L’Ascension. Gustave Doré, 1879. Huile sur toile, 61 x 42 cm. Petit Palais, Paris (Wikimedia).
Le mystère glorieux de l’Ascension de Jésus
Patrice Bergeron | Ascension (B) – 16 mai 2021
L’envoi en mission : Marc 16, 15-20
Lectures : Actes 1, 1-11 ; Psaume 46 (47) ; Éphésiens 4, 1-13
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
C’est davantage la première lecture de ce dimanche, tirée des Actes des Apôtres, qui nous instruira du mystère de l’Ascension, l’évangile dominical n’y faisant qu’une allusion laconique. C’est pourquoi ce commentaire, exceptionnellement, s’attardera aussi longuement sur la première lecture plutôt que sur l’évangile.
40 jours, vraiment ?
Selon ce que Luc précise, au prologue du livre des Actes des Apôtres (1,1-11), Jésus ressuscité apparut pendant quarante jours aux Apôtres avant de disparaître définitivement à leurs yeux, enlevé au ciel. Respectant cette chronologie, dans de nombreux pays du monde la fête de l’Ascension se célèbre donc toujours le quarantième jour après Pâques, soit le jeudi suivant le 6e dimanche de Pâques. Chez nous, pour des raisons pastorales, cette fête est repoussée au dimanche suivant, sans doute pour permettre à une plus grande part du peuple de Dieu de célébrer ce mystère glorieux.
Cette Ascension de Jésus, Luc nous la raconte deux fois. À la fin de son évangile, elle semble se produire au soir même de la Résurrection et non quarante jours plus tard. Ce qui fait dire que ce « 40 jours » est certainement plus théologique que chronologique. Il signifie symboliquement ce qu’il signifie toujours dans la Bible (Déluge, Exode, Sinaï, Jésus au désert) : un temps de préparation complet qui dispose à passer à une nouvelle étape. En utilisant ce motif au prologue des Actes, Luc est simplement en train de nous dire que les disciples ont fait une expérience suffisamment significative du Ressuscité qui les équipe en vue de leur mission d’être désormais ses témoins jusqu’aux extrémités de la terre !
Assis à la droite de Dieu
Mais qu’est-ce que l’Ascension ? Une envolée flamboyante de Jésus dans les nuages ? Pigeant dans le cadre traditionnel des théophanies bibliques (montée, nuées, parole angélique), cette mise en scène, dessinée par Luc, a pour but de traduire en images le mystère indicible de la glorification du Christ. Car c’est bien ce qu’est l’Ascension de Jésus : son accueil, ou plutôt, son retour dans le monde de Dieu duquel il origine, mystère rendu par l’expression kérygmatique consacrée il s’est assis à la droite de Dieu. Intimement lié à la Résurrection, le mystère de l’Ascension est donc un épisode charnière : il clôt le passage terrestre de Jésus et prépare à l’envoi de l’Esprit et au déploiement du témoignage des disciples, soit à l’aventure de l’Église.
Partir pour mieux revenir
Mais l’Ascension comporte aussi une dimension eschatologique, elle est en liaison étroite avec ce que, en termes chrétiens, nous appelons la Parousie. Ce « départ » de Jésus prépare son « retour » à la fin des temps. Autrement dit, il « part » pour mieux revenir ! C’est bien l’avertissement angélique que reçoivent les Apôtres. Indirectement, le Ressuscité fait aussi allusion à ce retour en ne répondant pas à leur question sur la restauration de la royauté en Israël (il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates).
Dans l’intervalle séparant l’Ascension de la Parousie, c’est le temps de l’Église et du témoignage pour Jésus qui s’inaugureront à la Pentecôte. Le Ressuscité donne même à ses disciples un itinéraire « théologique » de mission qui correspond exactement au plan du livre des Actes des Apôtres qui commencent à Jérusalem, passent par la Judée et la Samarie et se terminent aux extrémités de la terre symbolisées par Rome où Paul est emprisonné. Si Jésus disparaît à leurs yeux en ce jour de l’Ascension, il ne laisse pas ses disciples seuls pour autant, leur assurant son soutien par l’action du Saint-Esprit, promesse du Père.
Un Évangile prolongé…
Parlons tout de même de l’évangile du jour, choisi en raison de ces quelques mots qui font allusion au mystère de l’Ascension : Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. L’extrait d’aujourd’hui est tiré de ce qu’on appelle la « finale longue » de l’évangile de Marc (Mc 16,9-20), qui est un ajout tardif postérieur à l’évangile original qui se terminait sans doute en Mc 16,8 [1]. Finissant presqu’en queue de poisson (silence apeuré des femmes venues au tombeau de Jésus, aucun récit d’apparition du Ressuscité ou de son Ascension), la fin de Marc fut jugée si abrupte que des scribes chrétiens de l’Antiquité [2] ont jugé bon – sans doute dans un but apologétique – d’ajouter quelques versets pour harmoniser cet évangile aux trois autres qui, eux, rapportent de nombreuses manifestations du Ressuscité.
De cet exercice d’harmonisation, outre la mention d’une montée au ciel de Jésus (qui justifie le choix de cet évangile pour la fête de l’Ascension), l’extrait d’aujourd’hui relaiera l’envoi en mission universelle des disciples par le Ressuscité (versets 15 et 16) [3] et l’assurance de sa présence à la mission de l’Église (verset 20) [4]. Certains versets (versets 17 et 18) portant sur les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants étonneront cependant pour deux raisons : d’abord parce qu’ils sont promis à tout croyant et non aux seuls Apôtres, et ensuite, parce que deux de ces cinq dons miraculeux sont inusités dans le Nouveau Testament (serpents et poison mortel). On comprend que de chasser les esprits mauvais, guérir les malades ou parler un langage nouveau (glossolalie prophétique) accompagnent la mission de l’Église depuis ses débuts, signes que la puissance de la Résurrection du Christ agit par elle. Toutefois, défier la mort, en jouant avec des serpents ou en avalant un poison – n’essayez pas cela à la maison! – a tout l’air de « numéros de cirque » oiseux, crée un effet « poudre aux yeux » ayant peu à voir avec la mission de l’Église. La prédication apologétique des 2e et 3e siècles usait, paraît-il, de ces arguments de vente « miraculeux » pour convaincre; ce qui milite encore en faveur de la thèse de l’ajout tardif de ces versets à l’évangile de Marc.
Un mot sur Éphésiens…
Si l’Église n’est encore qu’un projet en germe dans les paroles du Ressuscité rapportées par les Actes ou l’Évangile, pour le prisonnier Paul, fondateur de nombreuses communautés, l’Église est une réalité concrète : à la fois humaine et divine, un défi d’unité constant, un Corps en croissance. Dieu lui-même équipe ce Corps du Christ que forme l’Église pour son édification en la dotant de dons divers, des ministères nécessaires à sa vie : Apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants. Ces cinq dons existaient en plénitude dans la personne de Jésus. Comme membres de l’Église, chaque baptisé est appelé à développer l’un ou l’autre de ces ministères afin de les mettre au service des autres dans l’amour. Ainsi grandit le Corps entier de l’Église, de la Pentecôte à la Parousie, jusqu’à la plénitude de la stature du Christ.
Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.
[1] Ces versets (Mc 16,9-20), apparus au cours du 2e siècle, manquent aux manuscrits les plus anciens de l’évangile. Le style et le vocabulaire des ces versets tranchent avec le reste de l’évangile. Aussi, l’authenticité de l’attribution de cette finale à Marc est contestée par certains Pères de l’Église, dont saint Jérôme.
[2]
Outre la finale longue que l’on connaît (Mc 16,9-20) et que la Tradition incorpore dans le canon des Écritures inspirées, on connaît au moins deux autres finales que l’Église n’a pas retenues.
[3]
Parallèles avec Mt 28,19-20 ; Lc 24,47-48 ; Ac 1,8.
[4]
Parallèle avec Mt 28,20b.
Source : Le Feuillet biblique, no 2711. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.