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24e dimanche ordinaire C - 11 septembre 2016
 

De l'évolution des personnages,
à la conversion des lecteurs

Retour du fils prodigue, par Pompeo Batoni.

Retour du fils prodigue, par Pompeo Batoni.

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La brebis égarée : Luc 15, 1-32
Autres lectures : Exode 32, 7-11.13-14; Psaume 50(51); 1 Tm 1, 12-17

 

L’évolution des personnages est un élément capital pour qu’une histoire soit intéressante. Comme plusieurs Québécois, j’aime beaucoup la série télévisuelle Unité 9 dans laquelle les personnages se transforment complètement de saison en saison. Dans une prison pour femmes, les détenues qui étaient sympathiques, comme Marie Lamontagne, évoluent et passent par des temps de violence et de crises intenses. À l’inverse, d’autres personnages, comme Jeanne, sont d’abord agressifs pour progressivement vivre une forme de rédemption. La parabole du fils prodigue permet aux lecteurs de s’attacher à un personnage qui vit une transformation radicale. Je vous suggère d’analyser ce récit en soulignant l’évolution des personnages.

Trois paraboles pour le prix d’une

     L’extrait de l’Évangile de Luc proposé par la liturgie de ce dimanche commence en situant le discours de Jésus. Trois paraboles sont adressées aux collecteurs d’impôts et aux pécheurs. Ces personnes étaient considérées comme impures et honnies de la société de l’époque. Le texte note aussi la réaction des bien-pensants, pharisiens et scribes, qui s’étonnent des actions de Jésus. Jésus agit contre toutes les conventions sociales. Il accueille et mange avec les laissés pour compte. Cet auditoire narratif n’est pas anodin. Nous verrons plus loin que ces catégories de personnes peuvent s’identifier aux divers personnages de la troisième parabole souvent appelée le retour du fils prodigue.

De la perte à la joie

     Les trois paraboles racontées par Jésus ont un élément commun assez évident. Ils traitent de la joie éprouvée par quelqu’un qui retrouve quelque chose qu’il avait perdu : une brebis, une pièce de monnaie et un fils. Dans les deux premières paraboles, Jésus conclut en soulignant que ces histoires sont des images de la joie éprouvée par Dieu lorsqu’un pécheur se convertit. C’est aussi une interprétation possible de la troisième parabole.

Conversion/metanoia    

     La conversion dans le Nouveau Testament n’a pas du tout le sens contemporain d’un changement de religion. Le verbe grec « metanoeô » traduit par « se convertir » signifie littéralement de se retourner et donc figurativement de changer de vie. L’accent n’est pas placé sur la culpabilité ou la repentance, mais plutôt sur la transformation radicale. Chez Luc, la conversion est une question de vie et de mort. C’est un passage obligé pour les personnes qui veulent être sauvées. Quelques chapitres auparavent, Jésus indique que ceux qui ne se convertissent pas vont périr (13,3.5). De même, dès le début de l’Évangile, la prédication et le baptême de Jean visaient aussi la conversion.

     La troisième parabole illustre à merveille ce concept de renversement (metanoia). Je vous suggère d’analyser comment chaque personnage se transforme au cours du récit.

Le père  

     La situation initiale du père est d’avoir deux fils. Il donne une partie de ses biens au cadet. Ce geste ne va pas de soi. Le livre de Siracide (33,20-24) indique que dans la culture biblique, c’est à la fin de la vie qu’une personne donne ses biens à ses enfants. Le père perd son argent et perd aussi son fils qui part pour un pays lointain. Au retour de ce fils, le père l’aperçoit au loin et il est profondément bouleversé. Littéralement, ses entrailles sont remuées. Il court et se jette au cou de son fils pour l’embrasser. Il exprime sa joie en commandant un festin et en disant que son fils qui était perdu ou mort est retrouvé et revenu à la vie. Le père vit donc une transformation : d’une situation de perte et de mort, à celle de l’accueil et de la joie. Ainsi, le personnage du père reprend la même thématique que les deux petites paraboles précédentes. Il devient l’image de la joie de Dieu lorsque quelqu’un se retourne vers lui.

Le plus jeune fils

     Au départ, le fils le plus jeune prend son héritage et quitte la maison familiale. Il dilapide son argent dans une vie de débauche et finit par vivre une vie d’indigence. La narration indique même qu’il y a une famine dans ce pays pour souligner la précarité de sa situation. En plus, il accepte de travailler au service des porcs. Ces animaux étaient pour les Juifs le symbole même de l’impureté. Lui qui était parti de chez son père pour aller vers un pays lointain décide de revenir sur ses pas. Il reconnaît son erreur et prépare sa demande de pardon. Celle-ci indique qu’il n’est pas digne d’être appelé fils par son père. Pourtant, la scène du retour bouleverse ce qu’il avait prévu. Il n’a même pas la possibilité d’exprimer sa contrition jusqu’au bout, que son père annonce la fête et parle de lui comme d’un fils. Lui qui était le familier des porcs se voit drapé de beaux habits et de bijoux.  

Le fils aîné

     Le fils aîné n’apparaît que vers la fin du récit. Il semble travaillant et fidèle, mais la réaction du père le met dans une profonde colère. Il s’exclut lui-même de la maison en fête. Le père sort pour l’écouter et pour expliquer les raisons de cette fête. Or, le récit ne redonne pas la parole au fils aîné. Le récit arrête sans que l’on sache s’il sera lui aussi capable d’un retournement pour passer de la colère à la joie, de l’extérieur à l’intérieur de la maison du père.

L’auditoire narratif

     Il est intéressant de remarquer que les diverses catégories de personnes composant l’auditoire narratif — d’une part des collecteurs d’impôt et pécheurs et d’autre part des pharisiens et des scribes — peuvent être reliées aux personnages de la parabole. Les collecteurs d’impôt et les pécheurs se retrouvent dans la même situation que le plus jeune fils. Ils sont considérés comme impurs, indignes d’entrer en relation avec le reste de la communauté ainsi qu’avec Dieu. Et pourtant, c’est avec eux que Jésus partage un repas. Cette parabole souligne la joie de leur passage de l’exclusion sociale à l’inclusion dans le Royaume.

     Pour leur part, les pharisiens et les scribes peuvent être rapprochés du fils aîné. Le deuxième verset souligne qu’ils murmurent entre eux parce que, pour eux, l’accueil des exclus par Jésus était scandaleux. On peut se demander quelles ont pu être leurs réactions à la parabole? Comme pour le personnage du fils aîné, on n’a aucune idée du choix qu’ils font. Est-ce qu’ils vont rester en dehors de la maison à cause de leur incapacité d’accepter la bonté scandaleuse du Père dans le récit et de Jésus dans sa mission? Est-ce qu’ils vont se convertir, changer leur perspective pour entrer dans la joie? L’histoire ne le dit pas.

L’identification aux personnages

     Naturellement, lorsque nous lisons un récit ou lorsque nous regardons une série télévisuelle, nous nous identifions à un personnage. Nous voulons absolument qu’il réussisse ses défis. Inconsciemment, ses succès, ses échecs deviennent les nôtres. Il en va de même lorsque nous lisons un extrait de l’évangile. Est-ce que vous vous identifiez aux fils cadet/pécheurs, aux fils aîné/pharisiens ou au père/Jésus? Ces groupes de personnages peuvent inspirer notre façon d’être. Lire cette parabole peut nous aider à évoluer pour, comme le fils cadet, accepter d’être pardonnés; comme le fils aîné, suspendre nos jugements négatifs, ou, comme le père, accueillir dans la joie les personnes marginalisées.

     Heureusement, tout comme les personnages d’Unité 9 ou des évangiles, nous pouvons aussi changer, évoluer, nous transformer et même vivre une conversion, un renversement. D’ailleurs, l’objectif même des évangiles est de transformer la vie de ceux et celles qui les lisent. La lecture de ces textes anciens a un effet sur nos vies et peut mener à un changement de perspective. D’ailleurs, nous pouvons relire cette parabole à divers moments de nos vies en nous plaçant dans la peau de ses divers personnages. L’identification aux divers personnages de cette parabole est développée par Henri Nouwen dans son livre Le retour de l’enfant prodigue : revenir à la maison. Je vous invite fortement à lire ce livre de spiritualité.

     Au dernier chapitre de l’Évangile selon Luc, le Christ ressuscité annonce que sa prédication se poursuivra : On prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations (24,47). Après avoir été interpellés à changer notre vie pour l’enligner sur l’évangile, comme les disciples, nous sommes appelés à poursuivre la mission de Jésus, de prêcher en son nom pour que d’autres puissent vivre cette expérience. La tâche n’est pas simple. Comment annoncer le retournement radical de Jésus dans les mots d’aujourd’hui? En ce jubilé de la miséricorde, nous sommes invités à porter cette question et à répondre par nos vies.

 

Sébastien Doane, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2498. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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