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Le gérant habile

Béatrice BérubéBéatrice Bérubé | 25e dimanche du Temps ordinaire (C) – 22 septembre 2019

La parabole du gérant habile : Luc 16, 1-13
Les lectures : Amos 8, 4-7 ; Ps 112 (113) ; 1 Timothée 2, 1-8
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Dans l’état actuel du texte, le récit lucanien (16,1-13) est partagé en deux parties : la parabole du gérant habile (vv. 1-8) suivie de sentences, qui sont des éléments détachés et rassemblés, dans le but d’expliciter la parabole sur divers aspects de l’argent (vv. 9-13).

La parabole du gérant habile (vv. 1-8)

À l’instar du fils prodigue (Luc 15,13), l’administrateur a dilapidé les biens de l’homme riche (v. 1c). Sa faute est grave puisqu’il avait reçu la confiance de son maître et que son métier était d’en gérer les biens. Son renvoi est décidé (v. 2d). La décision du maître place le régisseur dans une situation désespérée. N’étant sûrement pas menacé de poursuites judiciaires, mais congédié l’intendant perd son salaire et son honneur. Il doit trouver une solution pour protéger son avenir, sinon il est perdu. Le régisseur imagine un stratagème qui lui permettra de survivre à l’épreuve. Le monologue intérieur (v. 3a) permet au héros d’exprimer son embarras et de dire à haute voix quelle sera sa décision. Homme de commandement, il ne se voit pas manier la pelle et la pioche (v. 3b). Il n’en a plus la force physique. Participant d’une classe moyenne aisée, il ne saurait s’abaisser à mendier (v. 3c). Il n’en a pas la force morale. Il ne veut en être réduit ni à l’une, ni à l’autre de ces extrémités.

Songeant à son avenir, il va agir de façon avisée pour tenter de se gagner la faveur de gens qui l’accueilleront chez eux (v. 4b). Continuer à être reçu, c’est conserver sa dignité, ne pas perdre son statut social, garder un sens à sa vie. Il utilise donc pour soi la fine marge de manœuvre qui lui reste, à savoir diminuer l’emprunt aux débiteurs. Le rabais que celui-ci consent aux clients est-il pris sur un profit exagéré qu’il aurait normalement exigé ou bien sur la valeur réelle des biens achetés? Par la proposition qu’il fait aux divers emprunteurs (vv. 5-7), le régisseur, qui semble disposer d’une autonomie certaine, agit-il malhonnêtement ou pas? Selon la coutume alors tolérée en Palestine, l’intendant avait le droit de consentir des prêts sur les biens de son maître et, comme il n’était pas rémunéré, de se payer en forçant sur la quittance le montant du prêt afin que, lors du remboursement, il puisse profiter de la différence comme d’un surplus qui représentait son revenu. Comme les collecteurs d’impôts (voir 19,1-10; Mt 9,9-13 et par.), il n’était pas rare que les régisseurs aient eu la latitude d’extorquer de larges marges bénéficiaires au-delà de ce qui devait revenir au propriétaire. Dans le cas présent, il n’avait sans doute prêté en réalité que cinquante barils d’huile et quatre-vingts mesures de blé : en ramenant la quittance à ce montant réel, il renonce à ses bénéfices. Sa « malhonnêteté » (v. 8a) ne réside donc pas dans la réduction de quittances qui n’est qu’un sacrifice de ses intérêts immédiats, mais plutôt dans les malversations antérieures (v. 1) qui ont motivé son renvoi.

Ce gérant « trompeur » est pourtant louangé par son maître sur le caractère « habile », avisé de sa démarche (v. 8a), terme qui, dans la langue de l’Ancien Testament, désigne tout « savoir-faire » honnête ou malhonnête (voir Gn 3,1). Le maître ne félicite donc pas le régisseur de façon absolue, mais il le loue d’avoir agi avec intelligence, c’est-à-dire dans son propre intérêt et à son profit, ce qui est la perspective d’un homme riche. Classé parmi les fils de ce monde (v. 8b), le gérant appartient au groupe de ceux qui ne connaissent que le monde présent et qui n’agissent que dans la poursuite de leurs intérêts, c’est-à-dire ceux qui ne se soucient guère de la dimension transcendante de l’existence humaine, contrairement aux fils de lumière (v. 8c), groupe désignant les hommes qui sont du côté de Dieu, ceux devenus lumineux (11,34-36) par l’écoute de la Parole de Dieu. Les expressions « fils de ce monde » et « fils de lumière », empruntées au judaïsme antique par le christianisme primitif (1 Th 5,5), opposent deux mondes et deux temps : ce temps-ci et le temps à venir, celui de Dieu et de son règne. Chez Luc, comme chez Paul, l’atmosphère est apocalyptique et les croyants s’imaginent vivre les derniers jours.

Les réflexions de Jésus sur l’usage de l’argent (vv. 9-13)

Dans ces sentences, Jésus intervient pour commenter la parabole. De toute son autorité : Et moi, je vous dis (v. 9a), il invite ses disciples à se faire des amis à l’aide de l’Argent trompeur – leur biens matériels – (v. 9b) et leur promet en retour des bénéfices spirituels dans les demeures éternelles (v. 9c), locution indiquant le lieu du salut. Cette expression ne se retrouve ni dans la littérature vétérotestamentaire, ni dans le corpus néotestamentaire. Elle s’inspire possiblement de l’imagerie de la fête des Tentes, où l’on voyait alors une préfiguration de l’ère du salut (Za 14,16-21). Si d’après Jésus, l’argent est « trompeur », ce n’est point parce qu’il est mauvais en soi, mais parce qu’il risque très souvent de détourner l’être humain des vraies valeurs, c’est-à-dire l’amour de Dieu et du prochain.

Aux vv. 10-12, Jésus poursuit son discours en valorisant l’importance d’une gérance « fidèle ». Il invite ses disciples à être aussi habiles dans le service du Royaume que les filous de ce monde dans leurs affaires malhonnêtes et à se montrer honnêtes dans l’administration des biens temporels dont chaque homme a reçu de Dieu la gérance même s’il doit s’en séparer un jour. D’après le v. 13, l’argent est un danger beaucoup plus grave que dans les versets précédents, car quiconque peut en faire une idole. Qui idolâtre l’Argent et s’en fait l’esclave ne peut aimer Dieu (1 Jn 2,15), ne peut penser à la souveraineté de Dieu (Lc 12,15-21) et ne peut accomplir la volonté de Dieu (Mt 19,21-22). C’est la raison pour laquelle Jésus place l’être humain devant un choix, soit Dieu, soit l’Argent. Qui idolâtre l’Argent ne peut être « fils de lumière ». Pour Jésus, l’argent est la place où le cœur d’une personne est, quand il n’est pas avec Dieu. Pour Jésus, il est impossible d’aménager un compromis, car l’individu serait dans la situation peu enviable de l’esclave appartenant à deux maîtres, ce qui arrivait parfois à l’époque. Voilà pourquoi il faut choisir ou Dieu ou l’Argent, car l’un comme l’autre exige tout l’être humain.

L’évangéliste

En relatant cette parabole de Jésus et ses commentaires, Luc désire indiquer aux membres de sa communauté comment user de l’argent avec habileté dans la perspective du Royaume. Comparé aux biens du Royaume qui sont authentiques et impérissables (12,33), l’Argent représente une valeur peu sûre, transitoire puisqu’il fera nécessairement défaut le jour où l’individu meurt. Le règne de l’Argent aura une fin. Si le gérant injuste a su se servir des biens de ce monde pour se faire des amis et préparer ainsi son avenir sur cette terre, combien plus les chrétiens doivent-ils préparer leur avenir éternel, à se faire des trésors dans le ciel (18,22) en partageant avec les pauvres, soit en remettant des dettes, soit en donnant. L’aumône révélera ainsi sa fécondité (11,41; 12,33; 19,8; voir Mc 10,21).

Dans la communauté lucanienne qui s’organise, l’intendance est une préoccupation prioritaire. Une sage organisation et une bonne direction concernent divers domaines tels que la famille, la société et surtout la sphère privée. L’évangéliste désire souligner aux croyants d’être « fidèles » au jour le jour dans l’administration des biens spirituels et matériels. En rapportant l’exhortation de Jésus qui donne les « fils de ce monde » en exemple aux « fils de lumière », Luc veut signaler aux chrétiens de se montrer « habiles », eux aussi, quand ils distribueront leurs biens à des gens qui pourront les « accueillir » dans la cité de Dieu (14,14).

Béatrice Bérubé a fait ses études à l’Université du Québec à Montréal où elle s’est spécialisée en études bibliques. Elle a obtenu son doctorat en 2014 et collabore au Feuillet biblique depuis 2015.

Source : Le Feuillet biblique, no 2630. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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