Jean le Baptiste prêchant dans le désert. Jean Baptiste Henri Deshays, c. 1758-64. Huile sur toile, 42,2 x 26,5 cm. Art Institute, Chicago (CC0).
Jean le Baptiste
Béatrice Bérubé | 2e dimanche de l’avent (B) – 6 décembre 2020
La prédication de Jean : Marc 1, 1-8
Les lectures : Isaïe 40, 1-5.9-11; Psaume 84 (85) ; 2 Pierre 3, 8-14
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Cette première partie du prologue de l’Évangile selon Marc met en scène Jean le Baptiste, le précurseur de Jésus. Cet extrait peut être divisé en deux parties principales. La première introduit le titre (v. 1), puis, le précurseur de Jésus enraciné dans une parole qui lui est antérieure le plaçant sous le patronage du prophète Isaïe (vv. 2-3). La deuxième partie présente le ministère de Jean le Baptiste (vv. 4-6) et ensuite un bref oracle du prophète du désert (vv. 7-8).
Le titre
En plaçant l’expression Commencement de l’Évangile… en ouverture du récit, Marc a pour objectif de raconter l’intrigue relative à Jésus qui est Christ (Messie, 8,29) et Fils de Dieu (15,39). Le livre de la Genèse et l’Évangile de Jean ont aussi le terme commencement, comme premier mot, mais dans ces récits, il s’agit clairement de l’origine du monde. Ici, le mot commencement désignele temps de l’intrigue considérée comme le début de l’histoire de l’heureuse annonce qui se poursuit par les missionnaires chrétiens après la résurrection et dont l’œuvre et la personne de Jésus, le Christ, constituent le centre. Autrement dit, l’évangéliste considère l’ensemble de son œuvre comme le commencement de la bonne nouvelle. Non pas qu’il se voit comme le premier à en parler, mais au sens où, dans l’ensemble de son texte, il fonde en Jésus les orientations de vie qui définissent la proclamation chrétienne. Le mot Évangile,traduction du terme grec euangelion, est un vocable profane qui, littéralement, signifie bonne nouvelle. Cette bonne nouvelle n’est pas l’écrit de Marc ni celui d’un autre évangéliste, mais la Bonne Nouvelle prêchée, par les apôtres, du salut par Jésus Christ (Romain 1,1). La désignation Christ, transcription du mot grec signifiant Oint, s’applique avant tout à celui qui a reçu l’onction royale (Psaume 2,2 ; voir Marc 1,10-11). Les deux titres Christ et Messie sont équivalents (Jean 1,41).
La citation du prophète Isaïe
Pour expliquer le rôle attribué au Baptiste, l’évangéliste fait appel à un extrait de Malachie 3,1 avec une influence d’Exode 23,20 (v. 2b), puis à une citation du prophète Isaïe 40,3 (v. 3). Jean, le messager de Dieu, est chargé de préparer le chemin du Seigneur qui devient ici celui du Messie : tel que Dieu ordonna à ses serviteurs d’aplanir la route sur laquelle, comme au temps de l’Exode, il a marché au-devant de son peuple sur le chemin de la libération, ainsi le Baptiste reçoit-il la mission de préparer la voie au Messie. En unissant les deux textes de l’Ancien Testament, Malachie et Isaïe, Marc signifie que la prédication de Jean marque le début du temps du salut.
Le personnage de Jean
Conformément à la citation scripturaire du v. 3, Jean paraît dans le désert proclamant un baptême de conversion (v. 4). Le désert étant le lieu où, jadis, Dieu donna rendez-vous à son peuple pour une conversion et une purification avant l’entrée en Terre promise, Jean accomplit sa mission en zone aride probablement le désert de Juda, le long de la mer Morte, peut-être la vallée méridionale du Jourdain. Sa mission consiste à inviter au baptême de conversion en vue du pardon des péchés. Le baptême de Jean est apparenté aux rites qui désignent les bains ou les ablutions pratiqués dans le judaïsme pour la purification des impuretés rituelles (Judith 12,7). À l’époque de Jean, divers mouvements religieux, dont celui des pharisiens (Marc 7,4), se caractérisent par cette pratique. C’est également le cas de la communauté de Qumrân où des bains quotidiens, réservés aux membres profès, expriment leur idéal de pureté, sans suppléer à la nécessaire conversion intérieure. Néanmoins, le baptême de Jean se distingue de ce rite : il n’est reçu qu’une seule fois et exige la conversion.
Le Baptiste a pour fonction, comme tous les prophètes de l’Ancien Testament, de ramener son peuple à l’observance de la Loi divine, de l’inciter à changer de conduite. L’obtention du pardon des péchés exige donc un retournement complet de l’existence, un changement en profondeur de vie authentifié par des actes. Pour Jean, l’annonce de la venue du Seigneur s’accompagne d’une interpellation radicale adressée indistinctement à tous et non seulement à des communautés d’individus séparés et purs. Et effectivement, les foules accourent vers lui et avouent leurs péchés (v. 5). Cette pratique d’un aveu public de culpabilité est attestée dans l’Ancien Testament (Lévitique 26,40 ; Nombres 5,7 ; Psaume 32,5 ; Néhémie 1,6 ; 9,2 ; Daniel 9,4-20). Et le succès du Baptiste rencontré auprès des gens est un fait avéré, si bien que, même après sa mort, les chefs du peuple évitent de le critiquer par crainte de la réaction du peuple (Marc 11,32). Vêtu de poils de chameau et d’une ceinture (v. 6a), Jean s’habille à la manière des messagers divins. Il porte un vêtement tissé de poils de chameau, ce qui évoque le manteau des prophètes (Zacharie 13,4), puis la ceinture, un pagne, rappelle la tenue de son grand prédécesseur Élie (2 Rois 1,8). Son alimentation (v. 6b), les sauterelles, animal pur d’après Lévitique 11,22, et le miel sauvage, est une nourriture connue des hommes du désert : les Bédouins en mangent encore aujourd’hui.
La proclamation de Jean
La prédication de Jean concerne celui qui vient après lui, littéralement derrière lui ou à sa suite. Cette expression, qui indique le rang (Marc 1,17.20 ; 8,33-34), fait ressortir le contraste entre Jean et Jésus : celui qui vient après est le plus fort, c’est-à-dire qu’il appartient à un autre ordre que celui où se situe le précurseur. Le Baptiste illustre sa supériorité par une image : sa dignité est telle que Jean se reconnaît indigne d’exercer à son égard les plus humbles fonctions de l’esclave, comme celle de mettre ou de délier les sandales (v. 7). Le verset 8 donne un contenu un peu plus précis à la prédication du Baptiste qui est entièrement consacrée à l’annonce du Christ. La parole mais lui vous baptisera d’Esprit Saint souligne la distance entre l’œuvre de Jean et celle de Jésus : l’un opère avec de l’eau une certaine purification, un certain renouvellement ou changement, et l’autre opérera avec l’Esprit Saint une transformation profonde chez le baptisé. Il réalisera ainsi le rêve que depuis Moïse (Nombres 11,29) nourrissaient les prophètes en songeant aux temps eschatologiques (Isaïe 32,15 ; 44,3 ; Joël 3,1-5 ; voir Actes des apôtres 2,17-21), à une alliance nouvelle (Jérémie 31,31-34 ; Ézéchiel 36,26-27 ; 39,29).
Que retenir de cet extrait?
Dans les périodes de crises traversées par le peuple d’Israël à l’époque vétérotestamentaire, des oracles prophétiques annonçaient la venue prochaine d’un roi qui apporterait la délivrance (Isaïe 7,14 ; Jérémie 23,5-6 ; Ézéchiel 34,23 ; 37,24 ; Amos 9,11 ; Michée 5,1-5). Au 1er siècle de notre ère, Israël se met à rêver d’un oint roi-prophète, fils de David, qui opérerait la libération promise (Psaumes 2,2 ; 110,1) : l’attente messianique est généralisée dans les classes religieuses et sociales de la Palestine. Les mouvements religieux fondent leur espérance messianique sur l’ensemble de l’Écriture, soit à la fidélité d’Israël à la Loi et aux promesses faites à la dynastie davidique. Contrairement à l’attente idéalisée par les classes religieuses, l’espérance messianique détient dans les groupes populaires une forte coloration politique et nationaliste. L’image du roi fort, celle que l’on se fait de David (1 Samuel 16,18), est omniprésente dans la mémoire du peuple. Dans son écrit, Marc rapporte le ministère de Jésus au cours duquel il annonce la fin des temps et l’imminence du royaume de Dieu. Après sa mort et sa résurrection, l’espérance messianique encore omniprésente dans les classes populaires est la source d’inspiration des apôtres quand ils exposent leurs convictions à propos de Jésus : d’où les désignations Christ et Fils de Dieu pour qualifier Jésus comme sauveur spirituel. Lorsque Marc – et les autres évangélistes – propage le message du salut annoncé par Jésus, il emploie ces deux titres christologiques pour soutenir la foi de son auditoire. Pour nous aujourd’hui, les lecteurs du Nouveau Testament, qu’est-ce qui est plus important : les qualifications christologiques ou le message de Jésus?
Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.
Source : Le Feuillet biblique, no 2684. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.