Le bon berger. Lucas Cranach le Jeune, circa 1540. Techniques mixtes, 20,5 x 14,5 cm. Musée de l’Anger, Erfurt (Wikimedia).

Délicatesse et tendresse de Dieu

Christiane Cloutier DupuisChristiane Cloutier Dupuis | 24e dimanche du Temps ordinaire (C) – 11 septembre 2022

Trois paraboles : Luc 15, 1-32
Les lectures : Exode 32, 7-11.13-14 ; Psaume 50 (51) ; 1 Timothée 1, 12-17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

L’Évangile d’aujourd’hui présente au complet le chapitre 15 de l’évangile de Luc. Nous devons donc regarder l’ensemble du texte où se succèdent les trois paraboles. Ce n’est pas un hasard si Luc a choisi de les aligner l’une à la suite de l’autre car elles ont un thème commun et répondent au questionnement des pharisiens et des scribes au sujet de la conduite de Jésus face aux pécheurs.

On doit se demander pourquoi. Serait-ce que la communauté de Luc éprouverait des difficultés à accueillir des personnes qu’elle considère comme « impures » au sens d’inadéquates ou d’indignes d’appartenir à leur communauté à partir de certains critères ou raisons? Y aurait-il déjà un certain élitisme dans cette communauté, les « parfaits » et les autres envers lesquels on affiche du mépris (Lc 5,30-32)? La question vaut la peine d’être posée vu l’insistance de Luc à mettre non seulement en évidence le comportement de Jésus avec les « pécheurs » mais encore plus à souligner la façon dont Jésus répond à ce questionnement.

L’importance des versets 1 et 2

Luc rapporte que collecteurs d’impôts et pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’écouter et que les scribes et pharisiens murmuraient car ils ne comprenaient pas pourquoi Jésus fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux. Or, Jésus les connaît bien et sait qu’argumenter avec eux serait inutile et improductif. Mais il trouve important qu’ils puissent comprendre sa conduite. Eux aussi sont des enfants de Dieu. Il se sert donc d’un moyen pédagogique qui permet d’expliciter clairement sa pensée sans les offenser et sans qu’ils se sentent jugés. Il utilise son talent de conteur pour démontrer pourquoi il agit ainsi. Et pour être sûr qu’il n’y aura pas d’ambiguïté, il veille à ce que ses histoires soient reliées sur le plan stylistique : v. 3, Alors il leur dit cette parabole ; v. 8, Ou encore ; v. 11, Il dit encore. On comprend que ce Alors il leur dit fait allusion au questionnement des scribes et pharisiens.  

Une lecture attentive permet vite de repérer un refrain repris tout au long du chapitre : « Réjouissez-vous avec moi car ce qui était perdu est retrouvé » (vv. 6.9.23-24). Dans tous ces versets reviennent les mêmes mots : perdu-retrouvése réjouir. C’est le fil conducteur pour le sens du chapitre. Jésus veut démontrer le pourquoi de sa conduite, basée sur sa compréhension personnelle de Dieu : un Dieu qui accepte que l’on se trompe, s’égare, se perde ou soit coupable de nombreuses fautes.

La brebis perdue/égarée et retrouvée

Que veut donc faire comprendre Jésus à travers ses histoires qui se ressemblent tout en étant différentes, chacune mettant l’accent sur des points particuliers? Regardons d’abord celle concernant la brebis perdue/égarée selon le sens que l’on veut donner. Exégétiquement parlant, Jésus s’est inspiré d’Ézéchiel 34,15-16 où Dieu dit : Celle qui est perdue, je la chercherai, celle qui est égarée, je la ramènerai, celle qui est blessée…. En Luc 15,3-7, il décrit un berger qui n’hésite pas à laisser ses 99 brebis dans le désert sur 100 pour aller à la recherche de celle qui est perdue/égarée, le verbe grec utilisé ayant les deux sens. La nuance doit être soulignée car être perdu sous-entend que l’on ne sait plus comment retrouver son chemin alors qu’être égaré peut laisser entendre qu’on a pris une mauvaise direction un peu comme la chèvre de monsieur Séguin. La mention du désert a aussi un but ; elle explique pourquoi il n’a pas hésité à laisser les autres brebis, certainement peu enclines à s’en aller dans un milieu aride, sans végétation, et son inquiétude à l’égard de celle qui s’est aventurée en pareil milieu. Pourquoi Jésus souligne le comportement du pasteur qui, lorsqu’il l’a retrouvée, la charge, tout joyeux, sur ses épaules. Pourquoi ce détail sur ses épaules? Avait-elle peur, voulait-il la rassurer, était-elle trop fatiguée à cause du chemin parcouru? Peu importe, le but du récit est de démontrer la tendresse de Dieu envers celle-ci et la joie que celui-ci ressent : Réjouissez-vous avec moi car je l’ai retrouvée ma brebis qui était perdue. Et l’explication finale de pareille histoire : Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit plus que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion. Et vlan pour les purs et les parfaits, qui, à la limite, grâce à leurs règles bien suivies, n ’ont nul besoin de Dieu.

La drachme perdue et retrouvée

La deuxième parabole met l’accent sur une femme qui perd une drachme et chambarde toute sa maison pour la retrouver. Et là encore, même scénario : elle réunit ses amies et voisines pour célébrer la pièce perdue/retrouvée et se réjouir. Cet exemple de drachme perdue à l’intérieur de la maison laisse comprendre qu’on peut être perdu dans sa propre maison et que personne ne nous voit plus. Jésus prépare astucieusement la parabole suivante où l’aîné vit exactement ce problème. Autre détail important : en prenant une femme comme sujet de l’action, Jésus compare implicitement Dieu à cette femme. Pour l’époque, c’était de l’impensable.

Le fils perdu et retrouvé

La troisième parabole est la plus célèbre. Elle fonctionne sur le même modèle : fils perdu/retrouvé et se réjouir. Mais il y a un ajout, la réaction indignée du fils aîné face à son père (personnage principal) se sentant victime d’injustice par rapport au cadet.

Je propose une réflexion du 21e siècle sur cette relation père/fils qui a tellement choqué de personnes qui se reconnaissaient dans le fils aîné fidèle et dévoué. Qui est vraiment fils ici? Le fils cadet est parti en exigeant son héritage et a tout gaspillé de façon insensée. Pauvre, crevant de faim, il décide de rentrer à la maison : Combien d’ouvriers de mon père ont du pain de reste et moi, je meurs de faim. Son discours préparé à l’avance à son père pour revenir à la maison est du grand Molière, Tartuffe en personne. C’est pourquoi son père l’empêche de continuer. Inutile de mentir pour rentrer. À l’évidence, il voit son père non comme un père mais comme un pourvoyeur. Quant à l’aîné jamais parti, il voit son père non comme un père mais comme un maître et se voit comme un serviteur : Voilà tant d’années que je te sers sans jamais avoir désobéi à tes ordres. Le cadet, en partant a créé le manque et s’est fait regretter ; l’aîné, en restant, est devenu cette pièce de monnaie perdue dans la maison dont personne ne se soucie assez pour passer le balai afin de la retrouver.

Le père et ses deux fils ont à rebâtir leurs relations. Le père, à l’évidence, est très présent et aime ses deux fils et tient à eux. Il a accueilli à bras ouverts le cadet parti vivre l’aventure avec son argent ; en contrepartie, il semble s’être habitué à la présence de l’aîné au point de ne plus le voir et de prendre pour acquis sa présence et sa fidélité. C’est un scénario qu’on voit souvent dans les familles et on doit le souligner même si derrière cette figure, choisie par Jésus, symbolisait Dieu le Père. La psychologie, très présente à notre époque, sans compter tous les livres rédigés sur les effets du comportement des pères, nous oblige à lire au-delà de la simple histoire de Jésus.

Les fils doivent changer leur regard sur leur père et prendre conscience de qui il est vraiment : essentiellement un père qui les aime, ni maître ni pourvoyeur. Le cadet a du travail à faire pour découvrir qui est vraiment son père. Son départ a été une chance pour l’aîné car cela lui a fait réaliser qu’il était devenu invisible dans sa propre maison. Mais il est le seul à pouvoir prendre la place qui lui revient en restructurant ses liens et avec son père et avec son frère.

Exégétiquement parlant, Jésus voit dans le cadet, indifférent à l’amour de son père, les publicains et autres pécheurs officiels de son époque qui se sont éloignés du Seigneur pour différentes raisons. Et l’aîné représente les pharisiens et scribes, fidèles et obéissants à la Loi mais oubliant du même souffle que Dieu est d’abord un Père aimant, ni un « pourvoyeur juge » ni un « maître qu’on sert par déférence ». Ses contemporains ont certainement compris la leçon. Publicains comme pharisiens devaient apprendre à voir Dieu autrement et à réaliser qu’il aime chacun de ses enfants tels qu’ils sont. Et surtout que celui-ci ne veut être perçu ni comme un pourvoyeur ni comme un maître!

Pour conclure, deux remarques 

Jésus manifeste un immense respect à l’égard des pharisiens et des scribes qui murmurent et grognent à son sujet. Nulle insulte à leur égard. À l’affrontement, il préfère l’ouverture et le dialogue. Quelle différence avec ce que l’on voit sur les réseaux sociaux et certains discours publics incitant au mépris de l’autre, à la haine, aux menaces et aux grossièretés de toutes sortes. Sa façon d’agir devrait nous inciter à réviser notre conduite à l’égard des autres et notre réaction vis-à-vis certaines personnes quand nous ne sommes pas d’accord avec leur comportement ou leurs arguments dans une discussion. Jésus nous invite à cultiver le respect de l’autre, peu importe qui il est.

La brebis perdue : cette parabole pour parler du comportement de Dieu vis-à-vis de nous est unique. Jésus s’attarde sur le comportement du berger ; celui-ci ne se contente pas de chercher sa brebis mais dès qu’il la retrouve, il la charge sur ses épaules. Quelle délicatesse sous-entendue. Est-elle terrorisée devant son gardien, était-elle en panique parce qu’elle se sentait totalement égarée, était-elle épuisée parce que rendue beaucoup trop loin pour revenir? Peu importe la raison, le geste de la mettre sur ses épaules exprime toute la délicatesse et la tendresse du berger pour sa brebis et c’est une façon de lui dire : ne crains pas, tu es en sécurité, je t’ai retrouvée ; ne crains pas si tu es fatiguée, je vais te porter jusqu’au bout. Et ce geste prépare aussi le retour au bercail ; qui osera critiquer sa conduite si le maître lui-même la ramène, qui plus est, la ramène sur ses épaules. Peur et humiliation devant les autres s’envolent.

Jésus nous révèle ici sa perception de Dieu : il essaie de nous faire comprendre à quel point Dieu se soucie de nous et à quel point il nous aime!

Formatrice spécialisée en études bibliques, Christiane Cloutier Dupuis détient un doctorat en Sciences religieuses (option Exégèse) de l’UQÀM.

Source : Le Feuillet biblique, no 2766. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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