(Aaron Burden / Unsplash)

Une lumière au bout d’un long tunnel

Patrice Perreault Patrice Perreault | 3e dimanche du Temps ordinaire (A) – 26 janvier 2020

Première prédication de Jésus : Matthieu 4, 12-23
Les lectures : Isaïe 8, 23–9,3 ; Psaume 26 (27) ; 1 Corinthiens 1, 10-13.17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

L’oracle d’Isaïe que nous propose la liturgie de ce dimanche (8,23 – 9,3) se situe dans le cadre d’un événement catastrophique pour le peuple de Juda : l’Assyrie a assujetti les tribus situées en grande partie dans le territoire du royaume du Nord qui deviendra ultérieurement une simple province administrée par des puissances étrangères. À l’époque, un tel conflit représentait ni plus ni moins que l’anéantissement complet du peuple.

Le véritable conflit

En effet tout conflit politique était d’abord et avant tout perçu comme un conflit théologique : le combat des divinités. En d’autres termes, ce qui se produisait sur terre, dans la victoire d’un peuple sur un autre, ne faisait que refléter, tel un miroir, la conquête d’une divinité sur une autre. Rappelons qu’à l’époque d’Isaïe (8e siècle avant J.C.) la théologie « officielle » balbutiait le concept de monothéisme. Il s’agissait davantage d’hénothéisme où Yhwh est le dieu unique, parmi d’autres dieux appartenant au panthéon d’autres peuples, garant de l’identité nationale [1]. Les divinités créent l’unité et le ciment culturel d’une nation.

Officiellement, Israël ne croit qu’en un seul Dieu sans jamais nier l’existence des autres. Or l’annexion des tribus du Nord apparaissait à bien des contemporain.e.s du prophète comme un peu le canari dans la mine : à quel moment, serons-nous acculturés et conquis par la première superpuissance de l’époque : l’Assyrie? Une autre question surgissait également : si le Nord est conquis, les divinités assyriennes sont-elles plus puissantes que Yhwh? Si les divinités assyriennes sont plus puissantes alors assimilons-nous tout simplement et cessons de croire en Yhwh.

L’espérance : une lumière qui ne s’éteint pas complètement même aux jours les plus sombres

Isaïe reconnaît la gravité de la situation : sur les habitants du pays de l’ombre. Il évoque sans détour que le peuple risque de disparaître, il habite déjà les tréfonds du shéol : un lieu où les morts séjournent à l’état plus ou moins végétatif. Dans ce lieu, il n’y a nulle lumière, aucune forme de relations ni entre soi ni avec Dieu. L’image est saisissante. Il cite la déportation et le poids de la défaite : Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran. Habituellement cela se traduisait par l’assimilation des conquis à la culture donc à la religion de la puissance dominante.

Or, au moment où tout est perdu, où l’histoire semble suivre son cours convenu, Yhwh renverse la pyramide du pouvoir : les soumis reprennent leur vie en main. Ils perçoivent la lumière d’une libération et d’une restauration potentielle par la main de Yhwh, même si cela apparaît impossible. Isaïe se réfère à Madiane où les israélites furent vainqueurs après certaines difficultés (Juges 7). En d’autres termes, même si tout apparaît sans issue, Yhwh peut faire émerger la vie là où la mort régnait en maître comme l’image offerte par Ézéchiel (37,1-14).

La confiance (foi) au Seigneur

La liturgie ne retient que quelques versets du Psaume. Cela est dommage d’autant que certains versets comme le second et le troisième font grandement écho au passage de la première lecture. Le psaume fait état d’une situation dramatique où la vie est menacée par des ennemis non nommés. Par contre, le texte insiste sur la confiance à accorder à Yhwh. Ce dernier, reconnaissant le bien-fondé de la plainte, intercèdera pour rétablir la justice. Dans sa version dominicale le psaume insiste davantage sur la foi en Dieu. Il invite non pas à un lâcher-prise, un terme à la mode, qui conduit potentiellement à une forme de tentative de contrôler la vie, mais plutôt à un abandon qui encourage davantage l’accueil de ce qui se produit, de ce qui survient : « L’abandon n’est pas du tout la résignation. C’est même le contraire. Plus on s’abandonne à l’instant présent, plus on est dans l’action et l’on répond adéquatement aux circonstances de l’existence [2]. » En accueillant la vie, paradoxalement, la liberté s’épanouit car elle permet de discerner des pistes pour interagir sur le monde. Ainsi, l’abandon permet un discernement de voies possibles au cœur du réel.

Les conflits sont inhérents à un groupe

Il s’avère difficile dans un premier temps de voir le lien entre la seconde lecture et les textes précédents. Cependant, celle-ci opère une transition pour l’idée principale de la péricope évangélique. Si dans la première lecture, les conflits tirent leur origine de puissances étrangères et donc extérieures à la société, la seconde lecture dévoile que les guerres intestines peuvent occuper une place prépondérante au point de déchirer une communauté.

Une diversité de courants occasionnant des conflits

La polémique provient de la manière de comprendre, par des membres de la communauté, divers courants herméneutiques (voir Actes 18,24-28). À la différence d’un portrait idyllique des débuts du christianisme, il n’existe aucunement d’orthodoxie stricte comme celle qui a émergé à la suite du concile de Nicée. Au cours du premier siècle, il s’agissait tout simplement d’admettre la résurrection de Jésus ainsi que son caractère salutaire (Ac 2,22-24). Néanmoins, certaines écoles populaires proposaient des lectures platoniciennes qui pouvaient s’inscrire en faux avec le kérygme primitif en centrant le message davantage sur des aspects que sur l’essentiel du salut apporté par Jésus de Nazareth. Apollos venant d’Alexandrie, a pu introduire ce type de discours dans la communauté corinthienne marquée grandement par la culture hellénistique.

C’est ainsi que la communauté s’est polarisée en factions où chacune se réclamait du véritable évangile. Paul corrige le tir en rappelant que la vie d’une chrétienne ou d’un chrétien se centre d’abord sur le Christ. Paul rappelle que les polémiques, inévitables dans une communauté, ne doivent pas étouffer l’unité primordiale. L’allusion au baptême au verset 17 vise à appuyer l’autorité paulinienne amoindrie par l’éloquence de certains prêcheurs. Il rappelle avec insistance que sa mission se concrétise avant tout dans l’annonce de l’évangile et non dans la célébration du baptême. Par cet argumentaire, il souligne que le Christ est au centre de la communauté [3] et de la communion (koinônia) entre les membres.

L’unité dans la diversité

Une ouverture à la différence

L’évangile répond, en écho à la première lecture, à la problématique de la deuxième. La citation faite par l’auteur de l’évangile de Matthieu, – citation complètement retravaillée pour correspondre au besoin de sa communauté –, cherche à établir l’unité dans l’accueil de la diversité. La communauté d’origine juive percevait avec une grande méfiance l’accueil des Gentils, une appellation pour désigner les gens appartenant à une population et une religion autres que le judaïsme. Le verset 15 correspond à cette ouverture à la diversité présente dès les débuts du ministère de Jésus en Matthieu, qui se déroulent à Capharnaüm, carrefour par excellence de la pluralité. Si originellement, Isaïe se référait à l’oppression du peuple par les puissances étrangères, le passage évangélique se réfère davantage à la lumière apportée par la prédication de Jésus sur le Royaume. D’ailleurs, l’arrestation de Jean apparaît comme le signe du début de la vie publique du Christ.

Une annonce active

Si l’annonce du Royaume implique un abandon et une confiance en Dieu, celle-ci n’entraîne aucune forme de passivité. Des choix se réalisent comme l’appel des disciples. En d’autres termes, si le plan de Dieu s’accomplit, il ne s’exécute jamais sans l’apport actif des êtres humains dans leur liberté concrète. D’une certaine manière, par le choix des êtres humains, Dieu existe dans l’histoire, il se fait dépendant de notre liberté, de notre volonté pour que le plan du salut se déroule même si dans l’Évangile, il demeure maître de l’histoire.

Pistes d’actualisation

L’espérance au cœur des défis contemporains

Une première piste consiste à présenter que même dans les moments les plus désespérés, comme dans l’actuelle crise climatique, un retournement peut s’effectuer. Il s’agissait d’un reversement complet de la situation vers la vie. La marche pour le climat en septembre 2019 illustre fort bien comment au cœur du pays de l’ombre une lumière peut jaillir lorsque des personnes s’unissent pour renverser une tangente mortifère. Même si le résultat ne se garantit jamais, l’espérance peut naître de la mobilisation collective pour favoriser l’émergence d’un monde plus humain.

L’accueil de la pluralité

Une autre piste consiste à redécouvrir que le christianisme, même si l’histoire ne le démontre pas toujours, se construit dans l’accueil de la différence, de l’altérité. En ce sens, les chrétiennes et les chrétiens sont invité.e.s à rejeter toutes les formes d’exclusion, qu’elles proviennent de la culture, de la classe socioéconomique ou de la religion.

Dans cette perspective, deux avenues complémentaires se dessinent : l’une consiste à prendre conscience que, comme individu, nous pouvons véhiculer des préjugés, qu’il nous faut les reconnaître et les accueillir en toute lucidité afin de mieux les dépasser et les déconstruire.

La seconde vise à offrir des espaces de rencontre et de dialogue afin d’aller au-delà des lieux communs, et d’apprendre que la pluralité représente une occasion de construire une culture véritablement commune, reconnaissant l’apport de chacune et chacun au devenir d’une société tant dans l’égalité que dans l’équité.

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Patrice Perreault a travaillé pendant longtemps en milieu paroissial. Il est maintenant impliqué dans divers groupes communautaires à Granby.

[1] À l’époque, il s’agit du premier marqueur identitaire d’une nation. Or, dans notre contexte d’une sécularisation profonde comme au Québec, une telle notion nous apparaît au mieux totalement étrangère et au pire probablement ridicule. Il importe de souligner que dans l’Antiquité, l’idée même d’un monde autonome de la sphère surnaturelle est inimaginable. Tout est religieux y compris le politique.
[2] Voir Alexandre Jollien, Petit traité de l’abandon. Pensées pour accueillir la vie telle qu’elle se propose. Paris, Seuil, 2012, p. 13.
[3] Au verset 11, une femme est nommée Chloé. Elle occupe probablement un rôle important au sein de la communauté à Éphèse. Il importe de rappeler que les femmes occupaient une position importante dans maintes communautés au premier siècle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2648. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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