Les rois mages en voyage. James Tissot, 1886-1894. Aquarelle, 20,2 x 29,2 cm. Brooklyn Museum, New York (Brooklyn Museum).

Eurêka! J’ai trouvé!

Béatrice BérubéFrancis Daoust | Épiphanie du Seigneur (C) – 2 janvier 2022

Les mages rendent visite à Jésus : Matthieu 2, 1-12
Les lectures : Isaïe 60, 1-6 ; Psaume 71 (72) ; Éphésiens 3, 2-3a. 5-6
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

De tous les récits bibliques de Noël, l’épisode des mages venus d’Orient est un des plus connus. Ces personnages font partie de l’imaginaire populaire de Noël et sont présents dans la majorité de nos crèches. C’est leur visite auprès de Jésus que nous célébrons en ce dimanche de l’Épiphanie. Cet épisode, qui est propre à l’Évangile de Matthieu, s’inspire de divers textes de l’Ancien Testament et, plus précisément, d’un oracle tiré du livre d’Isaïe (60,1-6) et d’un psaume messianique (71), qui parlent de rois qui apportent leurs richesses – dont de l’or et de l’encens – à Jérusalem. Une comparaison des trois textes permet de voir le travail rédactionnel effectué par Matthieu et de mieux comprendre la signification de l’histoire qu’il raconte.

Mise en contexte

Il est essentiel, avant de comparer les trois textes, de bien situer l’oracle d’Isaïe dans son contexte littéraire, historique et théologique. Ce passage est tiré du Trito-Isaïe, qui couvre les chapitres 56 à 66 du livre. Cette partie du grand ouvrage est une collection d’oracles provenant de différents prophètes de la période qui suit d’assez près le retour de l’exil à Babylone (fin du 6e siècle – début du 5e siècle av. J.-C.). Malgré la multiplicité des auteurs, ces chapitres forment un tout cohérent ayant comme fil conducteur la restauration d’Israël. La proximité du vocabulaire et des thèmes abordés en Isaïe 60, 1-6 et dans le Psaume 71 permet d’affirmer que les deux textes proviennent vraisemblablement de la même époque. Il s’agit d’un moment difficile de l’histoire d’Israël qui, après l’enthousiasme débordant de la délivrance, vit une période de découragement en constatant que la réinstallation en Judée n’est pas aussi glorieuse qu’annoncée. Les deux textes apportent donc un message d’espoir et une promesse de bonheur et de prospérité dans une situation de déception et d’incertitude.

Il n’est pas surprenant que Matthieu s’inspire de passages d’Isaïe et des Psaumes dans la confection de son récit, car ces deux livres comptaient parmi les plus populaires chez les juifs de la période du deuxième Temple. Rappelons que l’auteur (ou les auteurs) de l’Évangile de Matthieu s’adresse(nt) à des chrétiens issus du judaïsme, qui devaient très bien connaître ces écrits. Isaïe et les Psaumes sont d’ailleurs les deux livres de la Bible hébraïque les plus cités dans le Nouveau Testament. Il est intéressant aussi de noter que la toute première citation des Écritures dans l’Évangile de Matthieu – la prophétie de l’Emmanuel – provient du livre d’Isaïe (7,14) et que la toute dernière est tirée du livre des Psaumes : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (22,2a).

Ténèbres et lumière

Le premier élément commun entre l’oracle d’Isaïe 60,1-6 et le récit de Matthieu 2,1-12 est celui des ténèbres qui enveloppent la terre. Si le texte d’Isaïe est explicite à ce sujet – « Voici que les ténèbres recouvrent la terre et que la nuée obscure couvre les peuples » (60,2a) – le récit de Matthieu les évoque indirectement avec la mention de l’étoile, qui ne peut être vue, évidemment, que de nuit. Cette allusion aux ténèbres rappelle le tout premier passage de la Bible hébraïque, le premier récit de la création, qui mentionne que des ténèbres couvraient la surface de l’abîme (Genèse 1,2).

Isaïe et Matthieu poursuivent le parallèle avec le premier récit de la création en introduisant le thème de la lumière qui surgit dans les ténèbres : « Que la lumière soit! » (Genèse 1,3); « Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi » (Isaïe 60,1); « Nous avons vu son étoile à l’Orient » (Matthieu 2,2). C’est donc un récit de commencement ou, plus précisément, de recommencement que présentent à la fois Isaïe et Matthieu. Le premier annonce le rétablissement d’Israël, après l’épreuve de l’exil, et le deuxième signale l’avènement d’un règne nouveau, sous la gouverne d’un roi tant attendu.

Une royauté différente

Si Matthieu emprunte l’image de la lumière qui surgit des ténèbres à l’oracle d’Isaïe, c’est du Psaume 71 qu’il puise le thème de la royauté : « Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice » (v. 1). Les parallèles entre le texte de Matthieu et le Psaume 71 permettent de préciser que le règne du nouveau roi qui vient de naître en sera un de justice et de paix : « Montagnes, portez au peuple la paix, collines, portez-lui la justice! » (v. 3); « En ces jours-là, fleurira la justice, grande paix jusqu'à la fin des lunes! » (v. 7) Plus particulièrement, et le Psaume 71 le rappelle abondamment, il s’agira d’une souveraineté qui sera tournée vers les plus petits, les plus faibles et les plus vulnérables : « Qu'il gouverne ton peuple avec justice, qu'il fasse droit aux malheureux! (v. 2); « Qu'il fasse droit aux malheureux de son peuple, qu'il sauve les pauvres gens, qu'il écrase l'oppresseur! » (v. 4); « Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie » (v. 12-13).

Cette royauté est bien différente de celle d’Hérode, qui, dans l’épisode suivant, n’hésitera pas à faire périr tous les enfants de deux ans et moins – les plus petits, les plus faibles et les plus vulnérables de ses sujets – nés à Bethléem et les alentours (Matthieu 2,13-18). Bien qu’exagéré dans sa portée, ce massacre n’est pourtant par invraisemblable aux yeux des lecteurs et lectrices du premier siècle de notre ère, puisqu’il était bien connu qu’Hérode avait fait tuer trois de ses fils, qu’il soupçonnait de comploter contre lui afin de lui ravir le pouvoir.

Des mages venus d’Orient

La tradition a fait des rois de ces personnages venus visiter l’enfant Jésus, en effectuant des rapprochements avec Isaïe 60,1-6 – « les rois [marcheront] vers la clarté de ton aurore » (v. 3b) – et le Psaume 71 – « les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents. Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande. Tous les rois se prosterneront devant lui » (v. 10-11a). Mais Matthieu ne les présente jamais comme tels. Il laisse donc volontairement de côté un aspect important de ses textes-sources. Ce choix lui permet de mettre l’emphase sur le caractère opposé des deux rois de ce récit : Jésus et Hérode. Introduire un troisième type de rois aurait rendu impossible une comparaison nette entre les deux souverains.

Mais Matthieu ne se limite pas à cette omission volontaire et remplace la fonction royale de ces personnages par celle de mages, ce qui est totalement absent de l’oracle d’Isaïe 60,1-6 et du Psaume 71. Les mages étaient, chez les Babyloniens, les Mèdes et les Perses, des sages, professeurs, prêtres, médecins, astrologues, voyants, interprètes, augures, sorciers, etc. Il spécifie également, à trois reprises (v. 1.2.9), qu’ils viennent d’Orient, ce qui ne fait pas partie non plus de ses deux principaux textes-sources. Dans la Bible, l’Orient est associé à la sagesse, comme le montre, entre autres, un parallélisme tiré du livre d’Isaïe : « Comment pouvez-vous dire à Pharaon : ‘Je suis un fils de sage, un descendant des rois de l’Orient’? » (Isaïe 19,11 ; voir aussi Job 2,11 ; Proverbes 30,1 ; 31,1 ; Jérémie 49,7 ; Abdias 8-9 ; Baruch 3,22-23).

Ce sont donc des sages, des savants, des chercheurs qui se mettent en route afin de trouver ce nouveau roi qui vient de naître et qui apportera justice et paix. Le récit ne mentionne pas si leur quête fut longue dans le temps, mais elle le fut dans l’espace puisqu’ils ont voyagé depuis l’Orient. Chose certaine, la grande joie qu’ils éprouvent quand ils voient l’étoile s’arrêter sur l’endroit où se trouve Jésus montre que cette quête n’était pas désintéressée. Ils ont enfin trouvé ce qu’ils cherchaient.

L’Épiphanie

Pour les chrétiens, le terme Épiphanie se rapporte à la fête qui célèbre la visite des mages auprès de l’enfant Jésus. Il désigne aussi, au sens plus large, une manifestation de la divinité, telle qu’elle s’accomplit dans le cas présent avec la naissance du Christ. De manière encore plus générale, une épiphanie est la compréhension soudaine de l’essence ou de la signification de quelque chose. C’est l’objectif ultime de la quête, la pièce manquante qui complète enfin le puzzle. C’est ce que nous célébrons fondamentalement en cette fête de l’Épiphanie. Notre quête est enfin terminée. Nous avons enfin trouvé celui qui fait en sorte que tout fait du sens, que tout est cohérent. Puissions-nous nous réjouir grandement, comme les mages, de cette découverte! Et que chacun de nous puisse s’exclamer dans la joie, comme le fit Archimède dans sa célèbre épiphanie : « Eurêka! J’ai trouvé! »

Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).

Source : Le Feuillet biblique, no 2737. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.