Voici l’agneau de Dieu. Domenico Zampieri, dit Le Dominiquin. Huile sur toile.

La force joyeuse du témoignage

Alain FaucherAlain Faucher | 3e dimanche de l'Avent (année B) - 17 décembre 2017

Jean, témoin de la lumière : Jean 1, 6-8.19-28
Les lectures : Isaïe 61, 1-2a.10-11 ; Luc 1, 46-50.53-54; 1 Thessaloniciens 5, 16-24
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Les premiers mots de la messe nous invitent à nous réjouir. Est-ce un automatisme imposé par le calendrier liturgique? Si c’est le cas, nous avons raison d’être un peu mal à l’aise devant cette joie factice. Le commerce s’appuie d’ailleurs sur une ambiance artificielle pour mousser les affaires… Heureusement, dans l’univers de la liturgie, cette attitude repose sur du solide. Les lectures bibliques du jour fournissent matière à réjouissance. La première lecture, le cantique évangélique et la deuxième lecture contribuent fortement à soulever l’espérance des auditeurs et des auditrices.

Par contre, un premier survol de l’évangile nous laisse perplexes. Jésus n’y est même pas nommé! Les projecteurs sont tournés vers Jean Baptiste. Il affirme ne pas être le numéro un! Dans notre monde friand de vedettes, cette humilité semble farfelue. À l’ère de Facebook, chaque personne se présente sous son jour le plus éclatant. Qui s’intéresse aujourd’hui aux personnages de seconde zone, aux numéros deux, aux joueurs de second plan?

Quelle joie dans l’évangile?

L’évangile de ce dimanche inclut deux parties de style différent. On accole quelques versets du prologue du quatrième évangile concernant Jean le Baptiseur à la description de son témoignage. Ce témoignage adressé aux envoyés des responsables de la Ville sainte de Jérusalem induit le climat dramatique du long procès subi plus tard par Jésus.

Jean affirme clairement qu’il n’est ni le Messie, ni le prophète des derniers temps (Élie), ni le prophète comparable à Moïse dont bien des croyants juifs rêvaient. Dans la dynamique sociale de la société méditerranéenne, le témoin manifeste l’honneur dévolu à un personnage bienfaisant. Tel est le rôle tenu par le personnage central de l’évangile aujourd’hui, un certain Jean. Son nom évoque le caractère définitif des interventions divines dont il est témoin. En effet, Jean signifie, en hébreu : Dieu a fait grâce, Dieu a donné son don.

De prime abord, cette description par la négative (« Je ne suis pas... ») semble de peu d’intérêt au moment où les listes « à faire » de nos agendas débordent d’urgences. Et pourtant, cette approche ressemble à ce que nous pouvons faire de mieux, comme croyants, pour traduire notre foi dans l’ambiance survoltée des jours qui nous séparent de Noël. Par un curieux retournement de situation, au cœur des préparatifs de cette fête (qui nous appartient!), nous sommes invités à témoigner sobrement de sa nature profonde. Noël n’a aucun sens en dehors de celui qui mérite notre témoignage : Jésus, Fils de Dieu, porteur d’une espérance profonde.

Notre témoignage discret, la force de Dieu

Le comportement de Jean Baptiste est facile à imiter. Cette proposition minimaliste de Jean Baptiste est en soi une bonne nouvelle. Ce comportement s’appuie en outre sur un choix fondamental de notre Dieu. Pour se communiquer à l’humanité, Dieu préfère se révéler en s’appuyant sur nous, sur notre parole et notre action. Dieu choisit de se dire au fil des propos et des gestes de personnes qui témoignent de son existence et de sa bonté. En toute cohérence avec cette stratégie divine, Jésus établit sa crédibilité sans se limiter à sa seule parole. Des événements lui rendent témoignage. Des gestes et des paroles de témoins font de même. Leur parole est crédible, car ils ont expérimenté l’ouverture unique sur l’éternité que Jésus peut offrir à l’humanité.

Aujourd’hui comme autrefois, Jésus a recours à des témoins pour l’introduire dans le tourbillon de l’humanité et pour établir sa crédibilité. Voilà une bonne nouvelle pour nous. Sa propre parole s’enracine dans notre quotidien. Elle se renforce grâce à la parole des témoins multiples. Cette manière de faire est actuellement très populaire dans les médias. Le témoignage vécu a souvent plus de valeur que la pensée profonde des théoriciens spécialistes…

Voilà un puissant soutien pour nos engagements multipliés par les besoins de la saison. Nos activités préférées du Temps des Fêtes prennent valeur de témoignage. Elles relancent l’espérance dans un monde en recherche de sens. Déjà, à huit jours de la fête, nous osons nous réjouir de tous ces gestes positifs que nous posons pour marquer cette saison.

Ces gestes expriment notre charité concrète, notre adhésion énergique au message de Jésus. Quand nous portons attention aux personnes isolées, nous trouvons un élan neuf pour des engagements charitables parfois onéreux. Nous voilà loin des belles paroles qui peuvent s’avérer si décevantes. Quiconque formule de grandes promesses n’est peut-être qu’un rêveur irréaliste ou un exploiteur déguisé en bienfaiteur. Rien pour nourrir bien longtemps l’enthousiasme et l’espérance!

La joie annoncée depuis longtemps

Les exilés qui vivaient le difficile retour au pays des ancêtres judéens avaient besoin d’indices pour alimenter leur espérance. Les mots seuls ne pouvaient suffire. Le prophète Isaïe fournit donc des critères pour évaluer la valeur des promesses de Dieu. Pauvres, cœurs brisés, captifs et prisonniers sont placés devant l’annonce d’une grande année de bienfaits. Tout cela évoque l’année jubilaire décrite dans le Lévitique.

Ce texte est un maillon important dans la réflexion des premières générations chrétiennes au sujet de Jésus. En effet, il leur fallait traduire dans des catégories du langage familier pour le peuple de Dieu l’immense espérance générée par la résurrection de Jésus. On finit par établir un lien entre le bien accompli par Jésus et le modèle par excellence de libération expérimenté à chaque demi-siècle, le grand Jubilé. La connexion est accomplie lorsque l’Évangile selon Luc (celui qui raconte la naissance de Jésus) fait proclamer par Jésus ces versets du prophète Isaïe dans la synagogue de Nazareth, au début de ses interventions en Galilée.

La joie des plus négligés (cantique responsorial)

En écho à la parole stimulante du prophète, nous proclamons quelques versets d’un autre cantique d’espérance. Marie, dans l’Évangile selon Luc, répond aux compliments de sa cousine Élizabeth avec des mots forts tirés du Premier Testament.

Comme ce fut le cas dans la première lecture, nous remarquons le côté concret de la bonté divine. Elle crée une certaine abondance en faveur des gens qui ont habituellement les mains vides... Pour la société de l’époque, souvent victime de pénurie, c’était un témoignage clair de l’activité bienfaisante de celui qui a le pouvoir de répartir les maigres ressources disponibles. Cette redistribution avait une importance cruciale pour le bien-être des plus démunis.

Toujours, la joie (1 Thessaloniciens 5, 16-24)

La première génération chrétienne était centrée sur l’essentiel: l’espérance du retour tangible du Seigneur ressuscité. Attitudes et comportements découlent de cette croyance fondamentale. La joie, la prière et le merci s’installent à demeure. Le discernement et les choix clairs deviennent des comportements normaux chez ce groupe d’espérants.

Ces manières de penser et d’agir ne sont pas une innovation jaillie de la seule imagination de l’apôtre. Ces comportements et ces réflexions se fondent sur l’action continuelle et fidèle du « Dieu de la paix ». Dans notre langage, nous pourrions le nommer « le Dieu de la totalité réussie ». En effet, selon la mentalité biblique, la paix n’est pas la simple absence de guerre. Il s’agit surtout de l’accomplissement global vécu par toute personne à qui on fait l’honneur de tenir le rôle qui lui revient dans l’harmonie collective.

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2555. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Diocèse de Montréal.

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