Jésus au milieu des docteurs. David Teniers le jeune, c. 1651-56. Huile sur bois, 21 x 31 cm. Musée d’histoire de l’art de Vienne (Wikimedia).
Jésus dévoile sa relation au Père
Béatrice Bérubé | Sainte famille (C) – 26 décembre 2021
Premières paroles de Jésus au Temple : Luc 2, 41-52
Les lectures : 1 Samuel 1, 20-22.24-28 ; Psaume 83 (84) ; 1 Jean 3, 1-2.21-24
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Ce récit de l’évangile de Luc met l’accent sur le caractère à la fois exemplaire et normal de l’évolution de Jésus avant l’accession à l’âge adulte responsable. La narration comprend une mise en scène (vv. 41-45), le cœur de la scène (vv. 46-49) constitué de deux volets : le premier montre la sagesse de Jésus (vv. 46-47) et le second présente le blâme de Marie et la double interrogation de Jésus (vv. 48-49), puis, une conclusion achève l’épisode (vv. 50-52).
La mise en scène (vv. 41-45)
Le v. 41 rapporte que les parents de Jésus allaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Marie et Joseph, étant des gens pieux, observent la Loi qui prescrit trois pèlerinages par année : la Pâque, la Pentecôte et la fête des Tentes (Exode 23,14-17; 34,22-23; Deutéronome 16,1-8.16). L’obligation ne concerne pas les femmes et les garçons de moins de treize ans, puisque ces derniers, d’après certaines sources juives, deviennent adultes et responsables du point de vue religieux à treize ans (Mishna Niddah 5,6; m. Abot 5,21), donc soumis à l’obligation des commandements. Cependant, les parents désireux d’amener leur marmaille ne sont pas empêchés de le faire. À douze ans, Jésus accompagne Marie et Joseph lors de ce pèlerinage (v. 42). À l’insu de ses parents, à la fin des jours de la fête, Jésus ne retourne pas avec eux à Nazareth (v. 43a). Ici, Luc ne précise pas si les jours accomplis sont les sept jours de la fête (voir Ex 12,15-16; Lévitique 23,6-8; Dt 16,3) ou seulement les deux premiers prescrits aux pèlerins. Jésus reste à Jérusalem (v. 43b). Puisque les gens revenaient par petits groupes d’individus des mêmes parages, il était donc facile de passer inaperçu. L’expression : parmi les parents et connaissances (v. 44) rappelle d’autres passages de Luc (1,58 ; 14,12 ; 21,16 ; Actes des Apôtres 10,24).
Le fils plein de sagesse (vv. 46-47)
Au bout de trois jours, Marie et Joseph retrouvent Jésus au Temple assis avec des docteurs de la Loi à dialoguer avec eux (v. 46). Pour la seconde fois, il est dans le Temple. La première remonte à sa présentation : lors de cet événement, il avait été manifesté par le cantique et l’oracle de Syméon (2,22-35). Maintenant, instruit de la Loi, il montre sa sagesse aux légistes : accueilli parmi eux comme un égal, Il n’est pas assis à leurs pieds comme un disciple (Ac 22,3), mais installé tel un maître à côté de ses collègues. Ses connaissances bibliques lui permettent de converser avec eux. Ce fait n’est pas étonnant, car d’autres personnages bibliques ont donné des preuves d’une intelligence supérieure en bas âge : ainsi, Daniel prit place au milieu des anciens dans l’histoire de Suzanne (Daniel 13,45-50) et Samuel vaquait au service du Temple en présence du Seigneur (1 Samuel 2,18-26 ; 3,1).
L’expression : dans le Temple signifie que les scribes avaient coutume de se rencontrer, soit sous les portiques, soit dans les parvis, soit dans une pièce donnant sur les parvis pour enseigner (Matthieu 26,55 ; Marc 12,35 ; Luc 20,1 ; Jean 7,14.28 ; 8,20 ; 18,20). Ici, Luc pense sans doute au portique de Salomon (voir Ac 3,11 ; 5,12.21.25). Malgré son jeune âge, Jésus est déjà capable de comprendre et d’expliquer les Écritures comme les experts en la matière ; d’où l’émerveillement de tous ceux qui l’entendaient (v. 47). Cette admiration fait écho à d’autres extraits évangéliques rapportant que l’enseignement de Jésus provoque une forte impression sur ses auditeurs : ils étaient frappés de son enseignement… (4,32 ; Mt 22,33), … il enseigne en homme qui a autorité et non pas comme les scribes (Mc 1,22-27), quelle est cette sagesse qu’il lui a été donnée? (Mc 6,2). La manifestation de sa sagesse causera également un étonnement dans le public lors des événements miraculeux (5,24-26 ; 8,56).
Marie et Jésus (vv. 48-49)
Jésus nous est montré en plein processus de croissance (2,40) et dans le progrès de son autonomie qui s’affirme (2,43). Il ne fait pas ce que ses parents veulent et ce à quoi ils s’attendent. D’où la question de Marie : Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous? (v. 48). Cette tournure, utilisée à l’époque vétérotestamentaire (Genèse 20,9 ; 26,10 ; 29,25 ; Ex 14,11 ; Nombres 23,11 ; Juges 15,11), est toujours employée par quelqu’un qui a été trompé et qui exprime sa déception. Ici, elle dépeint le choc que l’attitude de Jésus représente pour ses parents et leur douleur. Que ce soit la mère et non le père qui parle tient à la perspective mariale de l’évangile de l’enfance chez l’évangéliste comme à l’intention littéraire de situer, par le dialogue, le père terrestre et le père céleste face à face. À la réaction de Marie, Jésus défend son opinion avec le sans-gêne des jeunes et répond : Pourquoi donc me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père? (v. 49). En déclarant : il me faut être chez mon Père, Jésus dévoile à ses parents avoir Dieu pour Père (voir 10,22 ; 22,29 ; Jn 20,17), il révèle sa relation à son Père céleste et sa dépendance envers lui. Par là, il crée une distance et une rupture avec les siens, première illustration de la parole de Syméon à Marie (2,34), et revendique avec son Père céleste des relations qui passent avant celles de la famille humaine (Jn 2,4).
Le retour à la normalité (vv. 50-52)
L’incompréhension de Marie et de Joseph est soulignée au v. 50. La révélation de la filiation de Jésus dépasse leur intelligence, même s’ils ont perçu quelque chose de ce mystère (2,29-33). De retour à Nazareth, Jésus demeure soumis à ses parents (v. 51a). Il est revenu à une stricte observance de la piété filiale conforme à la Loi, soit le cinquième commandement du Décalogue (Ex 20,12). Et Marie se souvenait de tous ces événements dans son cœur (v. 51b). Dans la Bible, le cœur est le siège de toute la vie intime de l’être humain : sa pensée, sa mémoire, ses sentiments, ses décisions (2,19.35.51 ; etc.; et surtout 21,14). La fin de l’épisode (v. 52) reprend les thèmes de 2,40 qui s’inspirent de 1 S 2,26 et de Proverbes 3,4. Quant aux termes : en sagesse et en taille, ils évoquent ceux qui se rapportent à la croissance de Jean le Baptiste (1,80) ; la formule : en faveur, expression de relation, ne doit pas être comprise comme une qualité intrinsèque puisqu’elle est dite auprès de Dieu. Il s’agit plus de la période des progrès que celle de la croissance.
Ce qu’il faut retenir de cet épisode
Dans cet épisode, Luc présente la sagesse de Jésus, son obéissance à ses parents et sa sensibilité à l’égard de son Père céleste. L’évangéliste laisse voir que la conscience de Jésus d’être au service de Dieu s’est développée en même temps que le reste de sa personnalité et que Jésus est Fils de Dieu d’une façon tout à fait unique en mettant sur ses lèvres les mots : mon Père, dès son enfance.
Cette filiation est aussi soulignée au moment de sa mort sur la croix (23,46) et lors de son apparition aux Onze (24,49). Elle est également montrée dans des extraits de l’évangile de Jean tels que Je fais toujours ce qui lui plait (Jn 8,29), J’agis conformément à ce que le Père m’a prescrit (Jn 14,31).
Les lecteurs d’aujourd’hui, comme ceux de jadis, voient ce que Jésus était devenu au terme de son enfance ; ce qui leur permet de s’expliquer la future carrière apostolique de cet enfant. La réflexion : Mais eux ne comprirent pas ce qu’il leur disait (v. 50) s’adresse aussi à eux : elle les invite à revenir sur ce qui est raconté, car ils ne découvrent peut-être pas, dès le premier regard, tout l’enseignement de cette péricope et, sans doute, de quelques autres parties de l’évangile.
Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.
Source : Le Feuillet biblique, no 2734. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.