La transfiguration de Jésus. Théophane le grec. Partie supérieure d’une icône du 15e siècle (Wikipedia).

Jésus est théophanie !

Béatrice BérubéPatrice Bergeron | 2e dimanche du Carême (C) – 13 mars 2022

La Transfiguration de Jésus : Luc 9, 28b-36
Les lectures : Genèse 15, 5-12.17-18 ; Psaume 26 (27) ; Philippiens 3, 17 - 4, 1
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Théophanie : manifestation de la gloire de Dieu ! Des théophanies, la Bible nous en raconte quelques unes. Une de celles-ci nous est rapportée immanquablement le 2e dimanche de Carême où l’évangile nous ramène chaque année sur la montagne de la transfiguration de Jésus. Entendons-nous, la plus grande théophanie de l’histoire de l’univers, c’est Jésus, l’Emmanuel, Verbe éternel de Dieu fait chair ! Toute la vie de Jésus est une théophanie. En passant sur notre terre, la vie, le message, la personne de Jésus constituent la grande révélation à l’humanité de la gloire de Dieu, de son Amour Sauveur. Nous sommes faits pour lui, il nous le crie par le don de son Fils. Cette théophanie qu’est Jésus culmine dans le mystère pascal où sa divinité devient manifeste à ses disciples.

« Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé… » (Ph 2,7-8)

Si toute la vie de Jésus est révélation de la gloire de Dieu (« Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14,9), sa divinité est cependant bien enfouie dans l’épaisseur de son humanité qui nous la voile partiellement. Partiellement, car le mystère de son être pointe en surface, émerge ici et là, et le défi des évangélistes, au fil de leur récit, est précisément de nous le faire percevoir. C’est ainsi qu’à force d’un enseignement nouveau et étonnant s’accompagnant de guérisons, d’exorcismes, de miracles, les contemporains de ce Nazaréen (ainsi que les lecteurs des évangiles) en viennent à se demander : « Qui est-il donc ? Il n’est pas comme les autres, d’où est-il ? Serait-ce lui, le Messie ? » Quelque chose de sa gloire transparaît en filigrane de sa personne, de son agir, de sa puissance sans s’imposer toutefois de manière contraignante. Il subsiste une ambiguïté.

Genre littéraire « théophanie »

Lever cette ambiguïté sur le mystère de la personne de Jésus est précisément le rôle joué par ces « hiatus » de l’Évangile qu’on appelle des « théophanies » [1]. Parmi ceux-ci, la théophanie qui suit le baptême de Jésus et celle sur la montagne (notre évangile dominical) en constituent de bons exemples. Cet épisode de la transfiguration [2] de Jésus obéit au pattern du genre littéraire « théophanie ». Aussi l’évangéliste, pour traduire l’expérience mystique dont ont été témoins Pierre, Jacques et Jean cette nuit-là, puise à deux sortes de langages bibliques traditionnels : on reconnaît d’une certaine façon les théophanies du Sinaï (impliquant Moïse ou Élie) et aussi le recours aux codes symboliques des apocalypses (gloire, visage lumineux, blancheur, sommeil mystérieux, nuée, voix céleste).

Une montagne…

Si vous faites un jour une visite guidée en terre sainte, on vous emmènera inévitablement au sommet du mont Thabor en Galilée, visiter une église commémorant le lieu de l’événement de la Transfiguration de Jésus. Pourtant, ni Luc ni ses pairs ne précise le lieu exact de la vision. La seule mention d’une montagne suffit pour évoquer un lieu privilégié de la rencontre de Dieu comme ce fut le cas, dans le passé d’Israël, pour Moïse et Élie. Cette montagne « anonyme » peut évoquer aussi la montagne eschatologique vers laquelle toutes les nations convergeraient aux temps messianiques (voir Isaïe 2,2-3 ; 11,9 ou Daniel 9,16), car c’est bien le Messie promis dans les Écritures que Moïse et Élie viennent authentifier en « s’entretenant avec lui ».

Cette montagne et cette vision, elles servent essentiellement à nous donner une triple révélation sur le mystère de Jésus : il est Dieu, il réalise les Écritures, il est le Prophète des temps derniers.

Son visage apparut tout autre…

On se souvient de cette mention pittoresque du livre de l’Exode où le visage de Moïse apparaissait rayonnant après qu’il se soit entretenu avec le Seigneur à tel point qu’il devait le couvrir d’un voile (Ex 34,29-35). Il portait sur son corps la trace de la gloire du Dieu rencontré, comme par réflexion. Ici, le visage de Jésus devint tout autre, de par soi et non par rayonnement, laissant entendre qu’il participe à la gloire même de Dieu. Ses vêtements devenus d’une blancheur éclatante, révèle à Pierre, Jacques et Jean, par anticipation, la splendeur de sa condition de ressuscité. Ces trois compagnons, déjà témoins privilégiés de la puissance de Jésus sur la mort (Lc 8,51-56), ont cependant du mal à entrer dans la déroutante annonce de la passion de leur Maître (Lc 9,22). Cette vision de l’issue glorieuse du parcours du Fils de l’homme devrait les galvaniser pour affronter les affres du rejet et de la mort de celui qu’ils aiment.

Le parcours de Jésus est conforme aux Écritures…

Ce que le Ressuscité expliquera plus tard à Cléopas et son compagnon sur la route d’Emmaüs, à savoir que les Écritures annonçaient les souffrances du Messie et son entrée en gloire (Lc 24,27) : tout est confirmé par la présence de Moïse et d’Élie (symbolisant la Loi et les prophètes) qui s’entretiennent avec Jésus de son exode devant se réaliser à Jérusalem. Montrer que Jésus réalise les Écritures est une préoccupation récurrente de Luc qui veut consolider la foi de son cher Théophile (Lc 1,4).

Écoutez-le !

La voix surgie de la nuée qui complète la théophanie, en plus d’entériner notre acception de la vision – la révélation de la gloire divine de Jésus (« Celui-ci est mon Fils ») et de son destin souffrant et glorieux conforme aux Écritures (« celui que j’ai élu »[3] – ajoute un élément nouveau très significatif : « Écoutez-le ! » Le verbe écouter à l’impératif est riche d’évocation pour le peuple juif. Il rappelle le Shema Israël (Écoute Israël), incipit des versets de Deutéronome 6,4-5, constituant non seulement le sommet de la révélation du Premier testament, mais la profession de foi quotidienne du peuple de Dieu. Cet impératif, Moïse le prononce pour inciter son peuple à mettre en pratique la Loi reçue de la part de Dieu dans les nuées du Sinaï. Voilà que du sein d’une nouvelle nuée, sur une autre montagne, la voix de Dieu intronise son Fils comme Prophète des derniers temps, dépassant Moïse en autorité (Dt 18,15.18). C’est lui désormais qu’il faut écouter.

Soutenir la marche des disciples…

Avant d’entreprendre, à la suite de Jésus, la difficile marche vers Jérusalem où il donnera sa vie (Lc 9,51), il est donné à Pierre, Jacques et Jean, sur la montagne, d’être confortés par la vision anticipée de la gloire du Ressuscité. Au début de ce temps liturgique pénitentiel, pour soutenir notre marche de Carême, l’Évangile de ce dimanche nous fait gravir aussi cette montagne pour contempler déjà le mystère de Pâques. Sachons, comme une profession de foi, y reconnaître et accueillir la grande théophanie qu’est Jésus : « Écoutons-le ! »

Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.

[1] C’est-à-dire, des épisodes qui répondent aux critères du genre littéraire « théophanie » à proprement parler.
[2] Quoi que Luc n’utilise pas ce terme de « transfiguration » (du grec métamorphosé ; comme en Mt 17,2 et Mc 9,2) pour éviter un amalgame avec certaines croyances des cultes païens de l’époque.
[3] Allusion au Serviteur souffrant d’Isaïe (Is 42,1 ; 49,7), serviteur, choisi par Dieu, au destin tragique dont la mort deviendra source de salut pour son peuple.

Source : Le Feuillet biblique, no 2747. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.