La Cène. Pascal Dagnan-Bouveret, 1896 (Wikimedia).
Le repas eucharistique, en mémoire de Lui
Béatrice Bérubé | Saint-Sacrement (B) – 6 juin 2021
Institution de l’Eucharistie : Marc 14, 12-16.22-26
Les lectures : Exode 24, 3-8 ; Psaume 115 (116B) ; Hébreux 9, 11-15
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Le récit de Marc présenté aujourd’hui comporte deux scènes : la préparation du repas de fête (vv. 12-16) et la distribution du pain et de la coupe (vv. 22-26). L’épisode des préparatifs se déroule en trois étapes : la question des apôtres liée à la Pâque (v. 12), la réponse de Jésus qui envoie deux d’entre eux avec des directives et une annonce de ce qui va se passer (vv. 13-15), puis le départ des deux disciples et la réalisation de ce qui a été annoncé (v. 16). L’extrait du pain et de la coupe comprend également trois séquences : les actions et paroles symboliques de Jésus sur le pain et sur la coupe (vv. 22-24), la promesse eschatologique (v. 25) et la fin du repas (v. 26).
La préparation du repas de fête (vv. 12-16)
La narration commence en précisant qu’on est au premier jour des Azymes, au moment du sacrifice de la Pâque (v. 12a). Cette double indication chronologique pose une certaine difficulté. La célébration du sacrifice de la Pâque ne doit pas être prise dans le sens de la fête, mais bien de l’agneau pascal (Exode 12,21). Quant à la fête du premier jour des Azymes [1], elle commençait dès le soir du 14 et était identifié selon la coutume juive au 15 Nisan. Quoique d’origines différentes, ces deux solennités étaient liées au point qu’on les identifiait pratiquement (Deutéronome 16,1-8). Historiquement, la chronologie indiquée par l’évangéliste Jean est préférable. Cette année-là, la Pâque juive tombait un samedi, le jour du sabbat (Jean 19,31). Jésus a été crucifié la veille, un vendredi, à l’heure où, d’après l’usage de Jérusalem, les agneaux étaient immolés au Temple au début de l’après-midi, le 14 Nisan (généralement en avril) dernier jour avant la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps ; puis ils étaient consommés le soir, à l’intérieur de la ville, en famille ou en groupes de dix à vingt personnes (Jn 18,28 ; voir Ex 12,1-14). D’après cette donnée, il est alors peu probable que Jésus ait mangé la Pâque juive. Il serait mort, le lendemain, en pleine fête pascale. Selon les règlements juridiques de l’époque, il était impossible de condamner et d’exécuter quelqu’un une fois la Pâque commencée. Compte tenu du temps nécessaire à son procès, c’est le jeudi que Jésus a pris ce repas avec les Douze dans l’ambiance de la fête toute proche.
Le récit continue avec l’interrogation des apôtres : Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? (v. 12b). Les disciples s’adressent à Jésus comme au chef de la famille ou du groupe qui va célébrer le repas pascal. À l’instar de la Pentecôte et de la fête des Tentes, la Pâque, la plus grande fête de l’année, attirait à Jérusalem de nombreux pèlerins. Ceux-ci devaient trouver une salle à l’intérieur de la ville car ce n’était plus possible de célébrer ce repas dans les parvis du Temple, selon l’exemple donné par le roi Josias (2 Chroniques 35,1-19). Jésus ne répond pas directement à la question, mais il demande de s’en remettre à un homme qui portera une cruche d’eau et de le suivre (vv. 13-14a). La mention de la rencontre d’un homme porteur d’eau peut sembler bizarre, car généralement la corvée de l’eau est accomplie par les femmes (Genèse 24,11-21 ; Ex 2,16 ; 1 Samuel 9,11) ; cependant, d’autres passages rapportent que dans certains cas des hommes transportent l’eau (Dt 29,10 ; Josué 9,21.27). Le lieu où l’homme entrera, les envoyés devront demander au propriétaire : Où est ma salle ? (v. 14b) Le maître de la maison leur montrera une vaste pièce toute prête pour lerepas (v. 15). Tout se déroule selon la voyance de Jésus (v. 16) comme dans l’extrait : L’entrée messianique à Jérusalem (11,1-4). Dans les deux passages, Jésus est présenté comme un prophète qui connaît les événements à venir jusqu’au moindre détail. Pour écrire ces versets, Marc s’est sûrement inspiré du premier livre de Samuel dans lequel ce prophète prévoit des rencontres providentielles que fera Saül, rencontres qui doivent prouver que le jeune homme a été choisi par Dieu comme roi d’Israël (1 S 10,1-10).
La distribution du pain et du vin (vv. 22-26)
Cette brève narration dégage le sens des actes et paroles de Jésus, appelés la Cène, traduction du terme latin « cēna », qui signifie littéralement repas du soir. Jésus fait un geste rituel bien connu des juifs lors de leur fête pascale (v. 22). Imitant le père de famille qui préside la table, Jésus prend du pain et prononce sur lui la bénédiction, une prière de louange et de remerciement pour les dons reçus de Dieu ; puis il rompt le pain, le partage et en distribue une bouchée à chaque apôtre en leur disant : Prenez, ceci est mon corps. En araméen, la langue de Jésus, le mot corps ne désigne pas la chair humaine, mais la personne tout entière. Par ces paroles, Jésus souligne que son corps livré à la mort (9,31 ;10,33 ; 14,10-11), il le donne au même titre qu’il offre le pain. Ensuite, Jésus prend une coupe et prononce la prière d’action de grâce (v. 23). Puis avec solennité, il déclare : Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude (v. 24).
L’expression : mon sang signifie, en langage sémitique, ma vie (Lévitique 17,14). En prenant le vin, les disciples ne boivent pas du sang humain, mais ils communient à la personne de Jésus qui donnera sa vie sur la croix. Par les paroles : le sang de l’alliance, Jésus explicite le sens qu’il donne à sa mort. Jadis au Sinaï, après avoir lu la Loi divine aux Israélites, Moïse avait scellé l’alliance entre Dieu et son peuple par le sang de jeunes taureaux immolés (Ex 24,3-8). Maintenant par sa mort, Jésus fondera ce que Paul (1 Corinthiens 11,25) et Luc (22,20) précisent être la nouvelle Alliance. Implicitement, il annonce que s’accomplit l’Alliance nouvelle prédite par les prophètes (Jérémie 31,31-34).
La formule : pour la multitude signifie que son sang sera versé pourl’ensemble des êtres humains, locution faisant allusion au Serviteur souffrant que le livre d’Isaïe montre en train de mourir pour réconcilier les foules humaines avec Dieu (Is 53,11-12). La déclaration qu’il ne goûtera plus au produit de la vigne (v. 25a) annonce que sa mort est proche et qu’elle arrive au moment où certains veulent mettre un terme à son action et à sa prédication du Règne de Dieu en programmant son exécution. Néanmoins, il atteste qu’il boira le vin nouveau dans le Royaume de Dieu (v. 25b), attestation indiquant que le Règne de Dieu sera tout de même instauré. Comme messager de ce Règne, Jésus y aura personnellement part et toutes les nations de la terre communieront au Dieu vivant (Is 25,6-9). Le repas d’adieu de Jésus avec les Douze se termine comme tous les repas de fête chez les juifs : la deuxième partie du Hallel, les Psaumes 115 à 118 qui célèbrent les hauts faits de Dieu dans l’histoire, est chantée en action de grâce. Puis Jésus et ses apôtres se rendent au mont des Oliviers, moyen d’échapper aux menaces qui pesaient sur eux à l’intérieur des murs de la ville (v. 26).
Ce qu’il faut retenir
En ces quelques versets, les membres de la communauté de Marc ont connu la signification donnée par les juifs au repas de la Pâque et ont appris que les événements de la mort et de la résurrection de Jésus étaient une nouvelle Pâque, une nouvelle libération effectuée par Dieu. À l’instar des disciples qui furent invités à rester en communion avec Jésus par l’intermédiaire du pain et du vin dans le repas communautaire, les chrétiens, d’hier et d’aujourd’hui, qui reçoivent le sacrement de l’Eucharistie, sont conscients de se rendre contemporains des événements du salut, puisqu’ils communient avec le Christ et sont associés à sa mort et à sa résurrection.
Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.
[1] Pains sans levain : tout levain devait être écarté des maisons et l’usage du pain fermenté était interdit durant sept jours (Ex 12,15-20).
Source : Le Feuillet biblique, no 2714. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.