Jésus et la Samaritaine au puits de Jacob. Angelica Kauffmann, 1796. Nouvelle Pinacothèque, Munich (Wkipédia).
Où le désir de Jésus devance celui de la Samaritaine
Lorraine Caza | 3e dimanche du Carême (A) – 12 mars 2023
L’eau vive et le culte nouveau : Jean 4, 5-42
Les lectures : Exode 17, 3-7 ; Psaume 94 (95) ; Romains 5, 1-2.5-8
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
L’année liturgique A propose à notre contemplation les trois magnifiques récits johanniques de La Samaritaine, de l’Aveugle-né et de la Résurrection de Lazare. C’est au 3e dimanche du carême que nous retrouvons le premier de ces grands récits.
Les puits, lieux de rencontres
Jésus a quitté la Judée et est en marche vers la Galilée. Il doit donc traverser la Samarie. Est-ce l’importance de ce qui va se passer qui explique qu’on nous ait fourni tant de détails sur le temps et le lieu de l’événement? Il a lieu à Sychar (aujourd’hui, Naplouse), au puits de Jacob où un Jésus, fatigué de sa longue marche, se tient assis. C’est environ la sixième heure du jour. Plusieurs événements marquants de l’histoire de la Promesse ont un puits comme contexte. Quand Abraham envoie son serviteur chercher une épouse pour son fils Isaac, c’est à un puits que le serviteur trouve Rébecca (Genèse 24). Rachel arrive avec le troupeau de son père au puits que Jacob a vu dans la campagne. Jacob abreuve le troupeau. Et Jacob servira Laban pendant sept ans pour Rachel. Ces années lui semblèrent comme quelques jours, tant il l’aimait. (Gn 29). Poursuivi par le pharaon, Moïse se rend au pays de Madian et s’assit au bord d’un puits. Quand les filles du prêtre viennent puiser l’eau pour abreuver leurs moutons, des bergers les chassèrent et, alors, Moise les tira de la main des bergers, puisa l’eau à leur place et fit boire le bétail. Le prêtre dit à ses filles : pourquoi avez-vous laissé là cet homme? Le prêtre donna sa fille Çippora comme épouse à Moïse (Exode 2). Le puits de Jacob en Samarie nous renvoie donc aux grands ancêtres dans la foi : Abraham, Isaac, Jacob, Moïse.
Jésus, un puits d’eau vive
Une femme vient puiser l’eau au puits où Jésus est assis. C’est lui qui prend l’initiative de la conversation en demandant : « Donne-moi à boire. » La femme, dont on ne nous dit pas le nom, se montre fort surprise : « Comment! Tu es juif et tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine? » C’est que les Juifs n’ont pas de relations avec les Samaritains. Jésus reprend la parole : « Si tu savais le don de Dieu et qui est Celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’en aurais prié et Il t’aurait donné de l’eau vive. » La femme réplique : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser. Le puits est profond. Où la prends-tu donc l’eau vive? Serais-tu donc plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits et y but lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes? » La réponse de Jésus ne se fait pas attendre : « Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ; mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle. » À la femme d’exprimer sa soif profonde pour l’eau que Jésus propose : « Seigneur, donne-la moi, cette eau-là, afin que je n’aie plus soif et que je n’aie plus à passer ici pour puiser. »
Cette première partie de la rencontre nous présente un dialogue entre un Jésus bien humain, expérimentant la fatigue de la route, et la femme de Samarie. Le discours porte sur deux types d’eau : celle que la femme vient puiser quotidiennement et l’eau que Jésus dit être pour toute personne qui la reçoit, source de vie éternelle. Le monde d’ici, d’une part… Le monde que Jésus vient révéler, d’autre part…
La suite du récit nous place devant un niveau plus intime de conversation. C’est encore Jésus qui a l’initiative du dialogue : « Va, appelle ton mari et reviens. » La femme répond à Jésus : « Je n’ai pas de mari. » Jésus, de rétorquer : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari, car tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là tu dis vrai. » Par ces mots, Jésus vient de se révéler. « Seigneur, je le vois, tu es un prophète. Alors, explique-moi : Nos pères ont adoré Dieu sur la montagne qui est là et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut l’adorer est à Jérusalem. »
La Samaritaine évangélisée et évangélisatrice
Suivra cette affirmation prophétique, l’incomparable développement de Jésus sur la véritable adoration du Père qui conduira la femme à professer : « Je sais qu’il vient le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. » Jésus se révèle alors merveilleusement : « Moi qui te parle, je le suis. » Jésus, prophète… Jésus Messie, Christ… Sous l’action de l’Esprit, quel chemin parcouru par la Samaritaine. Dès qu’elle rejoint ses compatriotes, est-on surpris de l’entendre proclamer : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie? »
Une autre dimension du dialogue prend son point de départ dans ce que nous apprenons au sujet des disciples. Partis faire les provisions et revenus vers Jésus, ils ne le questionnent pas sur sa rencontre avec la Samaritaine ; ils l’invitent à manger. À quoi, il répond : « Pour moi, j’ai de quoi manger ; c’est une nourriture que vous ne connaissez pas… Ma nourriture c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » Nos esprits avaient été sensibilisés à deux types d’eau dans la première étape de ce parcours ; il est maintenant question de deux types de nourriture : celle qui secourt notre corps ; celle dont Jésus a le secret. Images de puits et d’eau ; images du culte sur la montagne et de celui qui est rendu à Jérusalem ; images du semeur et du moissonneur : l’un sème et l’autre moissonne…
La finale du texte nous introduit à une moisson magnifique et inattendue. Les compatriotes de la femme anonyme de Samarie reconnaissent croire en Jésus d’abord en raison du témoignage de la femme, mais, au sommet du récit, s’ils adhèrent à Jésus, c’est en raison de la parole même du Maître. Leur conviction est de professer qu’Il est le sauveur du monde.
Quel chemin dans le cœur de la femme! Mais aussi dans celui de son peuple : l’homme fatigué sur le bord du puits, le juif, le prophète, le Messie/Christ, le Sauveur du monde. Notre liturgie de ce 3e dimanche du carême nous fait trouver en première lecture Moïse, campant avec les fils d’Israël dans le désert de Réphidim. Quand Dieu dit à Moïse de frapper le rocher de l’Horeb et qu’il en sortira de l’eau capable d’abreuver le peuple, annonce-t-il d’une certaine manière l’eau vive de Jésus, celle qui est source de vie éternelle?
En seconde lecture, la liturgie met en scène l’apôtre Paul qui nous parle de la foi qui fait de nous des justes, qui nous situe en paix avec Dieu, qui nous permet d’avoir part à la gloire de Dieu. Rejoint-il ce dont Jésus parle avec la Samaritaine? Quand la Samaritaine est suivie par ses compatriotes pour reconnaître en Jésus le Sauveur du monde, est-elle, sont-ils loin de Paul qui s’écrie : La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs.
Il ne nous reste qu’à faire nôtre l’acclamation de l’évangile de notre liturgie : Le Sauveur du monde, c’est toi. Donne-nous de l’eau vive, et nous n’aurons plus soif.
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).
Source : Le Feuillet biblique, no 2792. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.