Tête de Christ. Rembrandt, circa 1648-1654. Huile sur toile, 25 x 21 cm. Musée du Louvre, Paris (photo : Wikipedia).

Le Christ, serviteur souffrant

Julienne CôtéJulienne Côté | 24e dimanche du temps Ordinaire (B) – 16 septembre 2018

Profession de foi de Pierre et première annonce de la Passion : Marc 8, 27-35
Les lectures : Isaïe 50, 5-9a; Psaume 114 (115) ; Jacques, 2, 14-18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le chemin de Jésus conduit à la Croix. Puissions-nous offrir une réponse d'amour à Celui qui se donne par amour, afin que règne un monde de justice, de paix et de charité.

La compassion de Jésus

L'évangéliste Marc commence son récit ainsi : Commencement de l'Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu (1,1). Les premiers chapitres vont relater les nombreuses guérisons effectuées par Jésus en Galilée : d'un possédé (1,21-28), d'un lépreux (1,40-45), d'un paralytique (2,1-12), de l'homme à la main sèche (3,1-6), d'une hémorroïsse (5,21-43), de la fille d'une païenne (7,24-30), d'un sourd-bègue (7,31-37), de l’aveugle de Bethsaïde (8,22-26). Face à la souffrance, la compassion de Jésus est sans limite. Il est venu rendre gloire à son Père et aimer les humains qu'Il rencontre en soulageant, en guérissant, en ayant pitié. Puis, petit à petit, devant ses gestes, les foules, étonnées, se questionnent et les autorités religieuses se livrent à une opposition sans indulgence, de plus en plus féroce. Qui donc est-il, pour que même le vent et la mer lui obéissent (4,41). D'où cela lui vient-il? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée? (6,2).

Alors que Jésus quitte la Galilée pour la région païenne de Césarée-de-Philippe, tout en poursuivant la formation spirituelle de ses disciples, Il leur pose une question qu'Il ne répètera pas par la suite. À la réponse donnée par Pierre, suivront des enseignements qui dévoileront l'insaisissable identité de Jésus et son parcours paradoxal. Cette interrogation s'adresse aussi à nous, chrétiens et chrétiennes d'aujourd'hui, question à laquelle nous devons répondre personnellement.

Et vous que dites-vous? Pour vous qui suis-je?

Après le point de vue des foules et celui d'Hérode Antipas (6,14-15), vient la confession de Pierre, représentant la perception des disciples, tous fidèles témoins de la puissance de la parole et de l'action de leur Maître. Pierre affirme : Tu es le Messie (8,29), celui qu'Israël attend. Mais quelle est vraiment l'attente messianique de Pierre? La suite du dialogue fait entrevoir que, comme les Anciens, c'est-à-dire les représentants de l'aristocratie laïque, les chefs des prêtres et les scribes lettrés, il attend celui qui restaurera le Royaume d'Israël, le pouvoir du Roi, la prospérité et la paix pour le peuple.

Pierre réfléchit en termes humains où le prestige est recherché et la compétition inévitable; dans ce contexte, la souffrance et l'humiliation sont incompatibles avec la figure du Messie. Or, cela ne rejoint pas la compréhension que Jésus a de la mission que lui a confiée son Père, et il va la dévoiler davantage en instruisant ses compagnons du mystère de sa personne, de sa destinée. Il annonce ce qui va lui arriver : l'opposition qu'Il va rencontrer, les souffrances qui l'attendent, la traversée de la mort. Pierre, alors, s'oppose violemment, devenant ainsi l'adversaire du plan de Dieu, barrant la route, cherchant à détourner son Maître de son chemin de croix, considéré comme indigne. Il est le tentateur, le Satan! (8,33).

À ce moment, Pierre écarte la perspective de la souffrance et de la mort et rejoint la mentalité du judaïsme de l'époque, qui attendait un Messie triomphant, victorieux des ennemis. On ne pouvait soupçonner, ni imaginer un Messie réduit aux humiliations et aux souffrances les plus atroces, à une déchéance totale. Aussi, la réaction de Pierre conduit à la réplique de Jésus qui va parler du drame qui se prépare :

Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes (v. 33).
Il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup,
qu'il soit rejeté... qu'il soit tué et que trois jours après, il ressuscite (v. 31).

 Le Serviteur souffrant

Cette annonce, qui en précède deux autres dans Marc, Luc et Matthieu (Marc 9,31; 10,32), nous indique comment, à la suite des apôtres éclairés par l'Esprit, au lendemain de la résurrection de leur Maître, nous devons voir le Messie : un serviteur qui s'engage totalement dans la délivrance à apporter aux hommes, au point de tomber entre leurs mains. Ce serviteur vient donner espoir, Il aime tous les humains jusqu'à donner sa vie par amour, et Il attend une réponse d'amour (Jean 21,16). Le mystère de la croix est si déconcertant que seule la confiance en Dieu et en son action salvatrice peut réconforter.

Le prophète Isaïe, dans la première lecture de ce dimanche, nous aide à saisir l'authentique personnalité de Jésus. Le Livre de la consolation, écrit au moment de l'exil à Babylone, ou peu de temps après, au 6e siècle avant Jésus-Christ, veut redonner espoir aux déportés qui éprouvent de la lassitude, se sentent abandonnés et mettent en doute la puissance de Dieu. Isaïe, serviteur passionné et rempli de confiance, prend la parole pour consoler le petit reste humilié et souffrant (49,5-6), l'invitant à rester fidèle dans l'adversité; il s'efforce de lui donner espoir (50,1-2). Dieu réside en ce serviteur fidèle (49,5-6). Cet homme écoute Dieu, ne lui résiste pas; il épouse à fond la cause de Dieu et parle pour lui. Face à ses compatriotes Israélites qui regimbent, s'attaquent à lui, l'accusent, le persécutent, il confesse le Seigneur Dieu en qui il a totalement confiance. Matin près matin, il dresse l'oreille, il écoute. Écouter veut dire ici mettre en pratique, « faire confiance à Dieu quoi qu'il arrive ». Tout est don pour ce serviteur : la mission confiée, la confiance inébranlable, le courage dans l'adversité :

Dieu, mon Seigneur m'a donné le langage d'un homme qui se laisse instruire... La Parole me réveille chaque matin... pour que j'écoute comme celui qui se laisse instruire (v. 4).

Le Seigneur m'a ouvert l'oreille et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé (v. 5).

J'ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe (v. 6). Je n'ai pas protégé mon visage des outrages et des crachats... Le Seigneur Dieu vient à mon secours... Voici le Seigneur Dieu qui vient prendre ma défense. Il est proche, celui qui me justifie... (v. 8).

Cette présentation du prophète Isaïe rend compte du chemin que Jésus va emprunter. Le prophète Jésus sera jugé, rejeté, condamné par ceux qui l'accusent (Marc 14,36 – 15,41). Le Père rendra le visage de son Fils dur comme pierre, Il ne l'abandonnera pas. Évidemment, cette parole d'Écriture décrivant l'itinéraire d'un Messie souffrant, obéissant, est totalement impensable pour l'élite religieuse de l'époque et pour les compagnons de Jésus.

Observons que Jésus demande le silence au sujet de cette révélation. Pourquoi? Face aux gens qui attendent un roi guerrier, dominateur, un messie triomphant (voir l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem : Marc 11,9-10), Il a besoin de temps pour faire entrer progressivement ses disciples si fragiles au creux de son mystère.

Les intérêts personnels face au vouloir de Dieu

Pierre et ses compagnons ne font qu'effleurer l'identité de Jésus. Ils sont dans une totale ignorance ou incompréhension du projet de Dieu sur l'humanité et de l'engagement de Jésus qui ne cesse de compatir et de guérir; qui délivre du pouvoir des démons. Ils sont centrés sur eux-mêmes, comprenant Jésus à partir de leurs intérêts humains, de leurs illusions et de leur attente. Un autre épisode le démontre bien lorsque quelques-uns s'interrogeaient pour savoir qui était le plus grand parmi eux (9,34), ou encore lorsque Jacques et Jean, fils de Zébédée, demandent à Jésus de siéger dans la gloire, l'un à la droite et l'autre à la gauche du Maître (10,37). Oui, ils ont un long chemin à parcourir avant d'accéder au mystère du Messie crucifié et ressuscité, venu partager le destin des humains, leur réalité pénible et mortelle. Dès lors, il leur importe d'accueillir les enseignements de leur Maître lorsqu'Il les invite, eux, ainsi que la foule, à renoncer aux intérêts personnels, à se renier pour donner la priorité à Dieu qui est le Dieu de la vie et à qui il faut tout donner. Il est important de découvrir que la vie que l'on perd n'est pas la même que celle que l'on sauve, qui est d'offrir à Dieu-amour toute sa confiance. Regarder, contempler la faiblesse de Dieu en son Fils incarné rendra capable de renoncer à soi, de choisir la vraie vie qui est union au Christ dans l'Esprit :

Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même,
qu'il prenne sa croix pour me suivre (v. 34).
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra;
mais celui perdra sa vie pour moi et pour l'Évangile la sauvera (v. 35)

Telle qu'elle est annoncée, l'action de Jésus va se perdre dans l'impuissance, sera objet de dérision lorsque les responsables religieux, remplis de mépris et de haine vont le livrer au pouvoir romain. Mais Dieu, son Père, ne l'abandonnera pas dans la souffrance et l'ignominie. Il le ressuscitera. C'est là tout le paradoxe chrétien : « perdre à cause de Jésus et de l'Évangile, c'est sauver sa vie ». Il faut se rappeler que la croix est éclairée de la lumière de Pâques; que les souffrances, la maladie et la mort conduisent à la résurrection.

La foi qui agit (Jacques 2, 14-18)

L'apôtre Jacques, proche parent de Jésus, décrit le chemin de foi que tout disciple doit parcourir. La foi véritable, authentique, fait confiance au Seigneur, le très aimant, en lui disant oui sans réticence; une foi vigoureuse qui se développe et s'approfondit par la pratique du pardon, de la charité, du service d'autrui, sinon elle « est bel et bien morte ». Si elle n'a pas d'effets dans la vie, si elle ne consent pas à un engagement réel, à des actes constructifs, elle ressemble à l'attitude du prétendu chrétien, désinvolte, décrit au verset 2,16.

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Julienne Côté a fait ses études supérieures en théologie et en études bibliques à l’Institut catholique de Paris. Elle a écrit pour la revue Vie liturgique de 1985 à 1990 et collabore au Feuillet biblique depuis 1987.

Source : Le Feuillet biblique, no 2585. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.

Le Serviteur souffrant

Le Deutéro-Isaïe comprend quatre poèmes évoquant le prophète témoin, exemplaire (42,1-7; 49,1-6; 50,4-9; 52,13 – 53,12). Les premières communautés chrétiennes feront de ce prophète la figure annonciatrice du Christ Jésus, fidèle à sa vocation à travers sa passion et sa mort.

Au premier poème (42,1-7), le serviteur est silencieux, ne plie pas sous les outrages des bourreaux et fait confiance à Dieu; au second, il est épuisé et humilié; Le troisième poème (50,4-9) auquel se réfère l'évangile de ce dimanche, présente un procès se déroulant entre le prophète et les Israélites récalcitrants. L'homme de Dieu accueille la Parole de Dieu et la transmet; il est persécuté par ses compatriotes trop bien installés en Babylonie. L'évangéliste Marc utilisera ce poème en le mettant dans la bouche de Jésus qui « écoute » son Père et accomplit éminemment et jusqu'au bout le destin qui lui est réservé.

Le quatrième poème (52,13 – 53,12) évoque le serviteur, c'est-à-dire le peuple d'Israël, demeuré fidèle; il sera maltraité, opprimé, broyé par l'exil (52,13-14; 53,1-12), puis racheté par la puissance du Seigneur déployant sa force aux yeux des nations.