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1er dimanche de Carême A - 5 mars 2017
 

Éternelles tentations, éternelle solution!

La tentation sur la montagne par Duccio (v. 1310)

La tentation sur la montagne par Duccio (v. 1310)

 

 

Jésus tenté au désert : Matthieu 4, 1-11
Autres lectures : Genèse 2, 7-9; 3, 1-7; Psaume 50(51); Romains 5, 12-19


Une belle chanson de Diane Dufresne va comme ceci : « Un souvenir heureux, c'est plus vrai bien souvent que le bonheur...  L'oubli est un affreux voleur! »  Le souvenir, la mémoire, voilà deux catégories bien utiles pour mesurer la portée de l’évangile de ce premier dimanche de Carême.

     Déjà, vous froncez le sourcil : « Souvenir heureux, que ce séjour de Jésus dans le désert? » Quand le Carême arrive, c'est un automatisme : au premier dimanche, nous sommes transportés au désert avec Jésus. Nous sommes confrontés avec lui aux pièges du Tentateur. Nous nous faisons dire que lui, Jésus, a su résister aux tentations, alors que nous... sans commentaires! Et tout cela serait un souvenir heureux? Allons au-delà de la surface du récit pour décoder les solutions préconisées par Jésus. Ainsi, le souvenir alimentera notre mémoire…

Un chiffre, des souvenirs heureux
(Matthieu 4, 1-11)

     Dans notre angoisse, nous sommes d’abord victimes de notre mémoire des chiffres. Le chiffre 40 renforce notre regard réticent sur l’épisode du séjour de Jésus au désert. Ceux et celles qui connaissent bien leur Histoire sainte sont sensibles aux allusions négatives véhiculées par le chiffre 40. Il évoque les quarante années difficiles du peuple de Dieu dans sa traversée du désert.

     Ce souvenir négatif masque une piste d’interprétation autrement plus constructive. La mention des quarante jours et quarante nuits de jeûne, propre à Matthieu, évoque d'autres épisodes du Premier Testament. Deux épisodes constructifs confirment l'attachement de Dieu pour qui fait le pari de se laisser rassurer par la promesse de sa présence.

     Il y a d'abord le récit étonnant qui raconte une longue attente de Moïse sur la montagne du Sinaï en Exode 34, 28. Dieu veut donner à son peuple les dix Paroles qui vont l'aider à se donner une qualité de vie au quotidien. Nous aurions tort de dédaigner ces dix commandements. Plusieurs les trouvent dépassés, et pourtant ils s’avèrent une solution pertinente dans notre société envahie par la violence absurde.

Un autre souvenir heureux est relié aux 40 jours et 40 nuits. Ce souvenir est inclus dans le livre des Rois (1 Rois 19,8). Le prophète Élie est découragé par les difficultés de faire reconnaître Yahvé comme vrai Dieu dans une société qui se voue plutôt aux idoles des cultes de fécondité. Élie entreprend une marche de 40 jours vers la montagne de l’Horeb. Épuisé; il croit qu'il va mourir. Et… surprise : le Seigneur Dieu ne se laisse plus rencontrer dans la tempête et le vacarme du tonnerre et des éclairs comme au Sinaï.  Cela se passe dans une brise comparable au petit vent doux du matin... Voilà donc recadrée d’une manière positive la rencontre de Jésus avec le Tentateur.

Que dit Jésus?

     D'habitude, l’homélie du premier dimanche du Carême dénonce les peaux de banane que le démon glisse devant Jésus pour le faire trébucher. Les souvenirs heureux sont liés aux réponses de Jésus.  Ce sont des phrases extraites d'un « livre heureux » du Premier Testament, le Deutéronome. Le livre raconte ce que Moïse a dit à son peuple avant d’entrer en Terre promise. Le livre fait ressortir l'expérience des quarante années passées au désert. Quand Jésus répond au démon, il tire profit des expériences abrasives de la vie du peuple de Dieu. « L'oubli est un affreux voleur ». Jésus ne veut surtout pas que les enfants de Dieu oublient la sagesse accumulée avec tant de difficultés...

Réponse 1

     L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Deutéronome 8, 3). La Parole de Dieu ne remplace pas le pain. Notre biologie étant ce qu’elle est, il faut bien alimenter notre corps avec des énergies assimilables… La tentation, c’est de se limiter au signe matériel de la nourriture sans remonter à la source de la vie.

     Dans cette phrase citée par Jésus, Moïse suggérait au peuple de se souvenir que, dans la plus grande des pauvretés, celle du désert, Dieu donnait la nourriture pour soutenir la vie. La réponse de Jésus répète ce que le signe du pain donné voulait dire : « Parce que Dieu a donné sa parole, c’est sûr que les événements seront améliorés par sa présence. Ils seront porteurs de vie… ». Nous sommes parfois sur la pente du laisser-aller, sur le point de croire que les promesses de Dieu ne valent pas bien cher pour les temps difficiles que nous traversons... Le souvenir de Jésus qui cite Moïse nous rappelle la promesse de présence efficace de Dieu.

Réponse 2

     Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu... (Deutéronome 6, 16). Les premiers chrétiens connaissaient leur Bible sur le bout de leurs doigts. Ils savaient qu'il fallait citer au long les propos de Moïse : « Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu comme vous l'avez fait à Massa ». Quand commençait la marche au désert, le peuple a eu le front de dire : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non? » Autrement dit : « On nous a dit que Dieu serait proche. Est-ce si vrai que ça, quand on manque d'eau en plein désert? »

     Voilà qui rejoint une autre série de nos grognements, nous le peuple de Dieu égaré dans les déserts du temps présent. Pendant ce Carême, nous sommes invités à découvrir dans notre expérience de foi commune que Dieu est bel et bien campé au milieu de notre Église, au coeur de nos préoccupations. Notre foi n'est pas une idée que nous nous sommes inventée, une Valium pratique pour nous faire avaler le côté amer de la vie... 

Réponse 3

     C'est le Seigneur Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte (Deutéronome 6, 13). Ce propos de Moïse est réaliste. C’était facile de se laisser séduire par les cultes de fécondité des fausses idoles, avec leurs rites de prostitution sacrée! Cet avertissement garde toute sa valeur aujourd'hui. Sous prétexte de respecter les autres croyances, nous finissons par croire que notre religion ne vaut pas plus que les autres. Nous voulons adhérer à Jésus mais nous contredisons cette adhésion en nous laissant contaminer par le concept de réincarnation, par exemple.

     Notre Dieu n'est pas le Dieu de ceux et celles qui s’imaginent tourner en rond pour l'éternité. Il est le Dieu qui fait aller de l'avant. Le Carême nous est donné pour regarder comment Jésus s'y prend. Sa fidélité devient une maquette pour notre propre fidélité.  Nous avons besoin du Fils de Dieu pour raccorder la communication entre nous et notre Père du ciel.

Éternelles tentations, éternelle solution

     Les réponses de Jésus évitent les ornières séduisantes où le Tentateur voulait le faire déraper. Les deux autres lectures majeures de la Bible balisent le parcours tentation – solution. 

     La première lecture (Genèse 2,7-9; 3, 1-7a) met en scène la brisure profonde entre Dieu et l’humanité. Le tentateur prend corps de serpent. Il utilise un discours de séduction prétentieux, se proclamant meilleur interprète des dires de Dieu que Dieu lui-même! Quelle ironie…

     La deuxième lecture (Romains 5, 12-19) rappelle que cette brisure de relation n’est pas la fin de l’histoire. Un long parcours de guérison aboutit à une reprise en main chargée d’espérance. La condamnation à cause d’un seul débouche sur la justification méritée par un seul homme (verset 17). Nous avons accès à cet horizon élargi grâce à notre baptême. Profitons du Carême qui commence pour intégrer cette solution perpétuelle aux péripéties de notre quotidien.

 

Alain FAucher, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2523. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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