Synaxe des Douze apôtres. Icône du XIVe siècle. Musée Pochkine, Moscou (Wikipedia).
Je n’ai pas d’autre bonheur que toi !
Étienne Couture | 13e dimanche du Temps ordinaire (C) – 30 juin 2019
En route pour Jérusalem : Luc 9, 51-62
Les lectures: 1 Rois 19, 16b.19-21 ; Psaume 15 (16) ; Galates 5, 1.13-18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
L’évangile et les textes de ce jour évoquent un des plus grands sujets de la foi chrétienne : suivre le Seigneur. Il semble que ce n’est jamais quelque chose d’aisé. C’est un thème qui revient assez souvent dans la Bible. On peut le voir tout au long du Pentateuque par exemple. D’abord à travers des personnages, les patriarches, qui sont invités par Dieu à le suivre à travers une promesse qu’il leur fait. Ensuite, par un peuple tout entier qui devient héritier de cette promesse de Dieu. En ce qui concerne le Nouveau Testament, Luc nous montre qu’il faut renoncer à bien des choses, en mettant dans la bouche du Christ de fortes exigences pour qui veut suivre le Seigneur. Elles sont aux nombres de trois et il est intéressant de s’y arrêter.
De sérieuses exigences
La première mentionne l’absence de lieu défini et de confort. « Le fils de l’homme n’a pas d’endroit ou reposer la tête. » (Lc 9,58) La seconde a pour sujet l’attachement aux personnes qui sont chères et qui empêchent d’aller vers d’autres qui sont dans le besoin. La suite du Christ demande un détachement de la facilité de la relation avec ceux que l’on connaît pour laisser la place à d’autres. « Laisse les morts enterrer leurs morts, toi, pars, et annonce le royaume de Dieu. » (Lc 9,60) La troisième reprend la seconde tout en ajoutant sa petite note qui vient moduler l’exigence : pour suivre le Christ, il faut réussir à se tourner vers ceux vers qui l’on va, sans toujours regarder vers l’arrière. « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu. » (Lc 9,62) Si l’on met la main à la charrue, il faut garder nos regards sur celle-ci et sur ce qui vient au-devant sinon quoi, le sillon tracé sera certainement tortueux et gâchera le champ.
Comme chrétien on peut alors se demander : Pour quoi donc vouloir suivre le Christ dans ces conditions ? Qui veut marcher à la suite de celui qui n’a aucun confort et pas d’attachement ? Il semblerait que dans ces conditions, il faudrait justement quelqu’un de conditionné, au mauvais sens du terme; il faudrait être quelque chose comme un robot insensible.
Qu’en disent les autres textes de ce dimanche?
Pour comprendre l’évangile et l’exigence du Seigneur, il peut être intéressant de revenir rapidement sur les autres textes de ce jour. Dans la première lecture, on voit le prophète Élisée être appelé par le Seigneur à se mettre à la suite du prophète Élie. Il semble recevoir à peu près les mêmes exigences que celles du Christ que nous avons vues un peu plus haut. Et pourtant, Élisée se met en route à la suite d’Élie. Qu’est-ce qui l’a décidé à partir ? Nous ne le savons pas vraiment dans ce texte, mais si l’on se réfère à ce qui suivra et à sa mission comme prophète, il semble qu’il y ait quelque chose de vraiment important dans le fait qu’Élisée est appelé par Dieu à parler en son nom, à l’annoncer.
Il y a ici quelque chose qui peut nous aider à comprendre notre problématique : un appel existe. Un appel existait aussi dans le cas de plusieurs patriarches et prophètes qui ont tout quitté de leur confort pour se mettre à pérégriner à la suite de Dieu; Abraham, Jacob, Moïse et Élie en sont de formidables exemples. Ils ont souvent dû sacrifier leur confort pour répondre à l’appel de Dieu.
Au fond, la vraie question se situe au niveau de la réponse de l’homme à l’appel: pourquoi vouloir répondre à un appel si exigeant ? C’est quelque chose de très mystérieux, mais qui est probablement lié au désir du cœur de l’homme : il ne semble pas que quelqu’un puisse être forcé contre son gré à se mettre à la suite du Seigneur. Dans le même temps, rien à première vue ne semble nous indiquer qu’il y ait un quelconque avantage à le faire.
Le psaume qui a été choisi pour la liturgie éclaire de manière éloquente cette question par quelques mots que le psalmiste adresse à son Dieu : « Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. » (Ps 15,2) Le texte montre que le cœur de l’homme aspire à se lier à son Dieu et à vivre dans sa proximité. Au fond, cette question de la réponse à l’appel nous renvoie au mystère de Pâques que nous célébrions il y a quelque deux mois. D’abord à travers l’évènement de la souffrance du Christ dans sa passion et son acceptation de la coupe qui lui a été présentée par le Père. Ensuite, en lien avec l’épisode de la résurrection, la rencontre du Ressuscité qui est la clef de voûte de la vie chrétienne.
Favoriser la rencontre du Ressuscité
En effet, il ne s’agit pas seulement de dire « Dieu est ressuscité » pour que quelqu’un accepte de le suivre, il faut encore proposer la rencontre du ressuscité comme quelque chose de possible. Ainsi, il est intéressant de noter que chaque fois qu’il y a un appel du Seigneur, il y a d’abord eu une rencontre. Nous l’avons vu dans le texte de l’Évangile; c’est à partir de la rencontre avec lui que le Christ invite les personnes à le suivre et à l’annoncer. Cette logique sera respectée dans la vie des disciples de Jésus; c’est après sa mort et sa résurrection et, surtout après la rencontre du Christ ressuscité, que chacun d’eux va vraiment réussir à se mettre à sa suite pour annoncer le Royaume de Dieu. En résumé, pour comprendre l’appel de Dieu et la réponse à celle-ci, nous pourrions dire qu’elle présuppose d’abord une rencontre avec Dieu et la connaissance que lui seul est « toute [notre] joie » (Ps 15,2).
On pourrait encore ajouter que si la rencontre avec le Ressuscité est un indispensable pour répondre à la réponse à son appel, il faut encore, comme le dit Saint Paul dans la deuxième lecture, [marcher] sous la conduite de l’Esprit saint (Ga 5,16) pour que la vie entière de la personne soit inscrite dans la suite du Christ. Cela vient de renforcer la perspective de la rencontre du Dieu dont on n’a pas d’autre bonheur, comme un incontournable pour répondre à l’appel. En effet, cet Esprit, est justement promis par le Christ pour le révéler en vérité, car, dit Jésus : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître (Jn 16,15). Le prophétisme du chrétien, ou autrement dit, le fait de répondre à l’invitation de Dieu de le suivre et de l’annoncer, se trouve donc intimement lié à la rencontre avec le Christ ressuscité. Tout comme la place de l’Esprit saint sera importante pour garder dans la durée la mémoire de cette rencontre avec le Christ et le sens de cet appel à la mission.
On pourrait traduire toute cette dynamique en trois temps, la rencontre, l’appel et l’envoi à la mission. La rencontre est ce qui nous fait dire : Seigneur, tu es toute ma joie (Ps 15,2) et l’appel : Je garde le Seigneur devant moi sans relâche (Ps 15,8). Quant à l’envoi, il consiste à reprendre l’expérience de la rencontre comme base du témoignage auprès des autres. Isaïe reprend les trois termes en disant : L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a envoyé (Is 61,1). Il parle de sa rencontre avec Dieu qui demeure grâce à la présence de l’Esprit, de son appel qui provient du Seigneur et de cet envoi qui le mène à transmettre à ceux qui en ont besoin ce qu’il connaît de Dieu.
Étienne Couture est séminariste dans la communauté de l’Emmanuel pour le diocèse de Québec.
Source : Le Feuillet biblique, no 2626. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.