaine autorité ou exerçant des responsabilités au sein du peuple) peut prêter à confusion, voire être gênant. Rappelons que les publicains étaient ces Juifs qui percevaient les impôts pour le compte des envahisseurs romains auprès de leurs concitoyens, tout en collectant plus que ce qui était exigé, et ce, pour leur propre profit. Les publicains étaient donc considérés comme des traitres et ils étaient, par conséquent, détestés de leur peuple. Quant aux prostituées, nul besoin d’élaborer longuement pour comprendre le mépris qu’elles pouvaient essuyer de la part de leur entourage.

Est-ce à dire que Jésus propose les publicains et les prostituées comme modèles à imiter ? Certes non ! Comprenons bien le contexte où il les fait entrer en scène. Jésus les présente comme des pécheurs (cela est sous-entendu) qui ont écouté Jean et qui ont cru en son enseignement, de sorte qu’ils ont changé de vie, modelant leur conduite sur cette forme de justice prônée par Jean. Ainsi, dans la parabole prononcée par Jésus, ils correspondent au fils qui refuse d’abord d’aller travailler à la vigne de son père, mais qui se repent et y va ensuite. Remarquons que si Jésus ne donne que ces deux groupes comme exemples, c’est justement parce qu’ils sont des figures types des méprisés par les soi-disant « justes », mais bien d’autres exemples auraient évidemment pu être cités. Ce qui importe, c’est que ces personnes pataugeant dans la fange, après avoir entendu la prédication de Jean, décident d’ajuster leur conduite au mode de vie qu’il préconise.

Conclusion

Jean et Jésus ont prêché un message analogue, celui d’une vie dans la justice. Or, tous les deux ont également subi un sort analogue : le rejet de la part de ceux qui vivent dans l’orgueil de leur statut socioreligieux, se croyant supérieurs aux autres. Cela incite fortement à réflexion. Nul besoin d’élaborer longuement pour comprendre comment inscrire sa propre conduite quotidienne au cœur de cette justice. Une conduite, répétons-le, qui s’actualise au fil des événements et qui s’efforce toujours de suivre le modèle tracé par Jésus, lui-même.

Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.

Source : Le Feuillet biblique, no 2814. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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