Plaque représentant la résurrection de trois saints. Artiste anonyme de Limoges, circa 1250.
Émail champlevé sur cuivre, 13 x 23,1 cm. Victoria and Albert Museum, Londres (Marie-Lan Nguyen / Wikimedia)..

Un chemin d’espérance au cœur de notre humanité

Patrice Perreault Patrice Perreault | 33e dimanche du Temps ordinaire (B) – 14 novembre 2021

La venue du Fils de l’homme et la parabole du figuier : Marc 13,24-32
Les lectures : Daniel 12,1-3 ; Psaume 15 (16) ; Hébreux 10, 11-14.18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le cycle liturgique nous amène peu à peu vers une nouvelle année qui s’amorcera avec le premier dimanche de l’Avent. Or, le 33e dimanche nous prépare indirectement à la fête du Christ roi de l’univers. Il convient de situer les passages bibliques proclamés en ce dimanche dans le contexte de la fin du cycle liturgique. Si les textes traitent de la fin du monde, c’est pour mieux mettre en exergue la nouvelle année et l’espérance qu’elle suscite. Cette espérance qui guide au cœur des difficultés. Dans cette perspective, ces textes conviennent tout à fait à ce que l’ensemble du monde traverse présentement : la pandémie de Covid-19. Certes, elle apparaît peut-être moins importante pour les pays nantis (sauf si une nouvelle vague les submerge), mais elle demeure une réalité implacable et létale pour les peuples du Sud peinant à accéder à des vaccins.

Une espérance de vie au cœur des difficultés

La première lecture tirée du livre de Daniel nous plonge au cœur du drame historique des persécutions sous les Séleucides. Le chapitre 12 conclut en quelque sorte les chapitres 10 et 11 décrivant avec vigueur les divers empires se succédant dans l’histoire jusqu’à Antiochus Épiphane IV et la révolte des Maccabées. La finale met l’accent sur un salut. On y retrouve également une des premières mentions de la résurrection individuelle plutôt que collective comme dans Ézéchiel 37.

Ce recours à la résurrection individuelle répondait sans aucun doute au scandale de la mort injuste des Israélites restés fidèles à YHWH. Par exemple, le personnage de Razis fait l’apologie de la foi en la résurrection de manière quelque peu radicale : « Ayant déjà perdu tout son sang, il s’arracha les entrailles, les prit à deux mains et les jeta sur la foule, invoquant le Maître de la vie et de l’esprit afin qu’il les lui rende un jour. C’est de cette manière qu’il mourut [!] » (2 Martyrs d’Israël 14,46). Ce récit fait écho au passage célèbre des sept frères (2 M 7). Il y est noté également une forme peut-être de résurrection considérée comme une après-vie immédiate à la mort comme le laisse présager ce passage :

Il organisa une collecte auprès de chacun et envoya deux mille pièces d’argent à Jérusalem afin d’offrir un sacrifice pour le péché. C’était un fort beau geste, plein de délicatesse, inspiré par la pensée de la résurrection. Car, s’il n’avait pas espéré que ceux qui avaient succombé ressusciteraient, la prière pour les morts était superflue et absurde. Mais il jugeait qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui meurent avec piété : c’était là une pensée religieuse et sainte. Voilà pourquoi il fit ce sacrifice d’expiation, afin que les morts soient délivrés de leurs péchés. (2 M 12,43-46)

Le but du texte est d’appuyer la croyance en la résurrection de façon générale. Le Second livre des Martyrs d’Israël ne cherchait nullement à établir ni la géographie de l’au-delà, ni la condition des trépassé.e.s. Une interprétation plus en phase avec le texte consisterait à souligner la profonde solidarité entre les membres d’une communauté, tant ceux du passé que du présent et du futur.

La croyance en la résurrection dépeinte de façon glorieuse dans la première lecture cherche à renverser la situation afin de rendre justice aux perdant.e.s de l’histoire un peu à l’image du Magnificat : « Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. » (Luc 1,51-55).

Pour accentuer le contraste entre la situation vécue et l’intervention salvatrice divine, le genre apocalyptique fait appel à une forme de manichéisme où le bien et le mal sont nettement définis sans nuances [1]. En d’autres termes, il s’agit d’une forme de parabole visant à exhorter, à réconforter voire à consoler les victimes. Le texte de Daniel tout comme l’Apocalypse de Jean invite à la confiance que la vie triomphera malgré les déboires, les ressacs et les échecs que bien des mouvements progressistes ont trop souvent connus dans l’histoire humaine.

Un abandon confiant

Le Psaume 15 accentue cette confiance en la divinité. Il a servi également de grille de lecture pour décrire l’expérience christophanique des disciples : « En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume : Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite, je suis inébranlable. C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ; ma chair elle-même reposera dans l’espérance :tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. » (Actes 2,25-27 ; voir aussi 13,35).

Tout en n’excluant pas cette interprétation, ce psaume met l’accent sur le fait que, peu importe les circonstances, Dieu est présent au cœur de la vie et de tout mouvement vivifiant. D’ailleurs le verset 11, à la structure et au vocabulaire de sagesse (Proverbes 6,23 ; 15,24), illustre merveilleusement bien comment la Torah se veut davantage comme une orientation de vie plutôt qu’une série tatillonne de commandements. Le passage suivant de l’évangile de Matthieu va dans ce sens : Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous avez négligé ce qui est le plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà ce qu’il fallait pratiquer sans négliger le reste (Mt 23,23). En d’autres termes, emprunter les chemins proposés par la divinité constitue déjà dans l’ici-maintenant une voie féconde conduisant à une densité de l’être plutôt qu’à une quelconque intensité des sensations éphémères. Celles-ci créent l’illusion d’une vie en plénitude comme notre société de surconsommation le prétend. Ce psaume insiste paradoxalement sur le fait que la vie en plénitude se décline dès le moment présent si les personnes s’engagent dans l’abandon [2] de la dynamique du souffle divin.

Une espérance fondée sur une tragédie

La seconde lecture tirée de la Lettre aux Hébreux peut déconcerter un esprit contemporain. Les références aux divers sacrifices, comme le laisse présager le verset 11, se révèlent inconcevables pour nous, pour ne pas dire inacceptable. Cependant, la thématique élaborée dans ce passage cherche plutôt à opposer le service au Temple et l’ultime « sacrifice » du Christ. Le génie de l’auteur consiste à ébranler les normes habituelles. Or, lier une mort ignominieuse et honteuse à un geste (les sacrifices) proprement religieux et salvateur se montre, pour l’époque, d’une audace hors du commun. Il transforme un drame exprimant le rejet, tant par la communauté que par la divinité, en événement culminant en la reconnaissance de l’exclu comme le Seigneur de l’univers (He 10,11-12). Celui-ci apporte le salut (He 10,14) de manière concrète par le pardon et la sanctification de l’humanité (He 10,14.18). C’est pourquoi, les croyantes et croyants peuvent espérer contre toute espérance (Romains 4,17-18) au cœur de l’adversité.

Une espérance au cœur du moment présent

Comme nous nous approchons de la fin de l’année liturgique, les textes nous offrent une réflexion sur le sens de la vie de Jésus de Nazareth. Reprenant le style apocalyptique courant au premier siècle, le texte ne vise nullement une description des événements du futur, mais bel et bien la proposition d’un sens pour le moment présent. Autrement dit, les discours apocalyptiques (signifiant avant tout le fait de dévoiler ce qui est caché) ne connaissent pas l’avenir, mais offrent une espérance aux communautés persécutées et ostracisées. Cet artifice littéraire, pour une chrétienne ou un chrétien, met l’accent sur le sens de l’histoire qui se trouve dans le Christ (Apocalypse 1,17-18 ; 2,8 ; 21,6 ; 22,13-14).

La lecture du passage évangélique est corroborée par le contexte littéraire lui-même. Rappelons que le chapitre 13 se situe entre l’épisode du Temple (Marc 11,15-19), les confrontations avec les pouvoirs religieux, divers enseignements sur les conséquences de vivre la condition de disciples (chapitre 12) et l’arrivée spectaculaire du Règne de Dieu. L’onction à Béthanie et le dernier repas succèdent à ces discours eschatologiques. D’une certaine manière, les références apocalyptiques du chapitre traitent davantage de la mort prochaine de Jésus que de la fin du monde. Il s’agit pour les auditrices et auditeurs d’une bonne nouvelle : la mort-résurrection de Jésus inaugure le Règne de Dieu. Pour manifester la gravité de cette venue du Règne, l’usage du vocabulaire apocalyptique permet d’illustrer les tensions du moment présent [3].

Les difficultés, symboliquement mises en scène par le vocabulaire cosmique, constituent un véritable miroir pour les communautés chrétiennes qui affrontent les persécutions et le rejet. L’auteur de l’évangile établit un parallèle entre le sort de Jésus et celui des disciples. Dans cette perspective, les exactions subies font place à l’espérance puisque Dieu l’a ressuscité. Par conséquent, intimement liées au destin de Jésus, les disciples espèrent obtenir, par l’intermédiaire de Jésus, une reconnaissance par Dieu qui, le cas échéant, les ressusciteraient. C’est pourquoi loin de faire naître la peur, les discours apocalyptiques visent en premier lieu à susciter l’espérance s’enracinant dans le présent tout en proposant un futur idyllique [4].

Un événement déjà survenu

Le verset 30 laisse perplexe : « Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. » Il fait écho à cette autre mention par Marc : « Et il leur disait : « Amen, je vous le dis : parmi ceux qui sont ici, certains ne connaîtront pas la mort avant d’avoir vu le règne de Dieu venu avec puissance. » (Mc 9,1) Comment interpréter ces versets? Jésus s’est-il trompé sur la date puisque cette génération, celle de Jésus, se situe nettement dans le passé? Le contexte de Mc 9,1 peut éclairer : ce verset précède la transfiguration. Autrement dit, la manifestation de la gloire et la « fin des temps » se sont déjà produites dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus (Matthieu l’illustre en 27,50-54 où le style apocalyptique est utilisé pour décrire les conséquences de la vie/mort/résurrection de Jésus). Le récit de transfiguration dévoile alors l’arrivée du Règne de Dieu inauguré par Jésus de Nazareth.

Une espérance qui fait vivre

Au cours des derniers mois, l’espérance a été mise à l’épreuve sur de multiples plans. Le tunnel semblait s’allonger constamment, particulièrement pour les nations pauvres et les personnes vulnérables de nos sociétés. À chaque embellie, la lumière semblait s’éloigner. Par contre, l’espérance de revoir nos gens autrement que dans une petite fenêtre numérique, a galvanisé bien des personnes dans une existence plus ou moins confinée. L’espérance ou l’espoir est le socle sur lequel les humains transforment et construisent un monde meilleur. Sans espoir, il n’y aura ni progrès social, ni aucune de prise de conscience personnelle et/ou collective. Comme le souligne un proverbe africain : « L’espoir est le pilier du monde. » [5] Le christianisme repose sur ce pilier.

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Patrice Perreault a travaillé pendant longtemps en milieu paroissial. Il est maintenant impliqué dans divers groupes communautaires à Granby.

[1] Lytta Basset développe l’idée que les êtres humains ne peuvent jamais connaître de façon absolue ce qui est bien et mal. Cette prétention correspond au phantasme de l’omnipotence chez les humains. Selon elle, la métaphore de la manducation du fruit en Gn 3,6-7 traduit symboliquement ce désir de connaître le bien et le mal de manière absolue. Or, seule la divinité peut prétendre à une telle connaissance. Voir Lytta Basset, Guérir du malheur, Paris/Genève, Albin Michel/Labor et Fides (Spiritualités vivantes), 1999, pp. 283-300. Pour une réflexion à ce sujet voir également, Boris Cylrulnik, Tzventan Todorov, La tentation du bien est beaucoup plus dangereuse que celle du mal, Paris, De l’aube (Le monde des idées), 2017.
[2] Voir Alexandre Jollien, Petit traité de l’abandon : pensées pour accueillir la vie telle qu’elle se propose, (Coll. Paris, Points (Points essais), 2015.
[3] Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Paris, Seuil, 2019, p. 234.
[4] Il est à noter que lors de la célébration eucharistique, l’utopie du Règne de Dieu se réalise concrètement dans l’espace rituel. En effet, symboliquement, par le pain partagé, toute personne, peu importe son statut social, religieux ou économique, ses accomplissements ou ses échecs, peut participer pleinement et y combler les besoins humains tant matériels, relationnels que spirituels (Mt 20,1-16, les ouvriers de la vigne et le chapitre 15 de Luc). La seule condition est l’intention d’y participer. En ce sens. La célébration eucharistique devient prophétique pour nos sociétés car elle propose un modèle socioéconomique égalitaire et équitable pour toutes et tous et dans la conscience de l’appartenance environnementale de l’humanité.
[5] Jean-Pierre Boyer, Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison!, Montréal, Écosociété, 2018, p. 216.

Source : Le Feuillet biblique, no 2728. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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