Le Christ et Zachée. Chapiteau de l’église Saint-Nectaire, Puy-de-Dôme (Elke Wetzig / Wikimedia).

Il était une fois… un petit homme

Christiane Cloutier DupuisChristiane Cloutier Dupuis | 31e dimanche du Temps ordinaire (C) – 30 octobre 2022

Conversion de Zachée : Luc 19, 1-10
Les lectures : Sagesse 11, 23 – 12, 2 ; Psaume 144 (145) ; 2 Timothée 1, 11 – 2, 2
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Il est intéressant de constater qu’au chapitre 18 qui précède l’histoire de Zachée en 19,1-9, Luc rapporte la parabole du « pharisien et du publicain, collecteur d’impôts » et clôt le chapitre avec l’histoire de l’aveugle Bartimée comme pour nous préparer à celle de Zachée qui la suit immédiatement ; ces trois textes forment une sorte de trilogie.

D’abord en Luc 18,9-14, un collecteur d’impôts (en Israël, un pécheur public à cause de son métier) qui retourne chez-lui justifié par Dieu, puis en 18,35-43, un aveugle qui habite à Jéricho et retrouve la vue grâce à sa rencontre avec Jésus après avoir hurler pour être vu, entendu et guéri. Or, Zachée (19,2) est un chef des collecteurs d’impôts qui, à l’exemple de Bartimée, habite Jéricho, veut voir Jésus et qui va effectivement être vu par lui et … à la fin du récit, Zachée, comme Bartimée, a retrouvé la vue non pas au niveau physique mais au niveau humano-spirituel. Luc montre bien à quel point cette rencontre lui a ouvert les yeux sur ce que signifie la compréhension et l’accueil de la Bonne Nouvelle de Dieu.

Le récit

Quelle histoire que celle de Zachée dont le nom signifie ironiquement le « pur ou l’innocent ». Luc rapporte que Jésus traversait la ville de Jéricho et c’est durant cette traversée que survint un certain Zachéechef des collecteurs d’impôts et riche précise l’évangéliste. Le détail est important car l’évangile de Luc est celui qui mentionne le plus des histoires concernant l’argent et où on oppose souvent riches et pauvres. Subitement la situation devient amusante car le personnage est petit de taille et il y a foule : Il cherchait à voir qui était Jésus et ne pouvait pas y parvenir à cause de la foule, parce qu’il était petit de taille. Compte tenu de son métier qui le rend ipso facto impur (pécheur public qui peut dès lors contaminer toute personne qui le touche) et certainement détesté de tous à cause de ce métier qui en fait un voleur public, on comprend vite que personne n’est intéressé à lui faire une place sur le bord du chemin! Mais il tient à voir Jésus. C’est pourquoi il courut en avant et monta sur un sycomore afin de voir Jésus qui allait passer par là. Quand un verbe se répète comme ici dans deux versets qui se suivent, cela signifie qu’il est important et que l’évangéliste veut attirer notre attention sur ce détail. C’est un moyen littéraire de mettre en évidence le désir de Zachée de voir Jésus et pas seulement le voir mais aussi savoir qui il est : il cherchait à voir qui était Jésus (19,3).

Dans ce but, il ne craint pas le ridicule de courir et grimper dans un arbre devant la foule qui le voit. On peut parier que des gens ont ri et se sont peut-être moqué de lui en le voyant faire. Il grimpe sur un sycomore. Détail intéressant à savoir pour mieux saisir la scène « le sycomore, inconnu en Occident, est une essence qui croît en plaine, ne perd pas son feuillage, possède un large tronc et de grosses branches basses largement étalées [1] ». Cela permet de comprendre plus facilement pourquoi le petit homme a pu grimper et puisque les branches sont basses et étalées, ce devait être facile de l’apercevoir dans l’arbre. Il n’y a aucun mystère là-dedans. Beaucoup d’encre a coulé sur le fait que Jésus, arrivé à cet endroit, l’a vu et a levé les yeux pour l’interpeller par son nom.

À ce sujet, les explications théologiques et non exégétiques n’ont pas manqué sur la science infuse de Jésus. Deux précisions importantes à apporter : nous sommes dans les Synoptiques, les évangiles du Jésus de l’Histoire. Pour ses contemporains, Jésus est vu comme un grand guérisseur, un exorciste, un prophète, un homme de Dieu et pour certains le Messie ; cela suffit à expliquer ses pouvoirs. Secundo, comme l’a si bien défini le concile de Chalcédoine en 451, Jésus était « totalement et parfaitement homme » (trad. litt. du grec) formule conciliaire utiliser. La science infuse n’existe que dans les films futuristes.

Revenons au récit et rappelons-nous que Jésus était entouré de gens de la ville et Zachée « le riche » était nécessairement connu. Les gens riches de cette époque n’étaient qu’une petite poignée et Jéricho, une petite oasis. Il suffisait à Jésus de demander à son entourage qui était le « moineau » juché dans l’arbre pour savoir son nom et son métier. Comme Luc montre, à différents endroits, Jésus proche des pécheurs et des collecteurs d’impôts (Lc 5,30.31 ; 15,1-2), et s’il a effectivement demandé aux gens autour de lui qui il était (c’est une hypothèse crédible) l’information reçue pourrait l’avoir incité à inviter Zachée en apprenant le métier qu’il exerçait.

Peu importe, l’important du récit est l’invitation de Jésus : « Zachée, descends vite, il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison » et la rapidité avec laquelle Zachée a répondu : Vite il descendit et l’accueillit tout joyeux (19,6). À cet endroit précis, Luc s’empresse d’indiquer la réaction malveillante des bien-pensants de la ville, la même qu’en Lc 5 et 15 : Tous murmuraient/récriminaient (trad. litt.) et disaient c’est chez un pécheur qu’il est allé (entra faire halte gr. litt., 19,7). Luc veut souligner le contraste entre le collecteur d’impôts et les bonnes gens (les justes) autour de Jésus.

Au verset suivant (19,8), la tradition sous-jacente au récit s’est volontairement faite discrète sur le séjour de Jésus chez le publicain. Pas un mot sur la durée de l’hospitalité ni sur le contenu des échanges entre les deux hommes. Silence rempli de sagesse gardé par la tradition, non seulement parce qu’on ignorait ce qui s’était passé et dit entre eux mais surtout parce que l’important à souligner était la transformation opérée par cette rencontre : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j’ai fait tort à quelqu’un je lui rends le quadruple, là est l’essentiel. Le récit veut montrer le changement/transformation de Zachée, la metanoia qui s’est opérée (metanoia, gr. signifiant littéralement changement de mentalité et non conversion). Pour qu’une conversion soit solide et perdure, il faut que la raison et l’intelligence soient convoquées. Sinon cela risque de n’être qu’un feu de paille ou de l’embrigadement comme dans les sectes. En sociologie des religions, on montre bien, preuves à l’appui, à quel point les sectes, religieuses ou autres, visent les tripes ou les émotions mais surtout pas la raison ou l’intelligence ; c’est la clef de leur succès. Zachée, en manifestant un tel changement de mentalité, montre qu’il a bien saisi l’enseignement de Jésus et qu’il en comprend les conséquences. Il ne peut plus exploiter les autres comme son métier le lui permettait et il s’est rendu compte des torts que sa conduite avait engendrés. Constatant le sérieux de ce changement, Jésus déclare : Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison car lui aussi est un fils d’Abraham. En l’appelant « fils d’Abraham » publiquement, Jésus vient de lui redonner sa dignité comme à la femme au dos courbé (Lc 13,16).  En spécifiant le temps, aujourd’hui, il souligne l’urgence d’entrer dans le Règne de Dieu. Pour Jésus, c’est primordial car il y va du bonheur de l’être humain et de sa façon de vivre quand il accepte d’accueillir au Règne de Dieu. Pensons aux béatitudes.

Actualisation

Ce récit souligne le contraste entre les purs et les impurs. Les spécialistes de Luc font allusion aux conflits que semble vivre la communauté lucanienne. Conflits qui concernent l’argent et conflits qui concernent les chrétiens entre eux comme s’il y avait deux catégories sociales de chrétiens, une élite et les autres. Le récit de Zachée serait un des prototypes décrivant cette situation : un riche mal vu et mal jugé. L’allusion au sujet des récriminations des gens parce que Jésus s’adresse à lui et pire, va loger chez-lui, représenterait la communauté divisée entre ses membres purs et les autres regardés comme beaucoup moins purs.

C’est toujours d’actualité. Le chef des collecteurs d’impôts nous fait réfléchir sur notre rapport et notre dépendance à l’argent. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour en avoir toujours plus et jusqu’où avons-nous le souci des autres, ceux qui n’en n’ont pas? La crise actuelle du logement, en partie due aux prix demandés trop élevés (à Montréal entre autres) est un bon indice sociétal. Peu importe nos moyens financiers, comme chrétiens et chrétiennes, nous devons nous questionner sur ce sujet et prendre conscience de notre position et de notre rapport avec le dieu « Argent ». Quant à l’élite religieuse, la vie l’a faite disparaître de notre milieu au Québec ; notre problème majeur est plutôt comment rebâtir nos communautés chrétiennes catholiques pour qu’elles perdurent et soient solides. C’est un défi gigantesque. Mais pour y arriver, il faut développer le vivre ensemble dans nos communautés, y insuffler de l’âme et permettre à toutes et à tous de participer. Il faut arriver à tisser des liens entre les personnes qui veulent bien venir encore à l’église. Mais encore faut-il que ce ne soit pas « plate » et qu’on s’y sente chez-soi. La solidité de la communauté et l’amitié/convivialité entre ses membres semblent avoir été de grandes préoccupations des responsables de l’Ekklesia lucanienne.

Première piste, celle de la rencontre

Il a suffi d’une rencontre entre Jésus et Zachée pour que la vie de celui-ci prenne un tournant majeur. Pourquoi? Parce que Jésus l’a rejoint là où il vivait, dans son milieu de vie. Parce que Jésus a pris le temps de l’écouter, de le « rencontrer » au sens propre du terme. Il s’est mis à son niveau sans aucun préjugé. Zachée s’est senti accepté tel qu’il était et dans tout ce qu’il était. Ne se sentant pas jugé ni obligé de se surveiller, se sentant respecté, pouvant être lui-même, il a été capable de prendre le temps d’entendre, d’écouter et de comprendre le message. C’est ainsi qu’il a ouvert tout naturellement et son cœur et ses yeux. Pour qu’une telle transformation soit possible et durable, il faut que la raison et le cœur battent à l’unisson. Jésus est le « Maître » par excellence dans ce domaine. Il faut apprendre à l’écouter en l’accompagnant sur les routes de la Palestine comme le faisaient ses disciples, le regarder agir quand il accueille les personnes et apprendre à travers ses enseignements et ses comportements qui est le Dieu qui l’a séduit et qu’il n’a jamais cessé de proclamer ni d’annoncer.

Deuxième piste, la connaissance des Écritures

Nul ne sait ce que Jésus lui a dit. Mais connaissant le Jésus de l’Histoire dont la proclamation portait sur l’arrivée du Règne de Dieu dans le cœur de qui veut bien l’accueillir et les effets extraordinaires produits par cette arrivée personnelle de Dieu chez une personne (voir Lc 13,18-19, parabole graine moutarde), on peut supposer que ce fut l’essentiel des conversations. Plusieurs paraboles de Jésus nous dévoilent ses images de Dieu, un Dieu qui n’hésite pas à se faire tout petit pour qu’on ne le redoute pas et qu’on ait envie de l’accueillir, un Dieu qui nous aime et nous accepte tels que nous sommes. Mais pour le savoir, il faut fréquenter les Écritures, en particulier le 2e Testament et si possible lire des livres écrits non pas par des hommes pieux ou des commentaires théologiques mais des livres portant sur des commentaires bibliques écrits par des personnes compétentes.

Troisième piste, la bienveillance

Développer la confiance et l’amitié. Jésus aurait pu lever le nez sur Zachée, voire le mépriser. Mais pour lui, toute personne a du prix, peu importe les apparences. Il a su aller au-delà du paraître de cet homme à la réputation douteuse. L’idée n’est pas de faire confiance à n’importe qui, n’importe où. L’idée est de nous questionner sur notre comportement et notre compréhension au sujet des personnes qui nous entourent ou qui font partie de notre cercle social. Avons-nous des préjugés sur certaines et sur quoi sont-ils bâtis? Les pensons-nous capables d’évoluer ou les avons-nous figés dans le temps? Regardons-nous le monde, la vie et les gens avec les mêmes yeux qu’il y a 5, 10 ou 15 ans? Avec Jésus, apprenons à tisser des liens avec les personnes autour de nous que nous aimons et celles que nous aimons peut-être un peu moins. Nous en ressortirons enrichis et étonnés de la joie que cela suscite.

Formatrice spécialisée en études bibliques, Christiane Cloutier Dupuis détient un doctorat en Sciences religieuses (option Exégèse) de l’UQÀM.

[1] François Bovon, L’évangile selon saint Luc 15,1 – 19,27, Genève, Labor et Fides, 2001, p. 241.

Source : Le Feuillet biblique, no 2773. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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