Le retour du fils prodigue. Bartolomé Esteban Murillo, c. 1667-70. Huile sur toile, 236 x 261 cm. National Gallery of Art, Washington (DC).

Un monde nouveau est déjà né

Alain FaucherAlain Faucher | 4e dimanche du Carême (C) – 27 mars 2022

La parabole du fils retrouvé : Luc 15, 1-3.11-32
Les lectures : Josué 5, 10-12 ; Psaume 33 (34) ; 2 Corinthiens 5, 17-21
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

En ce quatrième dimanche du Carême, nous contemplons qui est Dieu pour nous et qui nous sommes pour lui. Nous constatons alors qu’« un monde nouveau est déjà né »…

  • Nous le constatons dans la générosité un peu folle du père de la parabole. Elle nous raconte qui nous sommes pour Dieu. Selon les mots de la deuxième lecture, nous devenons justes de la justice même de Dieu…
  • Nous le constatons dans l’autonomie vécue jadis lors de l’entrée en Terre promise : le peuple hébreu put enfin trouver par lui-même ce qui était nécessaire pour sa subsistance quotidienne…
  • Nous le constatons dans la sérénité du psaume, « sans ombre ni trouble au visage » quand on regarde vers le Seigneur…
  • Nous le constatons dans la réconciliation avec Dieu vécue par la grâce du Christ, selon l’insistance de saint Paul…

La Bonne Nouvelle de ce dimanche provoque donc une prise de conscience fondamentale : Dieu nous croit dignes d’une insertion bienfaisante et féconde dans la famille de ses bien-aimés. Cette appartenance fonde notre autonomie en nous faisant goûter aux bons fruits de la réconciliation. Cette appartenance se consolide pour toute personne qui prend Dieu au sérieux.

La saison du Carême nous invite à renouer avec notre identité profonde. Cette démarche de centration s’accompagne d’une joie du cœur durable et constructive, car elle est fondée sur les comportements de Dieu à notre égard. Nommer notre appartenance à Dieu nous ouvre sur l’éternité du don de Dieu et sur l’infinie nouveauté d’un monde transformé par ses soins affectueux. À mi-chemin du parcours de Carême, les lectures bibliques de ce dimanche viennent alimenter ce processus identitaire et cette joie à contre-courant.

À l’évidence, dans la célèbre parabole des deux fils, l’évangile met en lumière les largesses du Père éternel. Mais il y a aujourd’hui au menu plus que cette parabole bien connue. Les autres éléments du parcours biblique évoquent les effets des dons constants du Père éternel. Ainsi sont décrites l’autonomie des bénéficiaires dans la conduite de leur vie et dans leur activité de louange (première lecture et psaume), puis la réconciliation possible au-delà des péchés du passé (deuxième lecture et évangile).

Il était perdu et il est retrouvé

Le récit de Jésus est devenu une icône du Carême. Sa représentation en image ou en peinture marque l’imaginaire chrétien depuis bien longtemps. Le père de famille est le personnage central du récit. Bafoué par les prétentions de son plus jeune fils, il attend activement son retour. Il dépasse toutes les limites de la dignité proche-orientale dans ses manifestations de bonté. Son fils aîné a raison de s’étonner devant un tel déferlement de générosité. Selon les critères du temps, le père se déshonore et agit dans l’incohérence la plus complète par rapport à sa dignité de père!

Pourtant, le père a ses raisons d’agir ainsi. La réponse du père au fils aîné donne le ton de notre dimanche. Il faut porter une grande attention au verset 32 : « Il fallait bien festoyer et se réjouir : car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. » Au terme de notre parcours de lecture, cette déclaration du père de la parabole oriente notre regard vers la personne retrouvée. Même si la générosité appartient au père, le fils perdu et retrouvé est un personnage important : il est le déclencheur de la joie du père. Le fils aîné, morose et revendicateur, est également important dans l’équation. Il provoque la clarification véhiculée dans la déclaration du père. La mauvaise humeur du bon fils permet d’affirmer, en contraste, la joie profonde causée par le retour du frère dépravé. Les gestes extravagants du fils rebelle mettent en valeur le service quotidien assumé par le bon fils.

Il est fascinant de nous entendre dire qu’aux yeux de Dieu nous sommes réconciliés et réinsérés dans la famille de Dieu. Nous sommes voués à l’autonomie par notre dignité aux yeux de Dieu, car nous sommes réconciliés et réinsérés dans la famille de Dieu. Parce que nous nous découvrons désirés par Dieu, attendus, réconciliés, réinsérés, nous savons davantage vers quelle bonne situation nous nous dirigeons au terme de nos journées, au terme de notre vie. Cette touche de certitude heureuse est bienvenue en ce quatrième dimanche de Carême centré sur la joie du cœur vécue dans le monde morose… renouvelé par Dieu.

Une nouvelle existence

Aux portes de la Terre promise, le peuple hébreu vit les premières heures d’une phase nouvelle de son existence. Le déshonneur vécu en Égypte devient chose du passé. Une nouvelle vie est possible dans un nouveau monde. La traversée du fleuve Jourdain est racontée comme un événement parallèle au grand passage de la mer des Roseaux. Cette nouvelle traversée et les pains sans levain de la Pâque rappellent la surprise du départ pour le désert, loin de la terre égyptienne d’esclavage.

Le premier geste collectif, après cette traversée, est un acte religieux fondateur. Le peuple hébreu célèbre le don de la liberté par Dieu. Cette Pâque vécue selon les règles révélées au désert débouche sur une nouvelle étape : l’autonomie alimentaire. Désormais, le peuple va se nourrir par son travail. Le don temporaire de Dieu, la manne, devient un souvenir en cette ère nouvelle d’autonomie. Jamais pains non levés et épis de céréales grillées n’ont eu si bon goût qu’au lendemain de cette première Pâque en terre promise! Le Peuple de Dieu n’est pas seulement libéré de l’esclavage. Il est désormais libéré de la honte et responsable de sa survie. Capable de célébrer les largesses de son divin bienfaiteur, ce peuple se voit transférer la responsabilité de sa propre existence.

Comme les membres du peuple de Dieu de jadis, nous découvrons aujourd’hui qu’aux yeux de Dieu, nous sommes des gens voués à l’autonomie. Nous sommes les successeurs du peuple hébreu soudainement devenu libre, au-delà des entraves de l’esclavage en Égypte. La Bible nous fait découvrir un équilibre bienvenu. D’un côté, il y a les pratiques religieuses qui entretiennent le lien avec Dieu notre libérateur. De l’autre côté, il y a le bonheur de diriger l’organisation de notre vie.

Le petit récit agricole inséré dans la première lecture met en regard les gestes qui entretiennent la mémoire et les tâches qui nous permettent d’avoir bien en main la gouverne de notre quotidien. Il faut satisfaire nos besoins élémentaires et disposer du superflu qui ajoute de la beauté à la vie... Somme toute, pour Dieu, nous sommes convoqués à la continuité et à l’originalité, à la constance… et à la rupture bienfaisante. Tout cela permet d’assumer toujours davantage notre potentiel.

Psaume 33 : Je cherche le Seigneur

Ce psaume alphabétique évoque un épisode de la vie de David chargé de tension : « lorsque David changea son jugement devant Abimélek, que celui-ci le chassa et qu’il s’en alla ». Cette description du premier verset du psaume semble renvoyer à 1 Samuel 21,14, au moment où le nouvel environnement de David mettait en péril sa propre vie.

De nombreuses références au corps et aux gestes corporels émaillent le texte du psaume. Ces références ancrent dans le concret de la vie la joie des personnes qui acceptent de recevoir de la part de Dieu ce que la vie offre de meilleur.

« Je cherche le Seigneur: il me répond. » Qui prend Dieu au sérieux garde un pouvoir d’initiative. Bien sûr, Dieu donne à cause de sa propre décision. Il se laisse également influencer par ceux et celles qui s’inscrivent dans un lien constructif de dépendance avec lui.

Réconciliés avec Dieu par le Christ

Le lien profond avec Jésus Christ fait entrer la personne dans la nouveauté la plus désirable qui soit. Cet état différent trouve sa source dans la réconciliation voulue par Dieu.

En plus de ramener à zéro le compte des péchés, Dieu veut multiplier la réconciliation par l’intervention de ses porte-paroles. La réconciliation avec Dieu est non seulement possible ; elle est désormais accessible.

Cette affirmation offre un pendant théologique aux fortes images développées dans la parabole de l’évangile. La deuxième lecture devient ainsi le pivot qui articule les données narratives fournies par la première lecture et l’évangile.

Aux yeux de Dieu, nous sommes des gens réinsérés à jamais dans son réseau de communication amoureuse. Saint Paul nous qualifie en utilisant le terme « réconciliés ». En fait, saint Paul nous conduit au-delà de la finale de la parabole du père miséricordieux. Il nous décrit l’état final auquel nous sommes voués selon Dieu. Nous sommes déjà entrés dans la paix avec Dieu. Nous appartenons au monde nouveau. Nous sommes en pleine saison de maturation. Nous portons déjà de bons fruits.

Pour reprendre la dynamique de la parabole, nous pouvons affirmer que le fils aîné et le fils cadet peuvent trouver désormais chacun leur rôle dans la vie de la famille. Et cette saison de Carême, où nous prenons conscience des multiples dimensions de notre vie comme baptisés, nous laisse voir toute la portée pratique de cette réconciliation. Saint Paul y tient beaucoup, lui qui utilise cinq fois le mot dans nos cinq versets proclamés en ce dimanche…

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2749. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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