Le Christ au désert. Ivan Kramskoy, 1872 (Wikimedia).

Jésus au désert

Béatrice BérubéBéatrice Bérubé | 1er dimanche du Carême (B) – 21 févier 2021

Tentation et première prédication de Jésus : Marc 1, 12-15
Les lectures : Genèse 9, 8-15 ; Psaume 24 (25) ; 1 Pierre 3, 18-22
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Notre court texte marcien comprend deux parties : la première (vv. 12-13) présente une phrase de transition (v. 12) qui fait le lien avec l’épisode précédent, puis, la proposition suivante évoque le séjour de Jésus au désert (v. 13). La seconde section (vv. 14-15), qui est un sommaire sur la prédication de Jésus, comprend une sentence (v. 14) de forme narrative et une autre (v. 15) rapportant dans une citation des paroles de Jésus.

La proposition de transition (v. 12)

L’Esprit, que Jésus vient de recevoir à son baptême (v. 10 ; Actes des Apôtres 2,33), se manifeste ici pour emmener le Fils bien-aimé au désert, lieu où Israël fut éprouvé par Dieu : pas de sécurité (Exode 14,11), pas d’eau (Ex 15,22 ; 17,1), pas de viande (Nombres 11,4). Cette étendue sauvage et stérile, considérée dans l’Ancien Testament comme le lieu des êtres démoniaques (Lévitique 16,10 ; Isaïe 13,21 ; 34,14 ; Tobit 8,3 ; Baruch 4,35), est une représentation utilisée parfois dans les évangiles (Matthieu 12,43 ; Luc 4,1 ; 8,29 ; 11,24). 

Jésus au désert (v. 13)

Jésus séjourna au désert pendant quarante jours au cours desquels il fut tenté par Satan, durant lesquels il a vécu avec les bêtes sauvages et pendant lesquels les anges l’ont servi. Le chiffre quarante est bien connu de l’Ancien Testament : il rappelle le déluge (Genèse 7,4.12), l’errance d’Israël au désert (Ex 16,35 ; Deutéronome 8,2-4), le séjour de Moïse au Sinaï (Ex 34,28) et la marche d’Élie vers l’Horeb (1 Rois 19,4-8). Jésus fut tenté, c’est-à-dire mis à l’épreuve par Satan, mot venant d’un verbe qui signifie être l’adversaire de. La révélation d’un être personnel, totalement pervers, l’Adversaire de Dieu et de l’être humain, s’est opérée progressivement dans l’Ancien Testament. Il n’y apparaît que trois fois (Job 1—2 ; Zacharie 3,1 ; 1 Chroniques 21,1). Le terme Satan est généralement écrit avec l’article le. Seul, le texte de 1 Ch 21,1, l’emploie sans le déterminant défini. Les vocables Satan ou le diable sont les noms les plus communs utilisés dans les évangiles pour désigner l’ennemi qui combat l’action de Dieu et de ses fidèles (3,23.26 ; 4,15 ; Mt 12,26 ; Lc 10,18 ; 11,18 ;13,16 ; 22,3.31 ; Jean 13,27). Il est appelé encore Béelzéboul (3,22) ou Bélial (2 Corinthiens 6,15). L’économie de détails dans ce passage laisse le champ libre aux lecteurs pour envisager un harcèlement démoniaque semblable à celui décrit par Mt 4,4-10 et Lc 4,3-12, c’est-à-dire des talonnements menaçant l’exercice fidèle de la mission que Jésus a reçue de Dieu. Cependant, Jésus apparaît comme le vainqueur de l’épreuve : nous reconnaissons en lui l’antithèse du premier couple tenté, puis vaincu par le serpent (Gn 3,1). La mention des bêtes sauvages a un double rôle, celui de souligner la désolation du désert (Is 34,11-15) et celui d’évoquer le retour à la paix paradisiaque annoncé par les prophètes (Is 11,6-8 ; 65,25). Le service des anges, promis avec la domination sur les bêtes, exprime la protection divine à l’individu qui se fie en Dieu (Ps 91,11-13, cité en Mt 4,6).

La prédication de Jésus (vv. 14-15)

Lorsque Jean fut livré, Jésus vint en Galilée pour proclamer l’évangile de Dieu (v. 14). L’arrestation du Baptiste par Hérode racontée en 6,17 ouvre la voie à la prédication de Jésus en Galilée, car, d’après l’évangile de Jean (3,22-24), Jésus et le Baptiste menèrent pendant un temps une activité parallèle en Judée. L’effacement involontaire de Jean, comme précurseur, permet à Jésus d’inaugurer sa carrière en Galilée. Pourquoi la Galilée? Parce que cette région est une terre païenne : les foules qui se pressent autour de Jésus sont pleines d’étrangers (3,8). L’évangéliste, qui écrit pour des chrétiens venus de la gentilité, annonce par ce procédé (13,10 ; 14,9) la prédication universelle de l’Évangile qui se prolonge après Pâques (13,10 ; 14,9).

La tournure Évangile de Dieu, unique dans les écrits évangéliques, mais courante chez Paul (Romains 1,1 ; 15,16 ; 2 Corinthiens 11,7 ; 1 Thessaloniciens 2,2.8-9), désigne la proclamation de Jésus, faite aux hommes de la part de Dieu, de la bonne nouvelle de la proximité du Règne de Dieu et du temps du salut qui l’accompagne. Pour l’évangéliste qui écrit après Pâques, il y a coïncidence entre Évangile de Dieu prêché par Jésus et Évangile de Jésus Christ (1,1) proclamé par ses apôtres ayant pour objet Jésus et son œuvre : pour Marc, c’est dans la parole même du prédicateur que le Règne de Dieu se fait connaître.

L’annonce le temps est accompli (v. 15a), inspirée de phrases similaires de l’Ancien Testament (Ézéchiel 7,12 ; Daniel 7,22 ; Lamentations 4,18), signifie que le moment déterminé, l’échéance ou le temps fixé par Dieu pour la réalisation de son plan est désormais arrivé et que le présent en est tout modifié. Si le temps est accompli, c’est que le Royaume de Dieu est proche (14,42), d’où l’appel à la conversion (v. 15b) lancé par Jésus, lequel sera réitéré par les apôtres (6,12). D’ailleurs, Jean le Baptiste en avait fait le but de sa prédication et de son baptême (1,4 ; Mt 3,2 ; Lc 3,2) et, autrefois, les prophètes dans certains de leurs discours (Is 6,10 ; Jérémie 23,22 ; 26,3 ; 31,18.21 ; Éz 3,19 ; 13,22 ; 14,6 ; 18,21). La conversion exigée implique un changement de direction, c’est-à-dire le retour inconditionnel au Dieu de l’alliance. En d’autres termes, l’individu, qui se convertit, doit axer toute sa vie sur Dieu. La conversion est la conséquence pratique et urgente de la proximité du Royaume de Dieu. Cette annonce du Règne de Dieu qui s’accompagne de l’appel à la conversion suppose une situation de péché devant Dieu. Les êtres humains n’étant pas en harmonie avec le Règne, l’annonce de sa présence dans la venue même de Jésus révèle la rupture radicale entre Dieu et le monde. Conversion et foi sont donc nécessaires pour que le Règne puisse se frayer un chemin en celui qui entend la proclamation du temps accompli dans la bouche de Jésus.

Jésus ne prescrit pas aux gens de se convertir sous la menace du châtiment, mais dans la perspective d’une situation définitive de salut. L’œuvre qui commence à s’accomplir est sous le signe de la bonté de Dieu. La conversion, loin d’être une fin en soi, débouche sur une adhésion à la bonne nouvelle que Dieu communique aux êtres humains par l’intermédiaire de Jésus qui devient, après Pâques, celle du salut offert en Jésus Christ. On peut alors comprendre la signification des paroles Croyez à l’Évangile (v. 15c), soit à la prédication de Jésus qui se continue dans la prédication chrétienne. Celle-ci affirme comme Jésus que les temps sont accomplis (Galates 4,4 ; Éphésiens 1,10) et elle appelle à la conversion et à l’accueil de l’Évangile par la foi (1 Thessaloniciens 1,5-6.9 ; 2,13 ; Colossiens 1,5-6).

Que retenir?

Référons-nous à la première partie de l’épisode, le séjour de Jésus au désert où il a été confronté à la tentation et aux animaux sauvages. Certes, le thème du paradis retrouvé se lit dans ce récit ainsi que celui du séjour des Hébreux. Contrairement à Adam, Jésus qui subit la tentation ne cède pas. Au désert, il triomphe du Tentateur par excellence qu’est Satan, là où Israël avait succombé. D’autres passages évangéliques rapportent que Jésus a aussi été tenté par des êtres humains : par Pierre, qui tente de détourner Jésus de l’obéissance à Dieu, est appelé Satan (8,32-33 ; Mt 16,22-23), par les foules rassasiées qui veulent faire de lui le roi (Jn 6,15) et par les chefs juifs qui l’invitent à se sauver lui-même en descendant de la croix (15,30 ; Mt 27,42 ; Lc 23,25). En ces circonstances, Jésus triomphe encore sur le mal. Tel Jésus, nous connaissons une variété de tentations au cours de notre vie. En ces moments, Veillons et prions (14,38 ; Mt 26,41 ; Lc 22,40.46) afin de demander à Dieu de nous délivrer du mal (Mt 6,13), c’est-à-dire de nous soutenir quand le Tentateur essaie de nous faire pécher.

Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.

Source : Le Feuillet biblique, no 2697. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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