Le rêve de Joseph. Gaetano Gandolfi, c. 1790. Huile sur toile, 95 x 76 cm. Collection privée. Web Gallery of Art (Wikipedia).

Qu’il vienne le Seigneur nous retourner !

Marie de LovinfosseMarie de Lovinfosse | 4e dimanche de l’Avent (A) – 22 décembre 2019

Joseph et la visite d’un ange : Matthieu 1,18-23
Les lectures : Isaïe 7, 10-16 ; Psaume 23 (24) ; Romains 1, 1-7
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Lors de la manifestation de Jésus Christ, Dieu fait appel à un homme, Joseph, et à une femme, Marie, d’une façon nouvelle où Lui, Dieu, est le centre, l’essentiel. L’Évangile selon Matthieu commence par une généalogie de forme patriarcale où l’engendrement est expliqué de père en fils : Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères […] (Mt 1,2). Avec l’arrivée de Jésus apparaît soudainement une rupture : Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus qui est dit Christ (Mt 1,16).

Rupture et retournement

Une telle rupture bouleverse les plans humains à commencer par ceux de Joseph, puis d’Hérode et des grands prêtres. Elle est même considérée comme un motif de honte qui mérite une intervention : Joseph […] décida de renvoyer [Marie] en secret (Mt 1,19), conformément à la loi de divorce promulguée par Moïse (Deutéronome 24,1). Ce faisant, Joseph aurait délaissé de façon dramatique – en croyant bien faire ! – à la fois son épouse et Dieu lui-même en son Fils.

Combien de fois l’être humain, la société, l’Église et nous-mêmes, avons-nous écarté ou négligé des personnes, par souci d’intégrité, et avons été mis tôt ou tard devant l’évidence que nous nous étions trompés ? Joseph nous enseigne qu’il est possible de ne pas succomber à cette tentation, mais de nous laisser retourner par Dieu. En contemplant « le juste » (Mt 1,19), une condition s’avère fondamentale : à travers la prière et un cœur ouvert à l’autre qui nous bouscule, rechercher humblement la volonté de Dieu par delà la nôtre, par delà nos premières réactions, notre compréhension et ce qui, souvent à notre insu, nous échappe.

Retournement et accomplissement

Dieu fait irruption au cœur de la nuit de Joseph, au cœur de son abandon dans le sommeil : l’ange du Seigneur lui apparaît en songe. Ce phénomène est attesté à quatre moments charnières de la vie de Joseph : l’accueil de Marie (Mt 1,20-23), la fuite en Égypte (2,13), le retour en terre d’Israël (2,19-20) et l’établissement dans la région de Galilée (2,22). Le quatrième songe est simplement mentionné, sans que soit donné son contenu. Pour les trois premiers, celui-ci est structuré en deux temps : d’abord des instructions centrées sur l’exhortation adressée à Joseph à prendre avec lui Marie, son épouse (1,20) ou l’enfant et sa mère (2,13.20), ensuite une explication. Ces songes et leurs suites reflètent un trait fondamental de la personnalité de Joseph : son écoute humble et animée d’une foi active.

Le premier songe dont il est question dans l’évangile de ce dimanche se distingue des autres par trois éléments supplémentaires. Premièrement, au début du songe, l’ange rassure Joseph de trois manières : il le nomme « Joseph » ; lui rappelle qu’il est « fils de David », autrement dit, porteur d’une promesse, et l’invite explicitement à ne pas avoir peur (1,20).

Deuxièmement, après avoir révélé que ce qui a été engendré en [Marie] est de l’Esprit Saint (1,20), l’ange du Seigneur convie Joseph à donner au fils qui naîtra le nom de Jésus (1,21). Dieu appelle ainsi Joseph à reconnaître et à recevoir comme siens et, plus fondamentalement, comme un don divin, non seulement Marie, la femme qu’il pensait renvoyer, mais aussi l’enfant qu’elle porte sans l’implication initiale de Joseph. Quel homme aurait consenti à un tel retournement intégral sur les plans intellectuel, affectif, spirituel et corporel ? Dans la foi inédite du juste, sans réserve, ni délai, Joseph « se lève » (1,24 ; 2,14.21). Cet engagement inédit n’illustre-t-il pas de façon éloquente « l’obéissance de la foi » (Rm 1,5), à laquelle Paul nous exhorte dans l’introduction de sa Lettre aux Romains ?

Placé au début de l’Évangile selon Matthieu, le renversement auquel un homme, Joseph, participe en relation avec une femme, Marie, présente un caractère fondateur de l’action de Dieu qui accomplit sa parole. En effet (troisièmement), l’ange conclut en précisant que « tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète [Isaïe 7,14] : Voici que la vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : "Dieu-avec-nous" (1,22-23). Dans la mesure où nous accueillons de « prendre avec » nous les personnes que nous aurions écartées et par lesquelles Dieu en réalité nous fait signe, nous expérimentons la présence de « Dieu-avec-nous » qui nous sauve de nos péchés structurels.

En ce temps de Noël qui pointe déjà, à quel retournement Dieu nous invite-t-il dans nos relations afin de participer à son plan de salut pour notre humanité et être témoins de l’accomplissement de sa parole ?

Oui, qu’il vienne le Seigneur [nous retourner] : c’est lui le roi de gloire ! (antienne du Psaume 23(24).

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Marie de Lovinfosse est professeure d’exégèse biblique à l’Institut de formation théologique de Montréal.

Source : Le Feuillet biblique, no 2643. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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